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bespierre et Antoine, ce qui était les confondre avec les conspirateurs royalistes, ce qui était les livrer à l'échafaud1!

Il est probable que Santerre, averti à temps, craignit, en abandonnant les faubourgs à l'impulsion de Barbaroux, de mettre au service d'un parti qui n'était pas le sien les forces dont il disposait.

Quoi qu'il en soit, la présence des Marseillais avait profondément troublé les royalistes. C'est une chose terrible que la calomnie au service de la peur. Elle avait pris les devants, à l'égard de ces intrépides enfants du Midi. Déjà des libelles payés par la liste civile les avaient représentés comme un impur ramas de galériens échappés du bagne de Toulon, de forçats gênois ou liguriens, de renégats vomis sur la côte de Provence par les tartanes de Maroc. On assurait qu'ils avaient tout fait trembler, tout pillé sur leur route. On ne parlait que des dangers de Paris, maintenant abandonné à leurs fureurs. Le fait qu'en traversant la ville, ils avaient offert aux passants d'un air impérieux, en échange de cocardes à rubans, de simples cocardes de laine, fut cité comme le prélude des plus affreux malheurs. Mais comment se délivrer de ces hommes redoutables? Comment obtenir de l'Assemblée qu'elle les envoyât à la frontière tuer et mourir? Une circonstance fût-ce hasard, fût-ce calcul? -vint très à propos, sur ce point, servir le vœu des royalistes. Le lendemain même de leur arrivée, les Marseillais ayant été invités à prendre part, dans les Champs-Élysées, à un frugal banquet, il se trouva que près du lieu où on les con

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Voy. à cet égard le témoignage formel de Chabot, dans sa déposition juridique, confirmé d'ailleurs de tout point par le compte rendu de la séance du 4" août 1792 au club des Jacobins, où le fait fut certifié par Défieux et garanti par Merlin de Thionville.

"Histoire parlementaire, t. XVI, p. 197.

duisit, étaient attablés, dans un jardin, un certain nombre de grenadiers de la section des Filles-Saint-Thomas, parmi lesquels des Feuillants et des royalistes bien connus le créole Moreau de Saint-Méry; Pigeon, employé au Journal de la Cour et de la ville; Regnaud de Saint-Jean-d'Angély; Berger, attaché aux anciens domaines du roi; Marquant, un des valets de garde-robe de Marie-Antoinette'. Si, dans la chaleur du vin les convives royalistes insultèrent la foule, ou furent insultés par elle, c'est ce qui, au milieu des affirmations contraires, est demeuré incertain. Toujours est-il que le peuple, menacé par le sabre des grenadiers, ayant crié : Anous, Marseillais! ceux-ci s'élancèrent, franchirent les palissades, joignirent les grenadiers, et, après un court combat, les mirent en déroute. De ces derniers, plusieurs furent blessés. Un agent de change, nommé Duhamel, paya de sa vie un coup de pistolet tiré par lui sur ceux qui le poursuivaient. Une chose remarquable, c'est que les grenadiers dirigeant leur fuite vers le château, le pont-levis des Tuileries se baissa pour les recevoir, et se releva aussitôt pour repousser leurs adversaires. Ils montèrent dans la demeure royale, et là, les dames de la Cour vinrent leur prodiguer les soins les plus affectueux. Une d'elles témoignait des alarmes sur son mari: « Ne craignez rien, lui dit la reine, votre mari n'y était pas. » La reine le savait-elle ?

Paris s'émut, en sens divers, de cette rixe sanglante. Le commandant-général, des aides de camp, courent à la mairie, comme saisis d'épouvante et croyant déjà la capitale en feu. Sur un ordre émané de la Cour, ou bat la générale; les Tuileries sont entourées de gens en

Révolutions de Paris, n° 460.

2 Mémoires de Barbaroux, ch. v, p. 54. Voy, aussi Pièces importantes pour l'histoire.

armes; des bataillons marchent de tous côtés dans les rues avec leurs canons, et les gardes des Filles-SaintThomas se rassemblent en tumulte sur la place Favart, prêts à aller assiéger, à la Nouvelle-France, la caserne des Marseillais'.

Arrive Mathieu Dumas, qui venait d'apprendre que, dans la funeste collision, deux de ses parents avaient été blessés. Il propose au bataillon des Filles-SaintThomas, qui frémissait de rage, de se transporter au café de Saint-Florentin où gisait le corps de Duhamel, de prendre le cadavre, et de venir le présenter à la barre de l'Assemblée, se chargeant lui-même du soin de demander vengeance, au nom de la garde nationale de Paris. Cela est convenu, et Mathieu Dumas se rend à son poste en toute hâte. Mais au lieu du coup de théâtre qu'il attendait, il n'eut devant lui que la scène humiliante de quelques gardes nationaux qui, accourus pour se plaindre, virent leurs plaintes étouffées par les murmures de la gauche et les clameurs des tribunes.

