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HISTOIRE

DE LA RÉVOLUTION

FRANCAISE.

LIVRE SEPTIÈME.

(SUITE.)

CHAPITRE XIV.

LA DÉCHÉANCE.

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Revirement des Girondins. Leurs tentatives pour reconquérir le ministère.Lettre secrète de Vergniaud, Guadet et Gensonné au roi. Mot remarquable de Brissot à Chabot sur le 20 juin. - Brissot parle contre les républicains. - Manœuvres parlementaires de la Gironde. Le renvoi des fédérés demandé par Lasource. Calomnies dirigées contre la Gironde. État de Paris. - Le cabaret du Soleil d'or. - Mallet du Pan se met en rapport avec Coblentz. Manifeste -Aspect de Coblentz. - Mallet du Pan à Francfort. de la coalition rédigé par le marquis de Limon. —Le duc de Brunswick forcé de signer ce manifeste, qu'il déplore. Le duc soupçonné par l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse. - Le jour où le duc de Brunswick signe à Coblentz le manifeste contre la France, Carra lo propose implicitement pour roi aux Français. — Comment le manifeste de la coalition est accueilli en France. - Agitation héroïque mêlée de désordres. Mot prophétique de d'Epremesnil à

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Pétion. Le territoire français et le territoire autrichien dans le jardin des Tuileries. Arrivée des Marseillais à Paris. - Promesse de Santerre violée; pourquoi? - Rixe sanglante. La cour se prépare au combat. Indomptables préventions de la reine; ses alternatives de confiance et d'abattement; son courage. Attitude de Danton, de Marat, de Camille Desmoulins, de Robespierre. - Le Cadran bleu. Fermentation générale. La nature en convulsion.

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A l'aspect de ce prodigieux élan des âmes, les Girondins ne se purent défendre d'une secrète inquiétude. Ce que Mirabeau avait éprouvé après Necker, et Duport après Mirabeau, ils commençaient, eux, à l'éprouver après Duport. D'une main violente, ils avaient lancé la Révolution; mais où s'arrêterait son indomptable esprit?

L'hésitation des Girondins se trahit, dès cette époque, par des signes si manifestes, qu'il en courut des bruits dont s'indigna leur courage. On assura que plusieurs d'entre eux étaient déjà munis de passe-ports pour l'Angleterre, et on nommait Vergniaud, Guadet, Condorcet, Brissot'. Ce dernier répondit fièrement : « Je méprise trop les lâches qui abandonnent leur poste dans la crise où nous sommes, pour partager leur ignominie. »

On calomniait en effet les Girondins quand on les supposait capables de fuir. Leur inquiétude était celle qui porte, non à éviter le péril, mais à le détourner en le dominant. Par malheur, des deux routes qui pouvaient conduire à maîtriser la situation, ils choisirent la moins incertaine en apparence, la moins orageuse, et.... la pire. Ils voulurent reconquérir le ministère, ils

'Lettre du comte de Montmorin au comte de La Marck, dans la Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck, t. III, p. 327.

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le voulurent avec passion, ce qui leur souffla le désir de sauver le trône, au moment même où les flots de l'opinion soulevée le couvraient déjà de leur écume. Le 20 juin venait d'avoir lieu; le coup de tonnerré du 10 août allait éclater, et, dans l'intervalle, à quoi songe la Gironde? A négocier mystérieusement avec la Cour sa rentrée aux affaires.

Ce fut à un peintre au pastel, nommé Boze, que Vergniaud, Guadet et Gensonné s'adressèrent pour entamer cette négociation si téméraire, et, dans un pareil moment, si étrange. Ils le chargèrent de remettre à Thierry, valet de chambre de Louis XVI, une lettre signée par laquelle ils annonçaient au roi qu'une insurrection formidable se préparait; que la déchéance, et quelque chose de plus terrible encore peut-être, en serait le résultat ; qu'un seul moyen restait de conjurer cette catastrophe, et que ce moyen était de rappeler au ministère, dans huit jours au plus tard, Roland, Servan et Cla vière1.

