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dite, soit à rétracter une erreur, si elle lui était échappée1. »

Précisément, il arriva que, le lendemain de cette correspondance, un officier municipal', chargé d'apposer les scellés dans les maisons suspectes, fut averti de se transporter chez M. Pont-Labbé, qui avait son appartement au Garde-Meuble. Il s'y rendit, et ayant trouvé dans le Garde-Meuble un petit canon d'argent, appelé canon de Siam, dont l'enlèvement par la multitude lui fut signalé comme fort à craindre, il le fit prendre et déposer à la section du Louvre3.

Tels furent les deux faits qui servirent de prétexte à l'Assemblée pour essayer de briser la Commune; et il fallait absolument que cette insupportable tyrannie dont on faisait tant de bruit ne fût pas tout à fait ce qu'on disait, puisque, malgré le vif désir que l'Assemblée avait de la prouver, elle n'en put fournir que ces deux preuves. Les Girondins crièrent à la violation de toutes les règles, parce qu'un officier municipal, dans un moment où le peuple était déchaîné, avait pris sur lui de mettre en sûreté un objet appartenant à la nation! Ils crièrent à la violation de la liberté individuelle, à propos de Girey-Dupré, -non pas arrêté, mais mandé pour donner des explications nécessaires, eux qui venaient de voter la violation du domicile de plusieurs milliers de citoyens, eux qui ne trouvaient rien à redire à l'arrestation de tant de suspects, pris, dans une seule nuit, comme en un coup de filet!

Et telle est la force de l'esprit de corps, que les Gi

Histoire parlementaire, t. XVII, p. 153.

Et non pas un quidam se disant membre de la Commune, comme l'écrit M. Michelet, t. IV de son Histoire de la Révolution, p. 102.

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A la section du Louvre et non pas « chez lui, » comme dit M. Michelet, t. IV, p. 403.-Voy. la déclaration de l'officier municipal devant l'Assemblée, séance du soir, 30 août 1792.

rondins rencontrèrent ici dans plusieurs de leurs collègues, en dehors même de leur parti, de véhéments auxiliaires. Dans la séance du 30, où fut lue la lettre de Girey-Dupré, Choudieu attaqua vivement la Commune; et Cambon déclara que, si ses membres ne pouvaient représenter les pouvoirs qu'ils tenaient du peuple, ils étaient des usurpateurs. Roland, de son côté, venait d'annoncer que, si on ne mettait fin au système de désorganisation entretenu par la Commune, il ne répondait pas de l'approvisionnement de Paris. Gensonné se plaignit de l'investissement de l'hôtel de la Guerre; Grangeneuve demanda que l'ancienne municipalité reprît ses fonctions; et enfin, sur un rapport de Guadet, l'Assemblée décréta l'élection d'une municipalité nouvelle'.

Seulement, par une contradiction fort étrange, on ne frappait celle dont on ne voulait plus, qu'en déclarant qu'elle avait bien mérité de la patrie.

Le même jour, dans la séance du soir, l'officier municipal qui avait enlevé le canon du Garde-Meuble comparaissait à la barre. Il expliqua sa conduite en termes à la fois si fermes, si respectueux et si décisifs, que Bazire demanda à l'Assemblée de lui témoigner solennellement sa satisfaction. Mais Lacroix et Grangeneuve insistant pour de tout autres conclusions, l'Assemblée se décida à renvoyer l'affaire à l'examen du comité de surveillance. Puis, sans désemparer, et sur le rapport de Vergniaud, elle annula le mandat d'amener lancé contre Girey-Dupré, comme attentatoire à la liberté individuelle et à la liberté de la presse'.

A ce dernier décret avait été ajoutée une clause qui enjoignait à la Commune « de se renfermer, à l'égard

1 Séance du 30 août 1792.

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Voy. le texte de ce décret dans l'Histoire parlementaire, t. XVII,

des mandats d'amener et d'arrêt, dans les bornes prescrites par la loi sur la police générale et sur la sûreté de l'Etat. » Charlier demanda le renvoi à la commission extraordinaire, pour simple explication de la partie relative aux mandats d'amener. Vergniaud fit observer alors, bien sûr que rien n'était plus propre à irriter l'orgueil de l'Assemblée, que Huguenin, président de la Commune, avait été mandé à la barre et n'avait point obéi. « Mais, dit aussitôt un ami de Danton, Thuriot, cet ordre n'est peut-être point parvenu à la Commune, et il pourrait avoir des inconvénients dangereux. » A quoi Marbot répliqua par ces fières et dures paroles : « Je demande qu'un membre de l'Assemblée qui a peur d'un représentant de la Commune de Paris, laisse faire ceux qui ont du cœur1. »

Les passions étaient vivement excitées, et, sur la motion de Larivière, on venait de décider que Huguenin, qui d'abord n'avait été que mandé à la barre, y serait amené séance tenante, lorsque parut, conduite par Pétion, une députation de la Commune.

