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projet ne tend qu'à épouvanter la Cour, pour la forcer, s'il est possible, au rappel des trois ministres? >>

Il n'était que trop vrai, et l'attitude de la Gironde à l'égard des fédérés acheva de dévoiler les desseins de ce parti, mélange bizarre de patriotisme exalté et d'ambition, d'inspirations magnanimes et d'esprit d'intrigue.

Par qui les fédérés avaient-ils été appelés à Paris? N'était-ce point par les Girondins? N'était-ce pas d'eux que venait la motion du camp de vingt-mille hommes? Et cependant, ils ne furent pas plutôt à Paris, les visiteurs si impatiemment attendus, que la Gironde, dont ils n'avaient fait en accourant que suivre l'impulsion, se sentit, au milieu d'eux, mal à l'aise et inquiète. Bientôt, son plus ardent désir fut de se débarrasser de ces hôtes incommodes. Que ne les envoyait-on aux frontières? Ne devait-on pas craindre, si on les retenait à Paris, de paralyser le zèle patriotique des départements? Et puis, convenait-il de laisser exposés aux provocations, aux artifices des ennemis de la liberté, ces natures pleines de feu, qu'il ne serait peutêtre pas impossible de précipiter dans tous les excès? Ainsi parlaient maintenant les Girondins; et Lasource, un d'eux, alla jusqu'à présenter formellement au club de la Société-Mère la motion du renvoi des fédérés1.

Mais pas plus qu'à Necker, pas plus qu'à Mirabeau et à Duport, il ne pouvait être donné aux Girondins de prendre la Révolution à leur service, sauf à la congédier ensuite, au gré de leur fantaisie ou à l'heure marquée par leur prudence. L'histoire, même quand des mains puissantes et hardies semblent la pousser, ne fait qu'obéir à la loi de son éternel mouvement; et lorsque, en

' Déposition de Chabot, dans l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 42 et 43, et Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, séance du 29 juillet 1792.

vertu de cette loi, elle se précipite, tout parti qui prétend la régler à son pas, égale en orgueil ou en folie ce roi de Perse qui faisait fouetter la mer pour la punir de la désobéissance de ses flots.

Là fut la grande erreur des Girondins. Ils perdirent un moment de vue que le danger alors c'était le royalisme.

Mais prétendre que cette erreur n'eut sa source que dans les inspirations d'une cupidité basse, que dans les entraînements d'une ambition vulgaire, ce serait la plus criante des injustices. Ils purent bien songer à arrêter la Révolution, mais à la trahir.... jamais ! Leur ambition fut leur faiblesse, non leur crime.

Et quant à leur prétendue vénalité mise à l'épreuve, quant aux promesses dorées qui auraient été au moment d'éblouir les regards du sévère Pétion, quant aux douze millions auxquels Brissot aurait evalué le prix de son concours, et qui eussent fait de lui un royaliste, pour peu qu'ils se fussent trouvés alors dans les coffres de la liste civile, ce sont autant de calomnies ineptes, que pas une ombre de preuve ne justifie, que l'ensemble des faits et des témoignages dément d'une manière triomphante, et que la rage aveugle des passions de parti rend seule explicables'. Pétion était la probité même, et Brissot, quels qu'aient pu être ses torts, fut, en ce qui le touchait personnellement, le plus désintéressé des hommes".

Les calomnies dont il s'agit ici se trouvent dans les Mémoires particuliers de Bertrand de Moleville, lequel ne procède jamais que par assertions tranchantes, appelle scélérat quiconque n'est pas ultrarovaliste, et décrit lui-même les honteux moyens de mensonge et de corruption qu'il employa pour sauver la monarchie, avec une complaisance cynique qui montre assez ce que peut valoir son autorité en matière d'histoire.

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* Nous avons déjà cité à cet égard le témoignage, assurément peu suspect, de Dumont.

Ce qui est vrai, ce qui reste acquis à l'histoire, c'est qu'aux approches du 10 août, les Girondins, quoique leur âme fût républicaine, voulurent ajourner la crise de la république à fonder, crurent cet ajournement possible, et y mirent pour condition leur rentrée aux affaires.

Mais quoi! les Prussiens arrivaient, et déjà la Cour croyait entendre le bruit du pas des armées libératrices; les Prussiens arrivaient, et Luckner battait artificieusement en retraite, et Lafayette tenait la pointe de son épée tournée vers les Jacobins, non vers l'ennemi, et la contre-révolution occupait des postes importants dans l'Assemblée, dans les administrations départementales, au cœur des grandes villes, le long des frontières, partout. Louis XVI crut donc pouvoir se passer d'alliés qui avaient été déjà et entendaient redevenir ses maîtres: l'offre des principaux chefs de la Gironde fut rejetée avec dédain'.

