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Par exemple, un mandataire qui dépofe fa procuration dans l'étude d'un notaire, ou qui fubftitue quelqu'un en fon lieu & place, ne donne-t-il pas fuffifamment à entendre qu'il accepte cette procuration, & dès-là ne doit-on pas regarder fes biens comme hypothéqués à fon commettant ?

On cite, pour la négative, un arrêt rendu au parlement de Paris, le 4 juin 1723, au rapport de M. Pucelle. Cet arrêt, dit-on, a jugé que des quittances authentiques de remboursement, données par un mandataire en vertu de procurations notariées, n'avoient produit aucune Hypothèque aux mandans, & il a préféré à ceux-ci des créanciers dont l'Hypothèque étoit poftérieure en date à ces quittances authentiques.

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Mais avec l'efpèce de l'arrêt, préfentée dans fon entier, & dans le vrai, l'objection fe diffipe. Louis le Blanc & Suzanne Arbault, fa femme, avoient acquis, pendant leur communauté, plufieurs rentes fur l'hôtel de ville: comme ils n'avoient point d'enfans, ils fe font fait un don mutuel en 1655. Le mari eft mort: la veuve a joui du don mutuel. En 1679, on a remboursé les rentes fur l'hôtel-de-ville; la veuve en a reçu les principaux, tant en fon nom, comme propriétaire de la moitié des rentes acquifes pendant fa communauté, que comme fondée de procuration de Pierre & Anne le Blanc, héritiers de fon mari, leur frère. Cette veuve a contracté différentes dettes en 1686; elle eft décédée peu de temps après: il y a eu tranfaction en 1690, paffée entre fes héritiers & ceux de fon mari. Cette tranfaction contient compte, partage & liquidation des biens de la communauté qui avoient été entre le mari & la femme: on y explique ce

que la veuve devoit à la fucceffion de fon mari foit à caufe des rembourfemens qu'elle avoit reçus, foit d'ailleurs, dont on compofe un total, & ce que la fucceffion du mari devoit à celle de fa veuve; & après une opération affez confufe de ces dettes refpectives, on rend la fucceffion de la veuve débitrice envers celle du mari, de 9700 livres 10 fous 4 deniers : les héritiers de la veuve s'obligent au paiement de cette fomme, fans que le véritable titre de cette créance foit fpécifié, ni qu'il foit dit aucunement que les héritiers du mari demeurent confervés aux droits, privilèges & Hypothèques qu'ils pouvoient avoir avant cette tranfaction; enforte que les anciennes créances des héritiers du mari ont été éteintes au moyen de cette obligation de 9700 livres qui leur a été paffée par la tranfaction, & qu'ils ont tenu comme une nouvelle créance du moment même de cet acte.

Les chofes en cet état, contestation entre les héritiers du mari, comme créanciers de 9700 liv., & les créanciers envers lefquels la veuve s'étoit obligée en 1685, pour favoir qui d'entre eux tous, ayant Hypothèques, feront préférés fur les immeubles que la veuve avoit laiffés dans la fucceffion. L'arrêt a donné la préférence aux créanciers de 1685; il n'étoit pas poffible de juger autrement; & pourquoi ? C'eft, 1°. que les fommes dues par la veuve à la fucceffion de fon mari, foit à caufe des rembourfemens qu'elle avoit reçus en 1679, foit d'ailleurs, ayant été confondus dans la transaction, il étoit impoffible de reconnoître, en 1723, ce qui, dans les 9700 livres finito de la tranfaction, provenoit du remboursement reçu en 1679. C'eft, 2°. que les

héritiers du mari n'avoient plus leurs anciennes créances de 1670, contre la veuve; ils n'avoient qu'une créance nouvelle, confiftante en un reliquat fixé par la tranfaction de 1690. Cette tranfaction, lors de l'arrêt, étoit leur unique titre de créance; leur Hypothèque ne remontoit qu'à ce titre, & cette Hypothèque étoit postérieure à celle des autres créanciers de la veuve, qui remontoit à 1685.