Tallien s'avance, et d'une voix ferme : « Législateurs, les représentants provisoires de la Commune ont été calomniés, ils viennent vous demander justice. » Il déclara ensuite :

Que la Commune avait reçu mandat de sauver la patrie, et qu'elle l'avait sauvée;

Que ses actes étaient revêtus d'une grande sanction, celle du peuple; que, par elle, les membres de l'Assemblée étaient « remontés à la hauteur d'un peuple libre; >>

Qu'elle n'avait donné aucun ordre contre la liberté des bons citoyens, et se faisait gloire d'avoir, pour le salut de l'État, arrêté les conspirateurs;

'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 164.

Que si l'administration, et notamment celle des subsistances, était désorganisée, il en fallait accuser les administrateurs, absents à l'heure du péril.

« Nous avons fait des visites domiciliaires, ajoutat-il; qui nous les avait ordonnées ? Vous1. »

Il y avait dans ce discours laconique et hautain une phrase qui alors ne fut pas remarquée, mais dont, plus tard, beaucoup d'historiens, royalistes ou non, se sont armés pour prétendre que les journées de septembre furent le résultat d'une préméditation infernale. Cette phrase, la voici : « Nous avons fait arrêter les prêtres perturbateurs ; ils sont enfermés dans une maison particulière, et, sous peu de jours, le sol de la liberté sera purgé de leur présence'. » Mais les historiens auxquels cette preuve a paru si concluante, ont oublié que l'Assemblée à qui s'adressait Tallien, venait précisément de rendre un décret prononçant la peine de la déportation contre tous les prêtres non assermentés! Le mot de Tallien n'était donc pas « horriblement équivoque, comme l'assure un écrivain moderne'; il ne soulevait donc pas ce que ce même écrivain appelle « un coin du voile; » il ne prouvait donc pas «< que les meneurs étaient décidés à garder la dictature, s'il le fallait, par un massacre *. »

Après Tallien, Manuel, prenant la parole, fit remarquer combien il était contradictoire, de la part de l'Assemblée, de briser un pouvoir qu'elle reconnaissait avoir bien mérité de la patrie.

'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 167.

2 Ibid.

3 Décret rendu le 19 août 1792 et définitivement rédigé le 26. M. Michelet, t. IV, p. 404, de son Histoire de la Révolution.

* Ibid. — Au reste, nous aurons occasion bientôt de revenir sur ce point important.

Ilistoire parlementaire, t. XVII, p. 167.

La réponse du président fut d'une modération qui touchait à la faiblesse. Le fédéralisme, cet expédient, depuis si fatal aux Girondins, y perçait déjà dans ce cri, timidement hasardé : « Que dirait la France, si Paris, cette belle cité, voulait s'isoler du reste de l'empire'?» Le président termina sa courte allocution en promettant que la pétition de la Commune serait examinée et en invitant les députés à la séance.

En cet instant trois citoyens ayant été admis à la barre, un d'eux demande qu'il soit permis au peuple, qui attendait à la porte, dit-il, de défiler dans la salle. Cette requête, motivée sur le désir de voir les représentants de la Commune et suivie de la promesse menaçante de mourir, au besoin, avec eux, parut une insulte à l'Assemblée. Plusieurs membres s'écrièrent que la députation ne courait aucun péril, et comme le pétitionnaire répondait à la proposition de Lacroix d'admettre seulement vingt personnes, que, dans ce cas, << le peuple n'était pas libre. »-« Sommes-nous libres, nous? » répliqua Lacroix indigné. Les pétitionnaires n'osent insister, ils se retirent. Il y eut un moment de silence et d'attente. Manuel était sorti, il rentre et annonce qu'au lieu où l'Assemblée pouvait croire qu'il y avait un attroupement, il n'a trouvé que « trois ou quatre très-coupables pétitionnaires, » dont il a surle-champ ordonné l'arrestation. A cette nouvelle, l'Assemblée se calme, le président remercie Manuel de son zèle, et la séance est suspendue 2.

Le 31 août, dans la séance du soir, Huguenin comparaissait à la barre, et s'excusait de n'avoir pas obéi plus tôt au décret qui l'y mandait, sur ce qu'il ne l'avait connu que par les papiers publics. Il fut admis

'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 168.

* Ibid., p. 469.

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