Quand une cause est perdue, rien qui ne tourne contre elle, même ce qui semblerait devoir la servir. Ce qui resta de cette querelle, ce fut le sang des défenseurs de la Cour versé, un redoublement d'enthousiasme populaire à l'égard des Marseillais, et, dans la masse des habitants de Paris un surcroît d'agitation, d'implacables défiances et de haines farouches.

La Cour, du reste, ne s'abandonnait pas elle-même. Un grand nombre de lits de camp avaient été disposés dans les combles du château'. Le bruit se répandit qu'il se

'Pièces importantes pour l'histoire, citées dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 499.

2 Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 448 et 449.

4

Ibid., p. 419.

Sergent, Notice historique sur les événements des 20 juin et 40 août. Voy. le numéro de la Revue rétrospective, cité dans le chapitre intitulé le Peuple aux Tuileries.

formait, aux Tuileries, un amas d'armes et d'habits militaires'. Une foule de hardis gentilshommes dont l'intrépide d'Hervilly animait et gouvernait l'ardeur se tenaient prêts pour le combat, où ils devaient figurer sous l'uniforme des Suisses. Plusieurs bataillons de la garde nationale, entre autres celui des Filles-SaintThomas, brûlaient d'en finir avec la Révolution, et promettaient à la royauté l'appui d'un emportement sauvage. Les constitutionnels, de leur côté, avaient demandé la permission d'entrer dans le palais du roi, quand il en serait temps, pour contribuer à le défendre; et repoussés, parce que les courtisans ne les voulaient point admettre au partage de la victoire attendue, ils erraient autour du château, décidés « à se faire massacrer, dit Mme de Staël, pour se consoler de ne pouvoir se battre. » De ce nombre étaient Lally-Tollendal, Narbonne, La Tour-du-Pin Gouvernet, Castellane, Montmorency.

Pendant ce temps, grâce aux soins vigilants de Bertrand de Moleville, il s'établissait, dans une maison du Carrousel, en face des Tuileries, sous le titre de Club français, un point de ralliement pour tous les officiers et soldats au service de la Cour. On y attacha six ou sept cents auxiliaires, choisis principalement dans la manufacture de Périer, dont plusieurs chefs d'atelier étaient de zélés royalistes. La solde des chefs était de 5 livres par jour, et celle des ouvriers de 40 sols les jours où ils seraient employés, de 10 sols les jours où ils ne l'étaient pas'. On destinait cette troupe à prendre

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'Lettre du procureur général syndic Roederer au ministre de l'intérieur. Recueil de documents officiels relatifs au 10 août, dans la Révue Rétrospective, n° 3, 2a série, mars 1835.

* Considérations sur la Révolution française, 3 partie, chap. IX.

5 Mémoires particuliers de Bertrand de Moleville, t. II, chap. xxiv,

place dans la lutte, en bonnet rouge et la pique à la main', pour diviser et faire hésiter le peuple. Une autre bande d'hommes résolus, choisis de même dans les faubourgs, fut placée sous les ordres d'un Marseillais, contre-révolutionnaire fougueux, dont l'aide de camp joignait à une bravoure extraordinaire le talent de changer sa figure et son langage aussi aisément que son costume et son nom, au moyen de quoi il se faisait passer tantôt pour un patriote de Marseille, tantôt pour un enfant du faubourg Saint-Antoine, pénétrait dans tous les groupes, se glissait dans toutes les tavernes patriotes, plongeait au fond de tous les complots'.

Ajoutez à cela que, protégé à cette époque, du côté du Carrousel, non plus comme aujourd'hui par une simple grille, mais par des murs, le château des Tuileries était une véritable forteresse; de sorte que, pour renverser la royauté, il fallait commencer par la prendre d'assaut!

Ainsi, la Cour pouvait, sans trop de témérité, ce semble, nourrir l'espoir de vaincre; voilà probablement ce qui explique l'obstination de Louis XVI à repousser l'un après l'autre les divers plans d'évasion qui alors lui furent de toutes parts proposés, et dont quelques-uns paraissaient présenter des chances certaines de succès3.

Il est vrai que la réussite eût exigé le sacrifice de certaines répugnances personnelles de la reine, et ce sacrifice, nulle considération ne fut capable de le lui arracher. Déjà elle avait rejeté avec dédain les offres de Lafayette; elle en agit de même avec le duc de Liancourt, qui, non content de préparer un asile à la famille

'Mémoires particuliers de Bertrand de Moleville, t. II, chap. xxiv, p. 75.

2 Ibid.

* Voy. les détails de celui qui fut proposé en vain par Bertrand de Moleville, dans ses Mémoires particuliers, t. II, chap. xxvii.

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