Page images
PDF
EPUB

berté et aux progrès d'une révolution heureusement commencée. L'enthousiasme ne permet ni de mesurer les dangers, ni d'apercevoir les précipices; tout est possible et semble permis à celui qui est l'objet de la faveur publique; et souvent le délire populaire inspire de coupables desseins à celui qu'une surveillance raisonnable auroit contenu dans de justes bornes. Il ose tout, parce qu'il croit pou voir tout oser impunément.

Aucun peuple ne fut plus enclin à cette sorte d'idolatrie que le peuple français; il s'est toujours passionné pour tout ce qui lui a paru brillant, généreux, sublime. Au sein même de la servitude, son inquiète activité eut toujours besoin d'un objet : il étoit ivre tantôt d'un général, tantôt d'un poète, un jour.d'un danseur, le lendemain d'un ministre. Ces dispositions étoient d'un favorable augure pour ceux qui travailfoient à lui rendre sa liberté; ils espéroient qu'il attacheroit exclusivement à elle dès qu'il auroit pere. Leur attente seroit cruellement due, si ce peuple ne savoit voir la liberté que sous age de ceux qui paroissent être à la tête de la révolution:

Les objets de son enthousiasme ne doivent point être les défenseurs de la patrie, les apôtres de la liberté; mais la patrie, la liberté. Dès l'instant que la gloire de quelques citoyens, distingués par leurs lumières ou leurs services, devient plus chère que l'intérêt public, dès que leur volonté est plus puissante que les loix, il ne peut y avoir ni liberté ni sureté dans un état ; et c'est presque toujours par ce moyen que les peuples libres se sont donné des maîtres et des fers.

Ce ne sera pas par des déductions abstraites, par des lueurs métaphysiques, qu'on pourra établir une vérité qui doit être mise à la portée de tous les citoyens; ce sera par une succession de faits qui, chez divers peuples, auront eu es mêmes canses et les nées suites.

Le peuple athénien, auquel on nous a très-souvent comparés, ne fut jamais vraiment libre, par co

qu'il s'engouoit avec une facilité inconcevable de ses généraux ou de ses magistrats. Il violoit les loix pour leur plaire, et la justice pour les venger. Il alloit jusqu'à les délivrer, par l'exil ou par le dernier supplice, des rivaux dont le mérité et la présence auroient pu leur servir de frein. Toutes les volontés étoient tellement asservies aux volontés des chefs idolatrés, que les actes publics n'étoient que l'expression de leur opinion particulère.

Périclès disoit bien, toutes les fois qu'il acceptoit un emploi public, qu'il alloit commander à des hommes libres, qui étoient de plus Grecs et Atheniens. Mais, en professant un grand respect pour la liberté publique, il ne cherchoit qu'à aveupler le peuple sur le despotisme qu'il exe çoit, et dont il se rendoit l'instrument. I hit exiler Cimon, citoyen vertueux, dont les vertus lui faisoient ombrage; il l'eut fait périr tout aussi facilement, s'il l'eat voulu. Il disoit encore qu'il falloit qu'un magistrat n'eût pas seulement les mains pures, mais les yeux et la langue; cependant il n'en dissipa pas moins les revenus publics, sous prétexte de faire des offrandes aux dieux, pour enrichir une courtisanne qui étoit son idole, comme il étoit celle de la multitude.

Ces divinités n'étant pas immortelles, les Athéniens changèrent d'idées, de principes et de moeurs, toutes les fois qu'ils changèrent d'idoles; ce qui fut cause qu'ils n'eurent jamais d'esprit public: aussi ce peuple si brave, si éclairé, fut-il constamment le jouet des ambitieux qui se disputèrent le gouvernement, et parcourut il en peu de temps tous les périodes de la vie politique, la liberté, le despotisme et l'anarchie.

Tant que les Romains furent passionnés pour la liberté, ils pensèrent que ceux qui avoient rendu de grands services à la république étoient asez payés par la gloire qu'ils avoient acquise, et par le plaisir qu'ils avoient eu d'être utiles. Ils se gardèrent bien de leur accorder assez de pré

berté et aux progrès d'une révolution heureusement commencée. L'enthousiasme ne permet ni de mesurer les dangers, ni d'apercevoir les précipices; tout est possible et semble permis à celui qui est l'objet de la faveur publique; et souvent le délire populaire inspire de coupables desseins à celui qu'une surveillance raisonnable auroit contenu dans de justes bornes. Il ose tout, parce qu'il croit pou voir tout oser impunément.

Aucun peuple ne fut plus enclin à cette sorte d'idolatrie que le peuple français; il s'est toujours passionné pour tout ce qui lui a paru brillant, généreux, sublime. Au sein même de la servitude, son inquiète activité eut toujours besoin d'un objet : il étoit ivre tantôt d'un général, tantôt d'un poete, un jour d'un danseur, le lendemain d'un ministre. Ces dispositions étoient d'un favorable augure pour ceux qui travailfoient à lui rendre sa liberté; ils espéroient qu'il s'attacheroit exclusivement à elle dès qu'il l'auroit pere. Leur attente seroit cruellement due si ce peuple ne savoit voir la liberté que sousage de ceux qui paroissent être à la tête de la révolution:

Les objets de son enthousiasme ne doivent point être les défenseurs de la patrie, les apôtres de la liberté; mais la patrie, la liberté. Dès l'instant que la gloire de quelques citoyens, distingués par leurs Jumières ou leurs services, devient plus chère que l'intérêt public, dès que leur volonté est plus puissante que les loix, il ne peut y avoir ni liberté ni sûreté dans un état; et c'est presque toujours par ce moyen que les peuples libres se sont donué des maîtres et des fers.

