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royale dans la province de Normandie, où il commandait, mettait généreusement à la disposition de Louis XVI toute sa fortune, à cent louis de rente près, c'est-àdire un million'.

Et cependant, que d'angoisses à traverser jusqu'à ce que sonnât l'heure formidable! Prompte à passer de la confiance à l'abattement, quelquefois Marie-Antoinette parlait comme si elle n'eût plus aperçu autour d'elle que les pâles messagers de la mort. Un jour, elle disait : « Je commence à redouter un procès pour le roi ; quant à moi, je suis étrangère, ils m'assassineront. Que deviendront nos pauvres enfants? » Et elle versait un torrent de larmes. Un autre jour : « J'aimerais mieux une longue captivité, dans une tour, au bord de la mer3. » Mais elle laissait ensuite prendre le dessus à ce qu'il y avait d'indomptable dans son cœur. Mme Campan lui ayant fait faire un corset semblable au gilet du roi, sa fierté ne put jamais se plier à tant de précautions. Elle craignait la mort, elle la bravait.

Et les meneurs révolutionnaires, les meneurs en renom, que faisaient-ils dans cet intervalle?

Danton paraissait peu. Pas plus que Robespierre, on ne l'avait vu figurer, le 26 juillet, dans le conciliabule du Soleil d'or; il ne devait point figurer davantage dans celui du Cadran bleu dont nous allons parler; il ne faisait point partie du Comité secret d'insurrection, formé aux Jacobins, lequel se composait de cinq membres assez obscurs: Vaugeois, grand-vicaire de l'évêque

Mémoires particuliers de Bertrand de Moleville, t. II, chap. XXVII, p. 133, 435.

"Mémoires de Mme Campan, t. II, chap. xx, p. 219.

Ibid., chap. xxi, p. 239.

* Précis historique et très-exact sur l'origine et les véritables causes de la célèbre insurrection du 10 avút, par Carra.-Carra donne les noms de tous les citoyens qui se réunirent au Soleil d'or; il ne nomme pas Danton. 35 Ibid.

de Blois; Debessé, du département de la Drôme; Guillaume, professeur à Caen ; Simon, journaliste de Strasbourg, et Galissot, de Langres; enfin, il ne fut pas au nombre des citoyens qu'on adjoignit à ce comité, et qui étaient Fournier l'Américain, Westermann, Kienlin, Santerre, Alexandre, Lazouski, Lagrey, Garin et Antoine'.

Robespierre et Danton avaient-ils été mis en réserve pour le moment décisif? Les Jacobins avaient-ils craint de compromettre prématurément deux hommes dont l'influence était si précieuse? Le Comité Vaugeois, Carra, Santerre, Westermann, n'était-il que le pouvoir exécutif en quelque sorte de la pensée insurrectionnelle? C'est probable. Ce qui est sûr, c'est que Robespierre et Danton poussaient au mouvement, chacun à sa manière: le premier en s'occupant à pourvoir au lendemain de la déchéance, en préparant les esprits à un ordre de choses tout nouveau, en montrant l'impuissance de l'Assemblée legislative à diriger la tempête, et en appelant le peuple, sans distinction cette fois de citoyens actifs et de citoyens passifs, à exercer sur les ruines des pouvoirs du jour son droit souverain; le second, en répandant autour de lui les passions brûlantes dont il était animé, et en faisant appel aux idées justes, aux légitimes colères, aux sentiments généreux, mais aussi, il faut bien le dire, à de basses ambitions, comme lorsqu'on l'entendit s'écrier dans son langage puissant et cynique, à propos des places à conquérir: « Cette garce de Révolution est ratée : les patriotes n'y ont encore rien gagné3. »

'Précis historique sur l'insurrection du 10 août, par Carra.

2 Discours prononcé par Robespierre, aux Jacobins, dans la séance du 29 juillet 1792. Voy. le Défenseur de la Constitution, no 44. Prud'homme, Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution francaise, t. IV, p. 64. Paris, an v de la République.

L'exaspération générale ayant atteint ses dernières limites, il semble que Marat eût dû respirer à l'aise. Cet esprit de révolte qu'il avait tant invoqué, il possédait enfin, il tourmentait Paris : Marat devait se sentir heureux.... Eh bien, non; transporté de fureur aussi longtemps que tout était demeuré calme autour de lui, ce génie orgueilleux et malade était devenu timide à l'excès dès qu'autour de lui tout n'avait plus été que bouillante audace. Dans son souterrain, il supputait tristement les mauvaises chances, calculait les périls de la chose publique et les siens propres. Il écrivait à Barbaroux de l'emmener à Marseille, où il songeait à se réfugier, déguisé en jockey1.

