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société tout entière, saisie d'un violent transport d'indignation, lui avait imposé silence; et, depuis, Carra s'était senti poursuivi de tels soupçons, qu'au commencement de la guerre, il était allé déposer, à la barre de l'Assemblée législative, en guise d'abjuration, une boîte d'or dont le roi de Prusse lui avait jadis fait présent'.

Rapprochements étranges! Le 25 juillet, Brunswick publie, la douleur dans l'âme, un manifeste qui doit le rendre odieux à la nation française. Le même jour, Carra demande implicitement pour le duc une couronne, la couronne de France. Et le lendemain, 26 juillet, Carra est, nous l'avons vu, au Soleil d'Or, concertant avec Santerre et les révolutionnaires les plus fougueux, les moyens de détrôner Louis XVI!

La trop célèbre déclaration fut connue à Paris, dès le 28.Chez les uns, elle n'éveilla qu'un sentiment de mépris, mais chez les autres elle excita des colères désormais inapaisables. Ah! l'on osait crier à la France, même avant la bataille : « Rends tes armes ! » Eh bien, comme ce héros de l'antiquité, elle répondrait : « Viens les prendre ! » Ah! on prétendait lui imposer le roi ! Eh bien, elle le renverserait. Dès ce moment, l'idée de l'insurrection, partielle encore et flottante, devient générale et acquiert une précision formidable. Chacun jure de vaincre pour la Révolution, de vaincre pour l'égalité. Les enrôlements furent plus nombreux et plus solennels que jamais. La certitude d'écraser l'ennemi et la joie de le braver animaient tous les discours, étincelaient dans tous les regards. « Allons! disait Robespierre aux Jacobins, il faut que le peuple français soutienne le poids du monde. Il faut qu'il soit parmi les peuples ce qu'Hercule fut parmi les héros'. » Sur les

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Voy. la Bibliothèque historique de la Révolution, 670-4-2. British

museum.

Club des Jacobins, séance du 29 juillet. Voyez le journal du club à cette date.

48 sections, appelées à voter la déchéance, 47 la prononcent'. La section de Mauconseil va plus loin, elle déclare qu'à partir de ce jour, elle ne reconnaît plus Louis XVI pour roi des Français'. De son côté, acceptant, quoique d'une manière incomplète encore et timide, les conclusions d'un discours, bien plus hardi, prononcé l'avant-veille par Robespierre3, la section des anciens Cordeliers invoque, dans un arrêté signé Danton, Chaumette et Momoro, le courage des citoyens passifs, qu'elle excite, qu'elle pousse à s'armer pour la Constitution en péril'.

Malheureusement, à cette agitation héroïque se mêlèrent des encouragements vils et des désordres qui servirent à la calomnier. Hébert, dans sa feuille, poursuivait la reine des plus basses injures". On allait crier jusque sous les fenêtres du château la Vie de Marie-Antoinette, qu'accompagnaient des estampes indécentes; et ces estampes, des colporteurs les montraient aux passants. Les attroupements nocturnes se multiplièrent si fort, que la reine, effrayée, n'osa plus coucher dans son appartement du rez-de-chaussée des Tuileries, et monta au premier étage dans une pièce située entre l'appartement du roi et celui du dauphin". Les passions contraires se heurtant jusque dans la rue, il arriva qu'un jour, à la suite d'une rixe où le tort de la provocation resta douteux, Duval d'Épremesnil fut transporté tout meurtri au corps de garde du Palais-Royal, de ce même

Histoire parlementaire, t. XVI, p. 246.

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* Voy. le Journal du club des Jacobins, à la date du 29 juillet 1792. 4 Révolutions de Paris, no 460.

Voy. notamment les n° 462 et 163 du Père Duchesne, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, 1039-40-41. British mu

seum.

Mémoires de Madame Campan, t. II, ch. xxi, p. 233.

7 Ibid., p. 229.

Palais-Royal, d'où était parti en 1788 le rassemblement qui courait alors le protéger contre la Cour! Pétion entra; et le regardant fixement, d'Épremesnil lui dit : « Et moi aussi, Monsieur, j'ai été l'idole du peuple. » Pétion eut un rapide pressentiment de l'avenir: il s'évanouit'.