L'ambition de reconquérir le pouvoir tourmentait si fort les Girondins, que le lendemain du 20 juin, Chabot ayant rencontré Brissot dans l'allée des Feuillants, et lui reprochant d'avoir fait reculer la liberté la manifestation irrégulière de la veille, celui-ci répondit: « Vous vous trompez, elle a produit tout l'effet

par

On pourrait douter de ce fait s'il n'était attesté que par Bertrand de Moleville, fort porté à sacrifier la vérité à ses fureurs d'homme de parti; mais, sur ce point, à l'affirmation contenue dans les Mémoires particuliers de Bertrand de Moleville, t. II, ch. xxvi, p. 142, se joignent des preuves irrécusables. La lettre en question fut effectivement trouvée plus tard chez le roi; elle fut déposée au comité de surveillance et devint une des armes dont on se servit contre les Girondins, lors de leur procès. Voy. l'Acte d'accusation dressé contre eux par Amar, et aussi la déposition de Chabot, dans l'Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 446, et t. XXX, p. 43.

que nous en attendions. Roland, Clavière et Servan vont rentrer au ministère1. >>

Aussi, lorsque dans la séance du 24 juillet, Duhem demanda que la question de la déchéance fût immédiatement discutée, ce fut Vergniaud, Vergniaud lui-même, qui adjura l'Assemblée nationale « de ne se laisser ni entraîner par des mouvements désordonnés ni subjuguer par de vaines terreurs*. »

Le surlendemain, la pensée du parti se révéla bien plus clairement encore. L'Assemblée discutait un décret ayant pour objet d'investir les municipalités du droit d'arrêter les citoyens prévenus de complots contre la Constitution et la sûreté de l'État. Brissot prend la parole, et après avoir proclamé la nécessité de cette sorte de dictature municipale, lui, l'initiateur intrépide du mouvement républicain en France, lui, le hardi signataire de la pétition républicaine qui avait amené le massacre du Champ de Mars, le voilà qui, à la grande stupéfaction des tribunes, se met à tonner contre « la faction des régicides qui veut créer la République! » Le voilà qui s'écrie: « S'il existe des hommes qui travaillent à établir maintenant la République sur les débris de la Constitution, le glaive de la loi doit frapper sur eux comme sur les amis actifs des deux Chambres et sur les contre-révolutionnaires de Coblentz3 !

En même temps, au nom de la commission des Douze, Guadet venait proposer à l'Assemblée une adresse qui concluait ainsi :

« Vous pouvez encore, Sire, sauver la patrie et votre couronne avec elle: osez enfin le vouloir. Que le nom

Déposition de François Chabot, dans le procès des Girondins. Histoire parlementaire, t. XXX, p. 41.

2 Discours de Vergniaud, dans la séance du 24 juillet 1792. 'Discours de Brissot, dans la séance du 26 juillet 1792.

de vos ministres, que la vue des hommes qui vous entourent, appellent la confiance publique; que tout, dans vos actions privées, dans l'énergie et l'activité de votre conseil, annonce que la nation, ses représentants et vous, vous n'avez qu'un seul désir, celui du salut public.

Ce projet d'adresse avait été préalablement concerté dans les conciliabules de la Gironde: Brissot se hâta de l'appuyer, mais comme, pour arriver à leur but, les Girondins avaient besoin de bien montrer à Louis XVI qu'ils pouvaient à leur gré le sauver ou le perdre, Brissot demandait que, sans rien précipiter sur la question de la déchéance, l'Assemblée chargeât son Comité des Douze d'examiner quels étaient les cas légaux de déchéance, et si les actes de Louis XVI rentraient dans les prévisions de la loi.

C'était dire au pauvre monarque: Que la royauté nous prenne pour ses conseillers, ou qu'elle tremble de nous avoir pour ennemis; car nous portons dans les plis de notre manteau la paix ou la guerre.

Mais une pareille tactique avait quelque chose de trop transparent le discours de Brissot fut couvert de murmures. Les tribunes criaient: A bas, scélérat de Barnave! A bas, homme à double face! Et, pour comble, les royalistes applaudissaient1!

Aux Jacobins, on le devine, il y eut explosion. « Il a dit, s'écria Antoine indigné, il a dit que l'opinion publique n'était pas assez formée sur la déchéance. N'estce pas montrer à tous les yeux clairvoyants que son

L'Ami de la Constitution, cité dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 485. De son côté, Mathieu Dumas, présent à la séance, dit dans ses Souvenirs, t. II, p. 403 et 404, que Brissot fut hué par les tribunes. Tout ceci, au reste, avoué à demi par Brissot lui-même dans le compte rendu de la séance par le Patriote français, no 1077.

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