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vieille superstition, absurde, mais trop réelle : « Les hommes attachent au mot de roi une vertu magique qui préserve leur propriété. (Voy. les pages du livre précité 537, 538 et 539.)

On a vu combien Danton figure peu dans tous ces préparatifs du 10 août. Son nom ne parait guère qu'au bas d'un arrêté de la section des Cordeliers qui demande, non pas comme Robespierre l'avait demandé l'avant-veille aux Jacobins, que les citoyens passifs soient appelés à concourir à une constitution future, mais tout simplement qu'ils interviennent, aux termes mêmes de la constitution alors en vigueur, pour la protéger et la défendre. Dans l'embarras où cette éclipse de Danton semble mettre M. Michelet, que fait-il? Il prend le parti de le supposer là où il ne peut l'apercevoir. Par exemple, Manuel obtient-il que les sections aient un bureau central de correspondance, M. Michelet écrit entre parenthèses que ce fut « sans aucun doute sous l'influence de Danton. » (Voy. p. 525.) Plus loin, après avoir avancé, sans en fournir aucune preuve et sans citer ses autorités-ce qu'il ne fait jamais, du reste -que Vergniaud et Danton paraissent les seuls qui, à cette époque, aient été immuablement opposés à l'idée de quitter Paris, il ajoute « La chose est à peu près certaine pour Danton. » (P. 541.) Dejà, en parlant d'un discours qu'un inconnu vint prononcer aux Jacobins et qu'il trouve fort beau, M. Michelet avait tenté — toujours par le même procédé d'en attribuer l'honneur à Danton: « La scène qui va suivre fut-elle arrangée par Danton pour entraîner les Jacobins, ou bien fut-elle un fait tout spontané, une inspiration toute populaire? Je n'essayerai pas de le décider.» (Voy. p. 468.) En vérité, c'est trop donner au système des suppositions et des à peu près, surtout quand cela ne doit avoir pour effet que d'enfler la renommée de certains hommes qu'on aime, aux dépens de certains autres qu'on n'aime pas. L'histoire n'admet pas ces préférences d'artiste; elle veut qu'on se décide d'après des faits. C'est une muse sévère.

Et notez que les antipathies de M. Michelet ne sont pas plus fondées en fait que ses sympathies. Ainsi, Robespierre a beau prendre au mouvement une part plus active et plus ostensible que Danton; il a beau se mettre en avant aux Jacobins, pour conclure à la déchéance et, la déchéance obtenue, à une solide organisation de la souveraineté du peuple, de tout le peuple; il a beau se mêler des détails mêmes de l'attaque prévue, comme lorsqu'il fait demander et demande lui-même à Barbaroux l'établissement de la caserne des Marseillais aux CordeJiers..., M. Michelet n'est pas satisfait. Il reproche à Robespierre, lui qui n'a rien à objecter au silence de Danton, il lui reproche, p. 535, de n'avoir pas parlé le 3 et le 4 août, ce qu'il avait fait cependant le 29 juillet et ce qu'il fit encore le 6 août, c'est-à-dire quand le terrain devenait absolument brûlant; il lui reproche, p. 523, de n'avoir indiqué d'autre remède à la situation qu'une convention nationale; attendu que « une médecine tellement expectante eût eu l'effet naturel

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de laisser mourir le malade, » donnant ainsi à entendre que Robespierre voulait la convocation du peuple avant la déchéance, tandis qu'il la demandait après, afin, comme il l'expliqua lui-même, « que le despotisme ne restât pas quand le fantôme appelé roi aurait disparu. Comment, avec le discours de Robespierre sous les yeux, M. Michelet a-t-il pu commettre une pareille erreur? Comment a-t-il pu insinuer que Robespierre entendait subordonner le renversement du trône à la lenteur des formalités légales, alors que le langage de Robespierre était celui-ci : « Il faut que l'État soit sauvé, DE QUELQUE MANIÈRE QUE Ce soit, ET IL N'Y A D'INCONSTITUTIONNEL QUE CE QUI TEND A SA RUINE.>> (Voy. le discours de Robespierre dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 222.) M. Michelet n'est pas moins injuste quand il dit, p. 535, que le soir du 3 août Robespierre « s'abstint très-probablement d'aller aux Jacobins pour n'exprimer aucune opinion sur les mesures immédiates qu'il convenait de prendre. » C'est un étrange procédé historique, il en faut convenir, que ce très-probablement qui revient sans cesse dans M. Michelet, et qui, toujours employé en faveur de Danton, se trouve invariablement employé contre Robespierre. Admirez l'effet de la prévention! C'est de Robespierre que M. Michelet dit, p. 547, « qu'il veillait de près le mouvement, se tenait prêt à profiter. » Or, qui profita? Fut-ce Robespierre? Non, ce fut Danton, que le 10 août fit ministre de la justice, et qui, selon l'affirmation de Prudhomme, non mentionnée par M. Michelet, se plaignait, la veille même du 40 août, de ce que les patriotes étaient sans places et n'avaient rien gagné à la Révolution !

