Page images
PDF
EPUB

doit pas en affecter la solennité. C'est une œuvre intermédiaire entre l'histoire et les mémoires. Les événements y tiennent moins de place que les hommes et les idées. Les détails intimes y abondent. Les détails sont la physionomie des caractères; c'est par eux qu'ils se gravent dans l'imagination.

De grands écrivains ont déjà écrit les fastes de cette époque mémorable. D'autres les écriront bientôt. On nous ferait injustice en nous comparant à eux. Ils ont fait ou ils feront l'histoire d'un siècle; nous n'avons fait qu'une Étude sur un groupe d'hommes et sur quelques mois de la Révolution.

Paris, 1er mars 1847.

DES

GIRONDINS

LIVRE PREMIER.

I.

J'entreprends d'écrire l'histoire d'un petit nombre d'hommes qui, jetés par la Providence au centre du plus grand drame des temps modernes, résument en eux les idées, les passions, les fautes, les vertus d'une époque, et dont la vie et la politique formant, pour ainsi dire, le nœud de la Révolution française, sont tranchées du même coup que les destinées de leur pays.

Cette histoire pleine de sang et de larmes est pleine aussi d'enseignement pour les peuples. Jamais peutêtre autant de tragiques événements ne furent pres

sés dans un espace de temps aussi court; jamais non plus cette corrélation mystérieuse qui existe entre les actes et leurs conséquences ne se déroula avec plus de rapidité. Jamais les faiblesses n'engendrèrent plus vite les fautes, les fautes les crimes, les crimes le châtiment. Cette justice rémunératoire que Dieu a placée dans nos actes mêmes comme une conscience plus sainte que la fatalité des anciens, ne se manifesta jamais avec plus d'évidence; jamais la loi morale ne se rendit à elle-même un plus éclatant témoignage et ne se vengea plus impitoyablement. En sorte que le simple récit de ces deux années est le plus lumineux commentaire de toute une grande révolution, et que le sang répandu à flots n'y crie pas seulement terreur et pitié, mais leçon et exemple aux hommes. C'est dans cet esprit que je veux les

raconter.

nom,

L'impartialité de l'histoire n'est pas celle du miroir qui reflète seulement les objets, c'est celle du juge qui voit, qui écoute, et qui prononce. Des annales ne sont pas de l'histoire pour qu'elle mérite ce il lui faut une conscience; car elle devient plus tard celle du genre humain. Le récit vivifié par l'imagination, réfléchi et jugé par la sagesse, voilà l'histoire telle que les anciens l'entendaient et telle que je voudrais moi-même, si Dieu daignait guider ma plume, en laisser un fragment à mon pays.

II.

Mirabeau venait de mourir. L'instinct du peuple le portait à se presser en foule autour de la maison de son tribun comme pour demander encore des inspirations à son cercueil; mais Mirabeau vivant lui-même n'en aurait plus eu à donner. Son génie avait pâli devant celui de la Révolution; entraîné à un précipice inévitable par le char même qu'il avait lancé, il se cramponnait en vain à la tribune. Les derniers mémoires qu'il adressait au roi, et que l'armoire de fer nous a livrés avec le secret de sa vénalité, témoignent de l'affaissement et du découragement de son intelligence. Ses conseils sont versatiles, incohérents, presque puérils. Tantôt il arrêtera la Révolution avec un grain de sable. Tantôt il place le salut de la monarchie dans une proclamation de la couronne et dans une cérémonie royale propre à populariser le roi. Tantôt il veut acheter les applaudissements des tribunes et croit que la nation lui sera vendue avec eux. La petitesse des moyens de salut contraste avec l'immensité croissante des périls. Le désordre est dans ses idées. On sent qu'il a eu la main forcée par les passions qu'il a soulevées, et que, ne pouvant plus les diriger, il les trahit, mais sans pouvoir les perdre. Ce grand agitateur n'est plus qu'un courtisan effrayé qui se réfugie sous le

« PreviousContinue »