Ce ne sera pas par des déductions abstraites, par des lueurs métaphysiques, qu'on pourra établir une vérité qui doit être mise à la portée de tous les citoyens; ce sera par une succession de faits qui, chez divers peuples, auront eu es mêmes

cansés et les rêmes suites.

Le peuple athénien, auquel on nous a très-souvent comparés, ne fut jamais vraiment libre, par co

qu'il s'engouoit avec une facilité inconcevable de ses généraux ou de ses magistrats. Il violoit les loix pour leur plaire, et la justice pour les venger. Il alloit jusqu'à les délivrer, par l'exil ou par le dernier supplice, des rivaux dont le mérité et la présence auroient pu leur servir de frein. Toutes les volontés étoient tellement asservies aux volontés des chefs idolatrés, que les actes publics n'étoient que l'expression de leur opinion particulière.

[ocr errors]

Péricles disoit bien, toutes les fois qu'il acceptoit un emploi public, qu'il alloit commander à des hommes libres, qui étoient de pins Grecs et Athéniens. Mais, en professant un grand respect pour la liberté publique, il ne cherchoit qu'à aveugler le peuple sur le despotisme qu'il exe çoit, et dont il se rendoit l'instrument. I hit exiler Cimon, citoyen vertueux, dont les vertus lui faisoient ombrage; il l'eut fait périr tout aussi facilement, s'il l'eat vonlu. Il disoit encore qu'il falloit qu'un magistrat n'eût pas seulement les mains pures, mais les yeux et la langue; cependant il n'en dissipa pas moins les revenus publics, sous prétexte de faire des offrandes aux dieux, pour enrichir une courtisanne qui étoit son idole, comme il étoit celle de la multitude.

Ces divinités n'étant pas immortelles, les Athéniens changèrent d'idées, de principes et de moeurs, toutes les fois qu'ils changèrent d'idoles; ce qui fut cause qu'ils n'eurent jamais d'esprit public: aussi ce peuple si brave, si éclairé, fut-il constamment le jouet des ambitieux qui se disputèrent le gouvernement, et parcourut il en peu de temps tous les périodes de la vie politique, la liberté, le despotisme et l'anarchie.

Tant que les Romains furent passionnés pour la liberté, ils pensèrent que ceux qui avoient reudu de grands services à la république étoient assez payés par la gloire qu'ils avoient acquise, et par le plaisir qu'ils avoient eu d'être utiles. Ils se gardèrent bien de leur accorder assez de pré

pondérance dans les affaires publiques, pour leur faire oublier qu'ils n'étoient que de simples citoyens. Les Romains poussèrent quelquefois l'amour de l'égalité jusques à l'injustice. Ils laissèrent Cincinnatus dans la misère et dans l'abandon, quoiqu'ils l'eussent enlevé à son champ pour le mettre à la tête des affaires publiques, et qu'il eût rendu des services signalés. Lorsqu'étant dictateur, il eut sauvé l'armée et peut-être la république, ils lui accordèrent bien des terres et des bestiaux; mais il ne rappellèrent pas son fils Céson qu'ils avoient envoyé en exil. Camille, qui avoit remporté vingt victoires, fut condamné, pour une faute très-légère, à une amende si forte qu'il fut forcé de sortir de Rome.

Mais, lorsque dans un autre temps ils s'attachèrent à Scipion l'Africain plus qu'à la patrie, et qu'ils l'applaudirent lorsqu'accusé de péculat et d'intelligences secrètes avec un rei ennemi, il répondit pour toute défense: Aujourd'hui j'ai vaincu Annibal et dompté Carthage; allons rendre graces aux dieux, ils ruinèrent la liberté publique, et ils ne furent plus dans le reste de leur existence politique que les soldats des généraux qui surent leur plaire, ou les satellites des tribuns qui flattèrent leurs passions et leurs vices.

Je trouve chez une nation voisine un exemple non moins frappant des dangers de l'idolatrie du peuple pour ses chefs. Nous sommes pour ainsi dire spectateurs de la destruction de la liberté des Hollandois. C'est l'attachement prodigieux de ces braves républicains à quelques princes de la maison d'Orange, qui est l'unique source des malheurs qui affligent aujourd'hui leur patrie.

Maurice de Nassau rendit de grands services aux Hollandois. Ils lui laissèrent prendre un ascendant sans bornes dans toutes les affaires. Ils ne virent en lui qu'un citoyen zélé, quand n'étoit qu'un tyran. Le vertueux Barneveld essaya de mettre quelques digues à son ambition. Le prince eut le crédit

« PreviousContinue »