Tout autre se montra Camille Desmoulins. Le 6 juillet, il lui était né un fils, qu'il avait nommé Horace, et qu'il avait présenté à la patrie, en dehors de toute cérémonie religieuse, voulant, selon ses propres expressions, s'épargner un jour, de la part de son enfant, le reproche de l'avoir lié à des opinions religieuses qui ne pouvaient pas encore être les siennes, et de l'avoir fait débuter dans le monde par un choix inconséquent entre neuf cents et tant de religions qui partagent les hommes2. >> Un lien nouveau, de tous le plus fort et le plus doux, rattachait donc Camille à la vie. Et pourtant, jamais il n'en fut plus prodigue, jamais il ne se rappela si bien ces nobles paroles qu'autrefois il écrivait à son père : « Quand on me parle des dangers que je cours

1 Mémoires de Barbaroux, ch. v, p. 60-62. — Barbaroux étant devenu l'ennemi de Marat lorsqu'il consignait ce fait dans ses Mémoires, peut-être serait-on en droit de récuser son témoignage, s'il ne se trouvait d'accord avec la conduite que Marat tint dans ces circonstances. Il ne parut nulle part, se tint caché dans son souterrain pendant toute la journée du 10 août, et n'en sortit qu'après le combat, qu'après la victoire.

2 Etudes révolutionnaires d'Ed. Fleury. Camille Desmoulins · t. I, p. 250 et 251.

et qu'il m'arrive d'y réfléchir, je regarde ce que nous étions, ce que nous sommes, et je me dis à cette vue: A présent, de la mort l'amertume est passée. Tant de gens vendent leur vie au roi pour cinq sous! Ne feraije rien pour l'amour de ma patrie, de la vérité et de la justice? Je m'adresse ce vers, qu'Achille dit à un soldat dans Homère :

< Et Patrocle est bien mort, qui valait mieux que toi! »

Non moins résolu, Robespierre apportait dans les préparatifs de la lutte une énergie plus calme et plus pensive. Autant que la victoire, la nécessité de la rendre véritablement profitable au peuple le préoccupait, comme on peut s'en convaincre par le long discours que, le 29 juillet, il prononça aux Jacobins.

de

Barbaroux raconte, dans ses Mémoires, que, peu jours avant le 10 août, Robespierre le fit prier par un abbé en guenilles de passer à la mairie; que lui, Barbaroux, se rendit à cette invitation; qu'il fut reçu, à l'hôtel de ville par Fréron et Panis, et que ceux-ci, après l'avoir engagé à faire quitter aux Marseillais les casernes du haut de la Chaussée-d'Antin pour celles des Cordeliers, plus avantageusement situées en cas d'attaque, se mirent à l'entretenir vaguement de la nécessité d'un dictateur. Il ajoute : « Le lendemain, on m'invita à une autre conférence chez Robespierre. Je fus frappé des ornements de son cabinet c'était un joli boudoir où son image était répétée sous toutes les formes et par tous les arts.... L'abbé et Panis étaient avec lui. Baille et Rebecqui m'accompagnaient.... il fut question de placer les Marseillais aux Cordeliers. Ensuite Robespierre, parlant de la Révolution, se vanta beaucoup de

:

'Lettre de Camille Desmoulins à son père, dans le n° 7 des Révolutions de France et de Brabant.

2 Mémoires de Barbaroux, ch. v, p. 62 et 63.

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l'avoir accélérée; mais il soutint qu'elle s'arrêterait si quelque homme extrêmement populaire ne s'en déclarait le chef et ne lui imprimait un nouveau mouvement. « Je ne veux pas plus d'un dictateur que d'un roi, » lui répondit brusquement Rebecqui, et la conversation fut rompue. En sortant, Panis nous serra la main : « Vous <<< avez mal saisi la chose, nous dit-il, il ne s'agissait que « d'une autorité momentanée, et Robespierre est bien «<l'homme qui conviendrait pour être à la tête du peuple. N'insistez pas, repartis-je, les Marseillais «ne baisseront jamais les yeux devant un dictateur'. >> Il ne faut pas oublier que, vaincu et proscrit à l'époque où il traçait ces lignes, Barbaroux, en parlant de Robespierre, parlait de son plus mortel ennemi. Son témoignage ici ne devrait donc être admis qu'avec beaucoup de réserve, alors même qu'il n'existerait aucun fait éclatant de nature à le démentir. Or, ce fait existe : c'est le discours que nous avons déjà cité, le discours où Robespierre développa, devant les Jacobins, presque à la veille du 10 août, les nécessités de la situation. Rien de plus inconciliable avec cette idée de dictature dont, sur un mot de Panis—celui-ci le nia formellement, du haut de la tribune de la Convention, comme nous le verrons plus bas - Barbaroux fait un crime à Robespierre. Quelles sont en effet, dans la harangue en question, les mesures de salut public que Robespierre indique? Demande-t-il que, la déchéance une fois prononcée, l'action des principes soit suspendue, et que, momentanément du moins, le peuple abdique entre les mains d'un tribun rendu tout-puissant? Non, ce qu'il demande, au contraire, c'est que, le trône renversé, on se garde de remplacer un despotisme par un autre des

2

'Mémoires de Barbaroux, chap. v, p. 63 et 64.

Voy. le discours de Panis, dans la séance du 25 septembre 1792.

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