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Après avoir indiqué les questions pleines d'importance qui seraient soumises aux états généraux, d'abord le budget, ensuite une loi sur la presse, la réforme de la législation civile et criminelle, le garde des sceaux ajouta en terminant : « Les demandes justes ont été accordées : le roi ne s'est point arrêté aux murmures indiscrets, il a daigné les couvrir de son indulgence; il a pardonné jusqu'à l'expression de ces maximes fausses et outrées, à la faveur desquelles on voudrait substituer des chimères pernicieuses aux principes inaltérables de la monarchie. Vous rejetterez, messieurs, avec indignation ces innovations dangereuses, que les ennemis du bien public voudraient confondre avec les changements heureux et nécessaires qui doivent amener cette régénération, le premier vœu de Sa Majesté...

« ...

Représentants de la nation, jurez tous au pied du tròne, entre les mains de votre souverain, que l'amour du bien public échauffera seul vos âmes patriotiques; abjurez solennellement ces haines si vives, qui, depuis plusieurs mois, ont alarmé la France et menacé la tranquillité publique... Hommes de tous les âges, citoyens de tous les ordres, unissez vos esprits et vos cœurs, et qu'un engagement solennel vous lie de tous les nœuds de la FRATERNITE Enfants de la patrie que vous représentez, écartez loin de vous toute affection, toute maxime étrangère aux intérêts de cette mère commune ; que la paix, l'union et l'amour du bien public, président à toutes vos délibérations! >>

Entre le discours du roi et celui de M. de Barentin, qui touchait à la question du vote par ordre ou par tète, la situation est clairement indiquée.

Si la forme de délibération fixe l'attention du pouvoir,

LE GOUVERNEMENT ANGLAIS.

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c'est qu'elle préoccupe aussi l'assemblée. Il est évident que le gouvernement qui vient d'accorder le doublement du tiers, aime mieux laisser indécise la question du vote par tête ou par ordre.

On a dit que le ministère, ou plutôt M. Necker, qui en était le véritable chef, aurait voulu travailler, au milieu de l'incertitude des esprits, sur laquelle il croyait pouvoir compter, à la formation des deux Chambres, dont l'une, composée du haut clergé et de la noblesse eût représenté la Chambre des lords, et l'autre du clergé inférieur et du tiers état, la Chambre des communes; de sorte qu'après tant de siècles, qui avaient vu la France si différente de l'Angleterre, on aurait tout à coup donné pour terme à l'agitation qui préoccupait le pouvoir, au travail extraordinaire des intelligences, une solution purement politique, l'avènement en France, par une sorte d'improvisation, du gouvernement aristocratique de la Grande-Bretagne.

Il est vrai, un grand écrivain, Montesquieu, en présence de l'esprit d'innovation qui caractérisait le dixhuitième siècle, avait fait l'apologie de ce gouvernement, qu'il avait apprécié systématiquement, un peu à la manière de l'époque, d'où les partisans de sa théorie concluaient que la machine constitutionnelle qui, suivant eux, réglait le mouvement de la société anglaise, pouvait être transportée partout et appliquée à tous les pays, malgré la différence des histoires et des conditions sociales.

Necker avait adopté les idées séduisantes de Montesquieu sur l'Angleterre, et, il faut le reconnaître, il les partageait avec des hommes éminents de l'époque, comme Mounier, par exemple, qui, aux états du Dauphiné, avait

fait adopter le système des deux chambres, au lieu de trois, pour la représentation de cette province.

Dans le système des théoriciens français, le gouvernement anglais n'était point un pouvoir, mais un partage du pouvoir maintenu dans un constant équilibre, au lieu du gouvernement réel des classes supérieures du pays, noblesse et haute bourgeoisie, aspirant toujours à la noblesse.

Sous l'influence de l'esprit d'innovation qui agissait alors avec tant d'empire, les idées de Montesquieu, qui semblaient se résumer dans un parti bien simple, celui de prendre un gouvernement déjà existant, tout fait, devait plaire aux modérés ; il favorisait, en même temps, cet esprit d'indépendance parlementaire qui devait se montrer dans l'Assemblée constituante; voilà pourquoi l'on a parlé de la grande autorité de Montesquieu dans cette assemblée « Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, avait-il dit dans l'Esprit des lois, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » En un mot, Montesquieu voulait un gouvernement sans cesse neutralisé, soumis invariablement au ressort, au mécanisme de son existence, et tournant comme un rouage nécessaire, mais qui ne peut se détourner du mouvement qui lui est imprimé par sa nature.

