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que le pouvoir exécutif suprême résidoit dans la main du roi (1) ; que le pouvoir judiciaire ne pourroit être exercé, en aucun cas, par le roi ni par le corps législatif (2); que le pouvoir législatif réside dans l'assemblée nationale. Les trois pouvoirs sont donc réellement distincts dans notre constitution; et si la législature actuelle a violé cette division plusieurs fois depuis que ces points sont décrétés, il faut l'imputer aux circonstances et aux temps; car il ne faut jamais perdre de vue qu'un peuple qui se constitue n'est pas un peuple constitué, et que la plus terrible crise pour les empires est précisément l'heure de la constitution.

Au reste, si M. Bergasse ne croit pas qu'il puisse aujourd'hui démontrer avec succès les erreurs de nos représentans, s'il ne pense pas qu'il en soit encore temps, la publication de sa lettre est né cessairement un acte de mauvais citoyen.

« Je ne pense pas, dit aussi ce député, que votre travail pour régénérer la France, soit une constitution. Je n'en connois que deux espèces, la monarchique et la républicaine. Vous n'avez pas fait une constitution monarchique; car le propre de la constitution monarchique est que le prince en soit tellement partie intégrante, qu'elle ne puisse marcher sans lui; et, dans votre constitution, le prince n'est essentiel à rien, et vous ne disconviendrez pas que, si demain il vous plaisoit de l'en bannir, les choses n'en iroient pas moins bien ».

M. Bergasse s'est créé des principes qu'il peut trouver bons; mais il faudroit aussi qu'il les établit sur quelques raisons; car l'étonnante réputation que lui ont fait ses mémoires dans la cause Kornmann, ne fera pas adopter ces principes sur parole.

Il n'est point essentiel à une constitution mo

(1) Art. XIX de la constitution.

(2) Art. VIII, ibid.

narchique que le prince en soit tellement partie intégrante, qu'elle ne puisse marcher sans lui, si M. Bergasse entend par-là que le prince, cessant d'être, la constitution doit s'anéantir, et l'état tomber dans l'anarchie. Mais il est essentiel à la constitution monarchique qu'elle marche par le mo narque. Si le roi cessoit d'être, la constitution cesseroit aussi d'être monarchique, et elle se résoudroit en aristocratie ou en démocratie.

Ce qui constitue la monarchie, est que le gouvernement, c'est-à-dire, le pouvoir exécutif, soit dans la main d'un seul; que tous les corps adminis tratifs dépendent de lui, et n'agissent que d'après ses ordres. Si donc demain on bannissoit le monarque de la constitution, elle ne seroit plus monarchique; mais tant qu'il ne le sera pas, la constitution est monarchique autant qu'elle puisse l'être.

Il est encore faux que les choses étant arrangées ainsi que nos députés l'ont imaginé, la constitution pût marcher sans le prince. Si la prince n'étoit pas un roi, il faudroit qu'il fût un sénat, un conseil, un congrès, des consuls, un doge; car il faut toujours dans une constitution qu'il y ait un prince, c'est-à-dire, un être unique ou collectif qui gouverne (1).

« Vous n'avez pas fait une constitution répub'icaine », ajoute M. Bergasse, « car le propre d'une constitution républicaine est que le pouvoir suprême d'où émanent tous les autres pouvoirs ne soit pas tellement concentré dans un seul corps, qu'il puisse impunément les faire mouvoir et les appliquer à son gré; et vous ne pouvez nier que vous avez tellement concentré tous les pouvoirs dans votre assemblée législative unique, que, de quelque, ma

[1] Le mot prince signifie, en politique, celui qui a le pouvoir exécutif, soit qu'il appartienne à un seul homme, soit à un college, soit à la majeure partie du peuple; ainsi je réponds plutôt à ce que. M. Bergasse a voulu dire, qu'à ce qu'il a dit.

nière qu'elle agisse, en mal comme en bien, il est impossible de lui opposer une résistance politique, et de modérer au besoin, ou de rompre ses efforts »>.

Il faudroit commencer par s'entendre sur le mot république; il n'y en a pas de plus équivoque en politique.

Si par république on entend un état où le peuple a le pouvoir souverain, une monarchie est évidemment une république; car, dans tout état légitime, la loi doit être l'expression de la volonté générale. Or, pour que la loi puisse être l'expres, sion de la volonté générale, il faut que le corps de la nation exerce la souveraineté, lequel exercice consiste précisément à manifester la volonté géné,

rale.