Cependant, l'agitation était extrême au sein du peuple. Le mot déchéance était dans toutes les bouches; l'insurrection, mais seulement à l'état de vague désir, était dans tous les cœurs. Il s'était formé, presqu'au lendemain de la fête du champ de Mars, deux centres principaux d'où rayonnaient, comme de deux foyers brûlants, les menaces et les colères. C'étaient d'abord le comité central des fédérés, puis le bureau de correspondance, établi à la municipalité même, par arrêté du 17, pour mettre en rapport les 48 sections. D'elles-mêmes, elles s'étaient déclarées en permanence: sur une pétition du Puy-de-Dôme, signée par plus de dix mille citoyens. Cette permanence des sections fut législativement éten

'Sur ce point, on peut en croire Bertrand de Moleville, qui ne parle du fait que pour le déplorer, et regarde ce refus comme une grande faute de Louis XVI. Voy. ses Mémoires particuliers, t. II, ch. xxvi, p. 442 et 443.

due à la France entière'; et le jour où fut rendu ce décret, qui pourvoyait aux dangers du dedans, il fut décrété en vue de ceux du dehors, que tout commandant de place de guerre qui se rendrait avant l'ouverture d'une brèche, et sans avoir soutenu au moins un assaut, serait puni de mort'.

Paris bouillonnait de plus en plus. Où s'élevait la Bastille, un banquet civique fut offert aux fédérés, le 26 juillet. Ceux de Brest avaient fait leur entrée la veille, au milieu des acclamations: ils furent au nombre des conviés. Des hymnes chantés en l'honneur de la liberté et de la France, des illuminations, des danses, prolongèrent la joie de ce repas fraternel. Chaque citoyen avait apporté son dîner'. Ce soir-là, on se reposa un peu de la haine!

Mais, pendant ce temps, rassemblés rue Saint-Antoine, au cabaret du Soleil d'Or, quelques hommes d'une ardeur moins facile à distraire, complotaient une insurrection générale, le siége du château, l'emprisonnement du roi au fort de Vincennes. C'étaient les mêmes que nous avons vus figurer au 20 juin : Santerre, Fournier l'Américain, le Polonais Lazousky; et, en outre, Carra, l'auteur des Annales patriotiques; Vaugeois, ancien compagnon de portefeuille de Pétion, et hôte de Chabot'; Simon, disciple fanatique de Robespierre, et enfin Westermann, simple greffier de Haguenau, dont la Révolution allait faire un grand soldat, Westermann, le futur vainqueur des Vendéens à Beaupréau, à Laval, à Granville, à Baugé, à Savenay.

Le plan de campagne tracé par les agitateurs portait.

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* Pièces importantes pour l'Histoire, citées dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 488.

• Déposition de Chabot, dans le procès des Girondins.

que l'armée populaire se diviserait en trois colonnes, dont l'une irait droit au château, en partant de l'emplacement de la Bastille, et dont l'autre serait dirigée vers l'hôtel de ville, pendant que la troisième, partie du faubourg Saint-Marceau, se rendrait par le pont à la place Louis XV. Les commissaires convinrent de se rassembler tous autour de la colonne de la Liberté. Le mot d'ordre pour entrer était la colonne blanche. Les drapeaux devaient être de couleur rouge, avec ces mots en caractères noirs: Loi martiale du peuple souverain contre la rébellion du pouvoir exécutif.

La Cour, avertie de ces projets insurrectionnels, s'entoura de six à sept mille hommes; et prévenu, de son coté, des préparatifs de défense qu'on faisait aux Tuileries, Pétion se transporta dans les groupes, conseilla la prudence, fit ajourner le mouvement. Aussi bien, les Marseillais n'étaient pas encore arrivés: on prit le parti de les attendre1.

Tandis que ces choses se passaient à Paris, l'agent secret de Louis XVI à Francfort, Mallet du Pan, s'efforçait de diriger dans un sens favorable aux intérêts de son maître l'esprit de la coalition. Il s'était d'abord adressé à Coblentz, où il fit plusieurs voyages, sous le nom de Fournier, marchand de toiles'. Mais là, il ne tarda pas à sentir que le sol se dérobait sous lui. Divisée en partisans de Calonne, anti-calonistes et monarchiens, c'est-à-dire en factions jalouses qui déjà se disputaient les dépouilles de la France à conquérir, l'émigration ne présentait alors qu'un pitoyable assemblage d'ambitieux impatients et d'insolents rêveurs. Le loyal, l'éloquent Cazalès n'y était considéré que comme une

1 Pièces importantes pour l'Histoire. Ubi suprà.

2 Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, t. I, ch. xII, p. 296.

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