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LE DERNIER ROI DE L'ANCIEN RÉGIME.

plement mes intentions, et j'ai ordonné au directeur général des finances, de vous en exposer l'état. »

Il y aurait de nombreuses observations à faire sur ce discours du roi Louis XVI. Nous nous bornerons ici à quelques-unes, dont il nous semble impossible de contester l'importance.

C'est le dernier roi de l'ancien régime qui parle; les états généraux qui n'ont pas été convoqués depuis cent soixante-quinze ans, à peine réunis, quel langage leur tient-il? Le roi rappelle lui-même que ces assemblées des trois ordres étaient un usage, et cette expression qui n'a jamais soulevé aucune contradiction, caractérise bien, en effet, l'histoire des états généraux. On ne pouvait appeler régulière une institution qui, n'intervenant qu'à de longs intervalles dans la situation de la France, était depuis près de deux siècles suspendue, presque supprimée par conséquent, et qui, pour répéter les justes paroles du roi, paraissait tombée en désuétude.

Pourquoi cependant le roi Louis XVI a-t-il recours à ce conseil extraordinaire de la nation française, qui, dans ses trois ordres, représente très-exactement cette société avec ses traditions? Pourquoi fait-il un appel à cette société même? Parce que cette société était déjà intervenue, dans des circonstances extraordinaires, et qu'il y a des instants, dans l'histoire des peuples, où, qu'on nous permette ce mot, on croit devoir consulter tout le monde. Or, à peine a-t-il entretenu l'assemblée de l'état des finances, dont il est loin d'atténuer les embarras, le roi ne peut s'empêcher d'indiquer aussitôt « l'inquiétude générale, le désir exagéré d'innovation, qui se sont emparés des esprits. >>

Il y a là évidemment deux ordres de faits bien différents, mais n'est-il pas remarquable, que, dans la parole sincère du roi, qui est sous l'impression même des circonstances, la situation tout entière se montre, pour ainsi dire, à la fois?

Ni les divers ministères, ni les assemblées des notables qui avaient précédé la convocation des états généraux, n'avaient réussi à régler les finances de l'État. On s'adressait donc aux états généraux pour leur confier cette mission, qui aurait suffi pour leur donner une grande importance; en même temps une situation bien plus grave que l'état financier du pays, une situation qui sans doute avait sa raison d'être toute spéciale, se manifeste dans le discours du roi : « L'inquiétude générale, le désir exagéré d'innovation. » Cette disposition des esprits, comme le discours du roi l'indique très-clairement, est parfaitement distincte de l'état des finances. Le roi espère que des « avis sages et modérés » émanés de la nouvelle assemblée, qu'une salutaire impulsion venue de cette grande réunion politique, si elle a vraiment un tel caractère, calmeront et cette inquiétude, et cette agitation, « qui finiraient par égarer totalement les opi

nions. >>

Ces derniers mots touchent plus à la véritable question que tout le reste. Il y a une inquiétude, une agitation très-grandes, un désir exagéré suivant les uns, un juste besoin d'innovation, d'après les autres, qui dominent la situation; il y a un esprit, en un mot, qui est au-dessus de tous les conflits particuliers et secondaires, un esprit que le roi dans un discours officiel d'apparat, nécessairement toujours un peu superficiel, qualifie cependant d'inquiétude générale.

DISCOURS DU ROI.

On remarquera que le discours du roi fut couvert d'applaudissements'. Sans doute la fin de ce discours était faite pour les provoquer; mais ils n'auraient point éclaté, on peut le croire, si la situation du royaume y avait été représentée sans vérité et sans franchise.

Nous avons souligné le mot sensibilité dont se sert le roi, et quelques autres; ce sont des mots de l'époque. Ils donnent un cachet tout particulier à la parole royale. Le ministère de Turgot, celui de Necker, bien des réformes opérées dans le sens de l'esprit nouveau, depuis le commencement du règne de Louis XVI, font comprendre ces mots dans la bouche du roi qui partageait jusqu'à un certain point, comme on l'a vu, comme on le verra encore, l'espoir et la confiance qui s'attachaient aux promesses et aux idées de bonheur général propagées par la philosophie du dix-huitième siècle. Rousseau, en particulier, avait mis la sensibilité à la mode, et ce mot romanesque, dans un discours officiel, ne déplaisait sans doute à personne, plaisait au contraire à tout le monde : c'était la langue du moment, et le roi s'en servait comme tout le monde. Profondément chrétien, tous les faits de sa vie prouvent que le roi Louis XVI crut à l'effet salutaire de la philosophie du dix-huitième siècle au point de vue des réformes qu'elle réclamait dans l'État, et de cet amour de l'humanité qui s'appelait alors philanthropie. On sait quelle estime il faisait de Turgot et de Malesherbes, tous deux philosophes, tous deux imbus des mêmes convictions, quoique sans doute tout autrement systématiques dans leurs opinions que le roi ne pouvait l'être. Le roi faisait évidemment une distinction entre l'incrédulité