C'était sur la terrasse des Feuillants que d'Épremesnil avait été maltraité: une députation de gardes nationaux parut à la barre de l'Assemblée, disant qu'il n'était plus possible de garder le jardin des Tuileries, depuis que cette terrasse était ouverte au public, et demandant qu'elle fût fermée. Mais, le lendemain, le peuple établit, de lui-même, pour protéger la promenade du roi, une barrière ingénieuse et touchante. C'était un cordon de ruban tricolore, avec cette inscription: Que ceux qui ont brisé les chaînes du despotisme respectent ce simple ruban'. Et il fut respecté. Ce fut au point, qu'un jeune homme, sans prendre garde à la consigne, étant descendu dans le jardin, le peuple réuni sur la terrasse s'ameuta, et eût fait un mauvais parti à l'imprudent, s'il ne lui fût venu l'idée d'ôter ses souliers et d'essuyer avec son mouchoir le sable qui était aux semelles3, comme pour s'excuser d'avoir passé du territoire français sur le territoire autrichien. Car on se mit à distinguer de la sorte la partie du jardin ouverte à tous, et celle qui était réservée à la reine. Sans compter que la nature de la consigne populaire donna lieu à plus d'une devise menaçante, témoin celle-ci, qui résumait la situation d'une manière expressive: La colère

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« Quand le vertueux Pétion eut jugé à propos de terminer son évanouissement, etc...., etc...., » dit M. Georges Duval à cette occasion, dans ses Souvenirs de la Terreur, t. II, ch. xvII, p. 105. Ceci peut donner une idée du bon goût et de la bonne foi de certains écrivains royalistes.

2 Histoire parlementaire, t. XVI, p. 196.

Mémoires de Madame Campan, t. II, ch. xx1, p. 234.

du peuple tient à un ruban, la couronne du roi tient à un fil1. »

Ainsi, tout se précipitait vers le dénoûment final. Les Marseillais arrivèrent.

Barbaroux, Rebecqui, Pierre Baille, Bourdon, étaient allés au-devant d'eux. A Charenton, les chefs s'abouchent, et l'on arrête le plan à suivre. Santerre ayant promis de faire marcher les faubourgs à la rencontre des nouveaux venus, on convient que les Marseillais seront placés au centre de cette armée, qui semblait devoir être au moins de 40 000 hommes. Elle défilera le long des quais dans une attitude martiale, mais non insurrectionnelle. A l'hôtel de ville, on jettera mille hommes pour l'entourer et attendre que les sections aient nommé un autre conseil municipal. Quatre cents hommes sont jugés suffisants pour occuper la mairie, et quatre cents destinés à arrêter le Directoire. On occupera, au moyen de divers détachements, les postes de l'Arsenal, de la Halle au blé, des Invalides, les hôtels des ministres, les ponts; et pendant ce temps, l'armée, se portant aux Tuileries, sur trois colonnes, ira camper dans le jardin, jusqu'à ce que réparation de toutes les injustices ait été obtenue.

Dans la pensée de Barbaroux, l'auteur de ce plan, il s'agissait bien moins d'une insurrection proprement dite que d'une manifestation calculée de manière à empêcher l'effusion du sang, et, selon ses propres expressions, « digne de servir d'exemple aux peuples qui n'ont besoin pour briser leurs fers que de se montrer à leurs tyrans. Barbaroux écrivit au crayon ce qu'on vient de lire; Fournier l'Américain en prit copie; et, suivis de

'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 196.

2 Mémoires de Barbaroux, ch. v, p. 48-50. * Ibid., p. 51.

deux pièces de canon, les Marseillais, au nombre de 516 hommes', entrèrent dans Paris.

Mais Santerre n'avait pas tenu parole: au lieu des 40 000 faubouriens qui devaient se présenter pour les recevoir, les Marseillais ne virent venir à leur rencontre qu'une bande peu nombreuse de Parisiens armés de coutelas et de piques'.

Pour s'expliquer ce qui, dans un tel moment, arrêta tout à coup Santerre, il faut se rappeler qu'il était l'homme de Robespierre, l'homme des Jacobins, et que Barbaroux, quoique agissant un peu en dehors de la Gironde à cette époque, n'en appartenait pas moins à ce parti.

Or, quelle était alors la conduite des Girondins? Effrayés du mouvement qui se préparait, ils s'efforçaient de l'amortir. Brissot, ancien condisciple de Vaugeois, qu'il savait à la tête du comité secret d'insurrection, lui soufflait sa prudence, et combattait auprès de lui l'influence ardente de Chabot'; Lasource insistait sur la nécessité du renvoi des fédérés '; Condorcet, dans la Chronique de Paris, blâmait, comme intempestif, l'arrêté révolutionnaire de la section Mauconseil ; Vergniaud le faisait annuler par l'Assemblée, comme inconstitutionnel; enfin, au club girondin de la Réunion, nouvellement établi, Isnard et Brissot s'engageaient à demander qu'on envoyât devant la Cour d'Orléans Ro

C'est le chiffre vrai, tel qu'on le trouve dans un document officiel, la lettre du ministre de l'intérieur au procureur-syndic du départe

ment.

2 Ibid., p. 52.

Déposition de Chabot, dans le procès des Girondins. Voy. l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 43.

▲ Ibid. Voy. aussi le Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, séance du 29 juillet 1792.

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