Ainfi la queftion jugée par cet arrêt eft totalement différente de celle que nous avons à examiner ici qu'on ait traité alors notre question, on l'aura fait inutilement. Il peut arriver que celui qui écrit pour la défense d'une partie prenne le change; mais les juges, plus éclairés, lifent les titres; c'eft ce qu'ils ont fait en 1723 ils ont lu la tranfaction; ils ont trouvé la créance des héri tiers du mari telle qu'on vient de l'expliquer; c'est-à-dire, une créance toute nouvelle, & abfolument différente des anciennes qu'ils avoient en 1679. Cette feule circonftance a déterminé l'arrêt de 1723: il n'a donc pas d'application à l'espèce préfente.

Mais un arrêt qui décide nettement la queftion, c'est celui qui a été rendu, confultis claffibus, le 27 août 1740, au rapport de M. de Loffendiere, confeiller à la troisième chambre des enquêtes. Voici le fait.

Le 12 juillet 1725, procuration devant notaires, donnée par le fieur de Lepinay, feigneur de Marteville, pour recevoir fes arrérages de rentes fur l'hôtel-de-ville de Paris, à un fieur Carrel, qui recevoit ces fortes de rentes pour public. Cette procuration portoit pouvoir au conf titué de se substituer qui bon lui fembleroit.

le

Le même jour, au pied de la procuration, devant les mêmes notaires, acte par lequel le fieur Carrel fait le dépôt de fa procuration, & nomme, pour le remplacer, les fieurs Thureault & Affeline.

Cependant le fieur Carrel ne s'eft pas interdit la faculté de recevoir par lui-même. Il a même reçu, fur fes quittances, depuis cette notification, & fans l'avoir révoquée, les rentes du fieur de l'Epinay, fon commettant.

Il 1 s'agiffoit de favoir fi, pour le recouvrement de ces rentes, les enfans du fieur de l'Epinay avoient Hypothèque, & dé quel jour ils l'avoient fur les immeubles du fieur Carrel, acquis par le fieur Fournier.

Les premiers juges, après un mûr examen, avoient accordé aux enfans Hypothèque fur les biens acquis par le fieur Fournier, du jour & en vertu du dépôt & de l'exécution que le fieur Carrel avoit fait de la procuration qu'il tenoit du fieur l'Epinay.

Le fieur Fournier ayant interjeté appel de cette fentence, on établiffoit, pour en foutenir le bien jugé, deux propofitions: la première, que le fieur Carrel avoit accepté devant notaires la procuration, & s'étoit obligé, par cette acceptation, envers le fieur de l'Epinay; la feconde, que de l'acceptation du fieur Carrel, il réfultoit une Hypothèque fur fes biens, du 12 juillet 1725, jour de l'acte contenant le dépôt de la procuration & de la nomination des fieurs Thureault & Affeline pour le remplacer.

Voici comment on juftifioit la première propofition.

» Un mandataire ne dépofe une procuration

» que dans l'intention de l'exécuter : cette inten» tion, auffi fenfiblement marquée par le dépôt, » opère le même effet que l'exécution même; » c'est-à-dire, que l'acceptation par le manda» taire eft prouvée auffi-bien par le feul dépôt » que par l'exécution même de la procuration.

» La procuration portant pouvoir en général » au mandataire d'en nommer un ou plufieurs » autres; fi le mandataire nomme quelqu'un fans » s'exclure foi-même expreffément, il exécute la >> procuration, & conféquemment l'accepte »..

On oppofoit à cela une objection fpécieuse. Le mandat (difoit-on) eft un contrat fynallagmatique il confifte en obligations réciproques de deux perfonnes, du conftituant & du conftitué. Ces obligations réciproques doivent être expreffes. Celle du conftituant, dans l'espèce préfente, fe trouve à la vérité dans la procuration; mais il n'y en a point d'exprimé de la part de Carrel, conftitué, ni dans la procuration, puifque Carrel n'y a point paru, ni dans l'acte contenant fon dépôt & fa nomination.

Voici ce que répondoient les enfans du fieur de l'Epinay.

» Il eft vrai que le mandat eft un contrat fynallagmatique; il eft vrai auffi qu'il requiert les » obligations réciproques du constituant & du » conftitué; mais il n'eft pas néceffaire que ces » obligations fe rencontrent dans un même acte, »ni qu'elles foient réciproquement contractées » dans le même moment. De deux perfonnes qui

font réciproquement obligées fur un même » objet, l'une fera valablement obligée par un » acte, & au moment qu'elle l'aura paffé, quoique l'autre, qui eft auffi obligée, ne fe foit

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