1 Mignet, Histoire de la Révolution, I“ vol., p. 31.

qu'il repoussait avec toute la piété d'un fervent catholique, et les systèmes philanthropiques, dont les partisans au reste, comme Turgot et Malesherbes, n'affichaient pas l'incrédulité voltairienne.

Après les paroles royales nous citerons les passages les plus remarquables du discours prononcé par le garde des sceaux, M. de Barentin. Il s'exprima ainsi à l'égard de l'impôt et de l'égalité des charges publiques : « Si des priviléges constants et respectés semblèrent autrefois soustraire les deux premiers ordres de l'État à la loi générale, leurs exemptions, du moins pendant longtemps, ont été plus apparentes que réelles.

« Dans les siècles où les églises n'étaient point dotées, on ne connaissait encore ni les hôpitaux, ni ces asiles nombreux élevés par la piété et la charité des fidèles, où les ministres des autels, simples distributeurs des aumônes, étaient solidairement chargés de la subsistance des veuves, des orphelins et des indigents. Les contributions du clergé furent acquittées pour ces soins religieux, et il y aurait eu une sorte d'injustice à exiger des redevances pécuniaires.

<< Tant que le service de l'arrière-ban a duré, tant que les possesseurs des fiefs ont été contraints de se transporter à grands frais d'une extrémité du royaume à l'autre, avec leurs armes, leurs hommes, leurs équipages de guerre, de supporter souvent des pertes ruineuses.... n'était-ce pas une manière de partager l'impôt, ou plutôt n'était-ce pas un impôt réel que ce service militaire, que l'on a vu plusieurs fois concourir avec des contributions volontaires?

« Aujourd'hui que l'Église a des richesses considérables, que la noblesse obtient des récompenses honori

L'IMPOT.

LE VOTE.

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fiques et pécuniaires, les possessions de ces deux ordres doivent subir la loi commune. >>

Cet exposé sans exagérer, en matière d'économie charitable, les bienfaits des anciens propriétaires, ni le zèle et le dévouement du clergé régulier et séculier dont nos archives nationales ont gardé de nombreux témoignages1, posait la question de l'impôt général; mais, malgré l'importance de cette question, cette partie du discours ministériel devait encore moins préoccuper les esprits que les paroles suivantes : « Sa Majesté, en accordant une double représentation en faveur du plus nombreux des trois ordres, de celui sur lequel pèse principalement le fardeau de l'impôt, n'a point changé la forme des anciennes délibérations.

« Quoique celle par tête, en ne produisant qu'un seul résultat, paraisse avoir l'avantage de mieux faire connaître le désir général, le roi a voulu que cette nouvelle forme ne puisse s'opérer que du consentement libre des états généraux, et avec l'approbation de Sa Majesté. Mais quelle que doive être la manière de prononcer sur cette question; quelles que soient les distinctions à faire entre les différents objets qui deviendraient les matières des délibérations, on ne doit pas douter que l'accord le plus parfait ne réunisse les trois ordres relativement à l'impôt.... >>

1 Nous avons eu, pour notre part, l'occasion d'étudier, aux archives, les fondations des règnes de Philippe Auguste et de saint Louis. Dans un seul diocèse, celui de Meaux, elles sont très-nombreuses : à côté de l'abbaye, on trouve toujours l'hôpital, domus Dei, la maison de Dieu, comme on disait alors, l'Hôtel-Dieu. Les terres, offertes par les seigneurs féodaux, sont la base de ces donations, sous cette forme que l'on retrouve sans cesse, in perpetuam eleemosynam, en aumône perpétuelle. Beaucoup de fondations coïncident avec les croisades.

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