C'était une théorie; jamais gouvernement n'avait offert l'exemple d'un tel système, par la raison que les gouvernements sont formés d'hommes, de classes d'hommes surtout et non de machines. Mais, au dix-huitième siècle, dans un livre écrit avec le talent de Montesquieu, rien ne semblait plus pratique aux esprits émus et entraînés par le désir d'innover. On s'apercevait, au bout d'un grand nombre de siècles, que la France n'avait point de

POLITIQUE DE NECKER.

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constitution, comme disait Turgot; chacun voulait la constituer, et, tout à l'heure, cette préoccupation, trèsrépandue, se résumera dans ces mots : « Assemblée constituante, » grand mot qu'on ne pourra apprécier qu'en voyant ce que cette assemblée constitua.

Quoi qu'il en fût du plan de Necker, quant au système des deux Chambres, et à l'imitation du gouvernement anglais, qui l'avaient empêché de se prononcer sur le vote par tête, et une assemblée unique, par conséquent, il aborda, dans un long discours, cette question du vote par tête, mais sans la résoudre; il craignait évidemment qu'elle ne fût trop promptement résolue; il conseillait de régler d'abord, dans les trois Chambres séparées, l'abolition, déjà arrêtée dans les cahiers des états généraux, des priviléges pécuniaires du clergé et de la noblesse, afin que ces deux derniers ordres ne parussent pas subir la contrainte d'un coup de majorité dans une réunion générale, où le tiers état était sûr de l'emporter par le nombre. Il émettait aussi l'avis d'établir des rapports entre les trois ordres, au moyen de commissions qui traiteraient la question du vote des états et trouveraient la solution d'un point si important, qu'il laissait incertain comme le garde des sceaux.

Il est évident que, pour le roi et pour ses ministres, malgré certaines appréhensions exprimées dans les discours officiels, la situation conservait un caractère politique qui admettait les tempéraments, même la diplomatie, puisque Necker, après avoir fait donner au tiers état, par le pouvoir royal, la double représentation, s'en remet aux états généraux du mode de délibération, en dit assez pour montrer que, dans son esprit même, la question n'est pas vidée et qu'il comprend qu'elle soit

agitée, mais s'efforce d'obtenir qu'on ait recours à des moyens termes pour la régler. On croirait entendre un ministre anglais qui aurait entrepris de calmer, dans un état de choses ordinaire, quelque différend entre la Chambre des lords et la Chambre des communes.

M. Necker, avant d'exposer la situation financière que nous aurons bientôt à indiquer, rendit un hommage solennel au roi qui venait de réunir les états généraux ; il exprima aussi toutes les espérances que lui inspirait cette assemblée, non sans lui donner plus d'un avis mêlé à des souhaits assez emphatiques de bonheur, où la prudence du ministre se confondait avec l'utopie du philosophe ; <<< Non, l'esprit du roi ne sera point trompé... Vous voudrez lui donner le prix qu'il attend de vous, et ce prix, ce prix inestimable, sera l'avancement du bonheur de ses peuples.

«< Soyez unis pour une si grande entreprise; soyez unis pour répondre aux vœux de la nation; soyez unis pour soutenir avec honneur les regards de l'Europe; soyez unis pour transmettre sans crainte vos noms à la postérité, et pour contempler à l'avance le tribunal rigoureux des générations futures. Elles auront un compte à vous demander, ces générations innombrables, dont vous allez peut-être fixer la destinée.....

« Ah! puisse le ciel accorder à notre auguste monarque une assez longue suite de jours pour voir encore, non. seulement l'aurore, mais le jour éblouissant de tant de prospérités! Puisse-t-il recevoir ainsi une juste récompense de son bienfait! Puisse-t-il voir les premières moissons de CETTE TERRE CHÉRIE!... »

Ce langage d'un financier caractérise l'époque et M. Necker.

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