Pour ce qui est de l'idée de quitter Paris, idée que M. Michelet attribue, p. 541, à tous « ceux qui influaient, » sauf Danton et Vergniaud, < chose certaine pour Vergniaud, » dit-il, et « pour Danton à peu près certaine,» où est la preuve de cette allégation? Il est bien vrai que Barbaroux impute à Marat d'avoir formé le dessein de se retirer à Marseille déguisé en jockey; il est bien vrai que Barbaroux lui-même ne fut pas sans songer, de concert avec Roland et Servan, aux ressources que le midi pouvait offrir aux derniers défenseurs de la liberté. Mais où est la preuve que Camille Desmoulins, que Billaud-Varennes, que Carra, qu'Antoine, que Chabot, que Merlin de Thionville, que Robespierre, que Brissot inclinassent à la fuite? Brissot, par exemple, accusé d'avoir pris un passe-port pour l'Angleterre, ne lança-t-il pas publiquement à ses accusateurs un défi que nul n'osa relever? Et peut-on admettre un seul instant que Robespierre eût l'idée de quitter Paris, quand tous les discours d'alors le montrent si profondément préoccupé des moyens de fixer à Paris d'une manière solide, pour jamais, la souveraineté du peuple, une fois vainqueur? Non, non, les révolutionnaires de cette grande époque ne doutèrent pas à ce point de la liberté. Maintenant de la mort l'amertume est passée! Voilà ce qu'avait dit Camille, et tout concourt à prouver que la plupart le pen

sèrent.

CHAPITRE XV.

RENVERSEMENT DE LA ROYAUTÉ.

Le 10 août, vraie bataille rangée. On s'y prépare ouvertement de part et d'autre. Revue des forces. Tableau d'intérieur.

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sa mort.
du château.

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- Promenade fatale.

Antoinette. Rôle de Roederer.

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Anxiété des révolutionnaires. Nuit du 9 au 40.- Marat dans son souterrain.-Aspect du château pendant la nuit. - Le tocsin de SaintGermain l'Auxerrois! — Pétion entre les mains de ses ennemis. Rapports nocturnes de Blondel. - Terreurs de Lucile Desmoulins.— Naissance de la Commune du 10 août. Mandat à l'hôtel de ville; Calomnie royaliste. — Attitude des Suisses, défenseurs Imprudentes paroles de Marie- La famille royale abandonne le château; circonstances qui marquent son départ pour l'Assemblée. - Le trajet du jardin des Tuileries. — Louis XVI dans la loge du Logotachygraphe. Mort de Suleau. Effet produit sur les Suisses par le départ du roi. Le peuple devant le château. Caractère général du mouvement du 10 août. Les Suisses veulent se rendre. - D'où vinrent les premiers coups de feu. - Massacre du Vestibule. - Sortie meurtrière des Suisses. - Aspect de l'Assemblée, au bruit du canon. Louis XVI, dans la loge du Logotachygraphe, mange une pêche; Marie-Antoinette tout entière au combat. — Ordre écrit remis à d'Hervilly; particularités curieuses qui s'y rattachent. cri trahison poussé dans tout Paris. - Apparition des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau. Renouvellement de l'attaque.. Intrépidité des assaillants, intrépidité égale des Suisses; ces derniers battent en retraite. Circonstances tragiques de cette reNapoléon dans la boutique de Fauvelet, sur le Carrousel. La voiture de Mme de Staël arrêtée. Le peuple vainqueur. Scènes de rage. Scènes de désintéressement.

traite.