Sous ce premier point de vue, M. Bergasse peut bien dire que l'assemblée nationale n'a pas fait une constitution républicaine, parce qu'en effet elle semble décidée à usurper sur la nation le pouvoir souverain et l'exercice du pouvoir souverain, en mettant sa volonté particulière à la place de la volonté générale. Mais il est faux qu'elle ait concentré les autres pouvoirs dans les assemblées législatives uniques, puisqu'elles n'auront ni le pou voir exécutif ni le pouvoir judiciaire.

Il est faux encore qu'il soit impossible d'opposer au corps législatif une résistance politique, puisqu'elle a décrété le veto suspensif pour les actes de législation, et c'est absolument l'appel au peuple.

Mais si M. Bergasse entend le mot république dans le sens vulgaire, c'est-à-dire, un état où le pouvoir exécutif se trouve entre les mains de plusieurs, il a raison de dire que nous n'aurons pas une constitution républicaine; et en effet cette forme de gouvernement ne convient point à un état aussi étendu que la France, et n'est désirée par aucun bon citoyen.

Les choses paroissent à M. Bergasse, arrangées de manière que, s'il n'y avoit pas de roi, les choses n'en iroient pas moins bien: si cela est vrai, c'est le meilleur frein qu'on puisse mettre à l'ambition du pouvoir monarchique; car si le monarque voit que la nation peut se gouverner par tout autre secours que le sien, il craindra de l'irriter, de la porter à le repousser; et la nation n'ayant rien à gagner, et beaucoup à risquer à ce changement, ne l'entreprendra jamais sans des causes graves; si elle le faisoit enfia, elle ne feroit qu'user du droit qu'un peuple a toujours de changer, quand il lui plaît, sa constitution.

Je suis donc pleinement de l'avis de M. Bergasse, lorsqu'il avance que le serment adopté par l'assemblée estattentatoire aux droits des prochaines législatures. J'ai déjà dit plusieurs fois que la distinction entre le pouvoir constituant et le pouvoir législatif étoit une puérilité; il faut en dire autant de la distinction entre les conventions nationales et les législatures.

C'est le sot amour-propre de quelques-uns de nos politicailleurs qui a inventé cette ineptie; son objet est d'empêcher que les législatures suivantes ne découvrent leurs bévues. C'est une vile et basse jalousie qui les fait aspirer à l'infaillibilité. Que seroit-ce qu'un corps législatif qui ne pourroit pas toucher à la constitution? Il lui seroit impossible de jamais faire une loi; car il n'est aucun objet qui puisse donner lieu à une loi, sans avoir un rapport plus ou moins relatif aux bases de la cons

titution.

J'avoue qu'il seroit à craindre que chaque législature ayant la faculté de faire des changemens à la con titution, l'amour propre des futurs représentans, ou leur intérêt, ne les portát à bouleverser la constitution; mais cet inconvénient ne nalt pas de la nature des choses, il nalt de ce que les représentans veulent être le souverain au lieu d'être l'or

gane du souverain, et qu'ils cherchent à enlever à la nation l'examen et l'acceptation des loix.

Mais revenez à ce principe éternel, à cette base immuable de toute liberté, à cette condition sans laquelle les représentans ne seront jamais que des tyrans, savoir, qu'il ne peut y avoir de loix que celles que le peuple a votées ou ratifiées en personne. Les changemens que projetteroit le corps législatif n'auroient aucun danger. Comme ils ne pourroient être exécutés que par la volonté générale, les décrets auxquels ils donneroient lieu ne seroient jamais que de belles théories, jusqu'à ce que l'intérêt général, le véritable intérêt général se fut fait entendre à toute la nation. Une nation assemblée sur une vaste superficie, en cinq à six mille assemblées primaires, n'est susceptible d'aucune séduction; elle ne peut se rallier au même point que par l'évidence du bien et de la vérité; tout ce qu'on nous dit, tout ce que nous lisons sur la facilité du peuple à se laisser séduire, à se laisser entraîner, n'est vrai que d'un peuple assemblé tout entier dans un même lieu, et délibérant tout de suite sur l'objet proposé.

Il est inutile, je pense, de répondre à la dernière objection de M. Bergasse contre le serment, savoir, qu'il anéantit la liberté de penser et d'écrire contre la constitution et les loix. Maintenir une loi, c'est l'exécuter, c'est concourir à ce qu'elle soit exécutée, tant qu'elle n'est pas révoquée par l'expression de la volonté générale; mais, tout en exécutant une loi, on peut en démontrer l'absurdité et l'injustice.

Par exemple, je crois qu'il faut être fou ou insensé, pour croire que la volonté de la nation ne soit pas requise pour faire loi, et qu'il suffise de la volonté des députés et de l'acceptation du roi. Je n'en exécute pas moins tout ce que les représentans décrètent et ce que le roi sanctionne, parce que le silence de la nation sur

Cette

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