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ni si quelques autres ne sont pas plus propres qu'eux aux fonctions publiques.

Voulez-vous voir, citoyens, si l'on vous tend un piége? Réfléchissez sur ce qui s'est passé à Paris fors de l'élection de vos députés à l'assemblée nationale. Le ministère, qui ne vouloit avoir que des hommes qui lui fussent dévoués, retarda le plus qu'il fut possible la convocation de la commune de Paris. Tout fut précipité lorsqu'il s'agit de faire les élections; à peine compreniez-vous le rèlement : un homme vendu à la cour vous nommoit un personnage, et vous l'adoptiez sans le connoître. On suit aujourd'hui la même marche que l'on suivit alors; pourroit-on ne pas avoir le même but?

Commencez done dès-à-présent à réfléchir sur l'importance des choix que vous aurez bientôt à faire. Ne vous laissez pas séduire par le ton plat et rampant que vos députés à la ville commencent à prendre auprès de vous. Un écornifleur, un pédagogue, un robin, un écrivassier, pourvu qu'il débitat bien une motion dans son district, vous parut digne de votre confiance dès le commencement de la révolution. La conduite du corps municipal que vous aviez composé vous a ouvert les yeux sur le mérite réel de ces sortes de gens; cherchez donc déjà quels sont ceux qui doivent obtenir vos suffrages lorsque le temps des élections sera venu; car si vous vous laissez surprendre par les lettres de convocation, sans être d'accord avec vous-mêmes sur ceux que vous devez élire, vous ne ferez point un bon choix; votre jugement sera obscurci par des considérations, par l'intrigue ou par Pintérêt personnel.

Lorsque les trois cents remplacèrent les cent quatre-vingt, plusieurs districts donnèrent l'exemple contagieux de çontinuer leurs députés à la ville; quelques autres les continuèrent par acclamation. Cette erreur étoit pardonnable à des esclaves qui n'osoient pas encore se croire libres. C'est cette continuation des mêmes per

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sonnages dans les places qui a occasionné l'anarchie qui a régné dans le corps municipal, et les tentatives ridicules qu'il a faites pour opprimer ses commettans. Il suffit d'un seul homme portant en lui un levain d'aristocratie, pour infecter tous ceux qu'on lui associe. Si vous voulez être libres, ou du moins marcher à grands pas dans la carrière de la liberté, ne réélisez aucun de vos officfers et députés municipaux; changez-les entièrement; changez même ceux que vous connoîtriez pour les meilleurs patriotes. Ne vous faites, pas à vous-mêmes l'injure de déclarer, à la face de la France, qu'il n'y a parmi vous que trois à quatro certs personnes vertueuses, éclairées, et qui soient dignes de vous commander. Il faudroit désespérer de la liberté d'une ville qui s'aviliroit jusqu'à réélire un seul de ceux qui, mandataires provi soires, n'ont pas su respecter ses volontés, ni s'occuper de ses intérêts. On connoît déjà en partie quels seront les moyens qu'on emploiera dans les futures assemblées d'élection, pour vous arracher vos suffrages en faveur des municipaux actuels. Ils vous seront dévoilés avant qu'on en ait pu faire usage; il vaut mieux vous faire voir pour le moment quels sont les graves objets qui empêchent vos commettans de se livrer au travail que vous leur aviez ordonné, et de vous faire jouir d'une organisatiou fixe et légale.

Depuis que les soi-disans représentans de la commune ont admis le public à ses séances ( cə qui n'étoit pas ce que nous avions demandé, car il s'agissoit de rendre publiques les opérations du corps administratif), chaque orateur cherche une occasion de pouvoir donner au peuple électeur une idée avantageuse de son éloquence et de ses moyens; c'est moins des bravo et des claquemens qu'ils sont avides, que des suffrages: aussi flattent-ils le public par tous les moyens imaginables.

1

Nous allons parcourir quelques-unes des principales motions et délibérations qui ont fait perdre à l'assemblée les heures qu'elle devoit consacrer à l'examen d'un plan municipal.

Motions de M. l'abbé Fauchet

MM. Bailly et la Fayette.

concernant

M. l'abbé Fauchet, celui qui a prêché et imprimé que l'aristocratie avoit crucifié Jésus-Christ; celui qui a demandé à l'assemblée des mandataires provisoires qu'elle se soumit à la majorité des districts, et qui a imprimé qu'il ne pouvoit y avoir de loi sans que la volonté générale eût été consultée et qu'elle se fut exprimée, vient de prende, aux yeux de tous les francs patriotes, la réputation que lui avoient méritée ces deux traits de civisme et de courage.