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gnanimité. Mort de Clermont-Tonnerre.

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Scènes de maNombre des victimes.

Les Girondins, dans cette grande crise. Danton endormi; Fabre d'Églantine le réveille, pour lui apprendre qu'il est ministre. Paris, dans la soirée du 40 août. — Critique historique.

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Le 10 août eut tous les caractères de la fatalité. Rien n'y fut donné à la surprise ou au hasard. De part et d'autre, on s'y prépara, lentement, solennellement,

au grand jour, comme à une bataille inévitable et décisive.

Presque à la veille de l'insurrection, des pétitionnaires du champ de Mars allaient l'annoncer en ces termes à l'Assemblée : « La patrie est en danger, cela signifie : Nous sommes trahis.... Il faut du fer, des piques, un appareil menaçant, partout où respirent des ennemis de l'égalité. Que les plus puissants soient atteints les premiers, et le reste épars retourne au néant. »

Et ceux qui parlaient ce terrible langage s'étaient présentés, précédés d'un bâton que surmontait un bonnet rouge, avec cet écriteau: Suppression du pouvoir persécutif1.

De leur côté, les défenseurs du trône tenaient tête au péril avec une hardiesse qui n'était pas dénuée d'espoir. La section de l'Arsenal protesta énergiquement contre la dernière adresse lue par Pétion; la ville de Nancy se déclara d'une manière formelle pour les constitutionnels, contre les Jacobins; plusieurs conseils généraux de département se prononcèrent dans le même sens, celui de la Meuse, par exemple; celui de l'Isère, celui de la Seine-Inférieure; enfin un événement auquel personne ne s'attendait vint prouver qu'au nombre de ses appuis la royauté pourrait compter, au besoin.... l'Assemblée, oui l'Assemblée elle-même. Le 8 août, le décret d'accusation contre Lafayette, combattu par Vaublanc et demandé par Brissot, fut rejeté par 406 voix contre 2243.

Cette énorme majorité, accordée, au milieu du déchaînement des esprits, à un général que l'hôtel de ville, les faubourgs, les clubs, s'accordaient à dénoncer comme un traître, annonçait assez de quelle confiance

'Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 442 et 443.

* Ibid., p. 442.

3 Ibid.

les ennemis des Jacobins se sentaient encore animés. Des cris de rage, partis des tribunes, furent répétés avec un farouche délire par la foule qui environnait la salle et en inondait les abords. A leur sortie de l'Assemblée, plusieurs députés du côté droit se virent assaillis d'injures. Dumolard, Vaublanc, Daverhoult, Froudière durent chercher refuge dans le corps de garde de la cour du Palais-Royal, et n'échappèrent aux fureurs de la multitude qu'en s'évadant par une fenêtre. Mathieu Dumas fut attaqué par des femmes de la halle, foulé aux pieds, et courut risque de la vie'. Une belle parole vengea les Feuillants de l'humiliation de ces outrages un d'eux, Girardin, se plaignant à l'Assemblée d'avoir été frappé, et entendant une voix qui lui criait ironiquement: « Où ?» répondit : « Par derrière. Estce que les assassins frappent autrement?? »

Mais cette ferme attitude de quelques-uns des contrerévolutionnaires ne faisant qu'enflammer la colère de leurs ennemis, tout Paris s'agita convulsivement. Le long de la rue Saint-Honoré, vous eussiez vu défiler, avec une solennité sombre, des milliers de citoyens se tenant deux à deux et ne dissimulant pas qu'ils allaient chercher au faubourg Saint-Antoine le mot d'ordre de la patrie en danger. Les Jacobins, de leur côté, s'étaient réunis dans leur salle. Chabot, selon ses propres expressions, courut y sonner le tocsin, et promit d'aller le sonner le lendemain au soir dans les faubourgs'.

Le lendemain était le 9 août. Pour mettre à couvert la responsabilité de Pétion, les mencurs avaient résolu

Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 451 et 452.

Montjoie, Histoire de Marie-Antoinette, p. 361.

Histoire de la Révolution, par deux amis de la Liberté, t. VIII, 3 époque, p. 142.

Déposition de Chabot, dans le procès des Girondins.

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