Il a voté, dans l'assemblée de ces mêmes mandataires provisoires, une adresse à toutes les municipalités du royaume, pour qu'elles conférassent à M. de la Fayette le titre de commandant général des gardes nationales du royaume.

Cette motion auroit été déplacée dans tous les temps; mais elle l'étoit sur-tout dans une époque si yoisine de l'affaire du district des cordeliers, où ce général, qui nous est plus cher peutêtre qu'à ceux qui s'enipressent de le gâter par des flagorneries, se montra si fort au-dessous de luimême, et ne mérita que trop la juste improbation des citoyens à principes, des vrais amis de la liberté (1).

Une autre considération importante devoit détourner M. l'abbé Fauchet de faire une pareille motion. Le peuple français est po té par habitude à l'idolatrie. C'est le plus grand et peut-être le seul obstacle qu'il ait à vaincre pour devenir vrai

(1) Fide N°. 29, pages 11, 12, et suivantes.

ment

ment libres. C'est par-là que plus d'un peuple a perdu sa liberté. Rome et la Hollande (1) fournissent des exemples capables de nous faire frémir sur cette sotte disposition des esprits, dès la naissance de la liberté.

Quoique la motion de l'abbé Fauchet fût trèsapplaudie, M. de la Fayette, qui étoit présent, ne parut point désirer qu'elle passat; il prit la parole pour dire que, lorsque l'assemblée des représentans de la nation organiseroit le pouvoir militaire, il feroit la motion expresse « que nul ne pût être commandant général des gardes nationales dans plusieurs départemens ». La motion de l'abbé Fauchet fut rejettée.

Les personnes qui n'ignorent pas que cet orateur a des relations avec la maison de Noailles, ont eu de la peine à se persuader qu'il n'eût pas pressenti ou fait pressentir M. de la Fayette sur cette motion.

Ceux qui n'ont pas pensé que l'abbé Fauchet eût cru la faire passer, ont imaginé qu'il avoit seule ment voulu fournir à M. le commandant général une occasion favorable de développer ses principes populaires, et de reconquérir, par un discours, ce qu'avoit pu lui faire perdre son action contre le district des Cordeliers et les réflexions que chacun devoit avoir faites dès-lors sur le danger de s'engouer d'un homme quel qu'il fût.

Je ne m'arrêterai pas à demontrer les inconvéniens d'une proposition qui a été rejettée à l'unanimité dans une assemblée, d'où la présence du général semble avoir exilé la vérité ferme et la dignité municipale; mais j'inviterai et M. l'abbé Fauchet et M. lecommandant général, les mandataires provisoires et les Parisiens, l'assemblée nationale et le peuple français, à méditer ce sublime passage des causes de la décadence des Romains,

(1) Vide No. 30, pages 34 et 35. No. 32.

C

« Les loix de Rome avoient sagement divisé la puissance publique en un grand nombre de magistratures qui se soutenoient, s'arrêtoient et se tempéroient l'une l'autre : et comme elles n'avoient toutes qu'un pouvoir borné, chaque citoyen étoit bon pour y parvenir; et le peuple voyant passer devant lui plusieurs personnages l'un après l'autre ne s'accoutumoit à aucun d'eux. Mais le systême de la république changea. Les plus puissans se firent donner par le peuple des commissions extraordinaires ; ce qui anéantit l'autorité du peuple et deș magistrats, et mit toutes les grandes affaires dans les mains d'un seul ou de peu de gens.

» Fallut il faire la guerre à Sertorius, on endonną la commission à Pompée. Fallut-il la faire à Mithridate, tout le monde cria Pompée. Eut-on besoin de faire venir des bleds à Rome, le peuple croit être perdu, si on n'en charge Pompée. Veut-on détruire les pirates, il n'y a que Pompée; et lorsque César menace d'envahir, le sénat crie à son tour, et n'espére plus qu'en Pompée.

» Je crois bien (disoit Marcus au peuple)que Pompée, que les nobles attendent, aimera mieux assurer votre liberté que leur domination; mais il y a eu un temps où chacun de vous devoit avoir la protection de plusieurs, et non pas tous la protection

d'un seul.

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Quand on accordé des honneurs, on sait précisément ce que l'on donne; mais quand on y joint le pouvoir, on ne peut dire à quel point il pourra être porté.

» Despréférences excessives données à un citoyen dans une république, ont toujours des effets nécessaires; elles font naître l'envie du peuple, ou elles augmentent sans mesure son amour (1)».

Si quelque chose peut prouver que notre doctrine contre les idoles s'est rapidement propagée, et que

(1) Montesquieu, causes, etc..., chap. XI.

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