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& jufqu'au moment où la toile tombe, nous ne faifons qu'un fonge dans le cours duquel nous ne pensons pas un moment aux loix de l'existence. Il fe trouve quelquefois un Rhymer qui fe réveillant en furfaut, vient de par Ariftote faire un procès au hardi Magicien ; mais Aristote lui - même s'il revenoit au jour, défavoueroit fon téméraire Avocat, & tomberoit aux pieds du Grand-Homme. O modele fuprême de la perfection dramatique, lui diroit-il, ne m'imputez pas l'infolence de ces inf-nfés les Poëtes de Grece étoient referrés dans le cercle étroit du chœur, la gêne de leur fituation les affujettisfoit à la précision, & ils fe voyoient contraints de copier fidèlement les détails de la nature; je les ai fuivis, je n'ai pas prévu qu'on pourroit tracer un cercle plus vafte, & étendre le Drame auffi-loin que l'efprit humain peut atteindre. Convaincu par l'expérience, je vois maintenant qu'on peut fe faire une nature plus fimple; une nature d'effets feulement, indépendante des rela tions locales & de la continuité de tems.. La nature, pour fe conformer aux facultés des hommes, a fait de la vie humaine une chaîne réguliere de caufes vifibles & d'effets: mais la Poéfie fe plaît dans la furprife, cache fa marche, s'empare du cœur dès la premiere fois, & s'éleve au plus haut degré du fu blime fans laiffer voir la trace de fon vol: la vraie Poéfie n'eft pas la nature, c'est une magie; on voit l'effet, les caufes font cachées ou inconnues, Je n'ai point preferit de loix au Magicien fon pouvoir eft fa loi. Quels exemples propofer, quel les bornes fixer, à qui n'est ni imitateur ni placé

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dans la fphere de l'imitation? En un mot, fi il parvient à fon but, qui pourra blâmer fa marche? En Poefie, les moyens, foit vifibles foit cachés, font juftifiés par le fuccès; mais ils font plus parfaits & plus admirables quand ils font in (Univerfal Magafine.)

connus,

NOTICE d'un Teftament fingulier.

MR. Girard, Docteur en Médecine, s'ex

prime ainfi dans une Lettre écrite de Marvejols, le 23 Février dernier, à M. le Cheva. lier de Servieres, Officier de Cavalerie, & que celui-ci vient de rendre publique.

J'ai vu la copie du teftament qu'Aldebert de Peyre, Evêque de Viviers, fit en 1303. Un ade auffi fingulier eft certainement bien propre à nous donner une idée du fiecle d'ignorance & de fuperf tition où il fut écrit : le nombre des fondations & des legs que cet Evêque fit aux Eglifes & aux Couvens eft incroyable; prefque tous les Moines & toutes les Religieufes, tous les Prêtres du Vivarais & du Gevaudan font appellés à partager Jon hérédité, & ce à la charge de fondre des cloches, d'élever des Autels du côté de l'Orient, de dire des Meffes, de faire des fervices, & fur-tout des repas annuels, pour la redemption de l'ame du teftateur, & de celles de fes parens; outre cela, Aldebert, à l'exemple de fes aïeux, fait

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une fubftitution clericale perpétuelle en faveur du fecond fils du Seigneur Baron de Peyre, fon neveu, ou du troifieme, fi le deuxieme venoit à fe marier, à condition que le fubftitué prendra la tonfure, & avec la claufe expresse, que fi le Seigneur de Peyre ou quelqu'un de fes fucceffeurs à perpétuité venoient à empêcher par négligence, fraude ou méchanceté, qu'aucun de fes enfans n'embrassât l'état Eccléfiafti"que, & qu'il les obligeât tous à s'engager dans le mariage ou à entrer dans le Cloitre, dans ce cas le teftateur legue trois terres confidérables comprises. dans la fubftitution, à la Cathédrale de Mende, laquelle fera tenue, en conféquence, de donner 1000 marcs d'argent aux Jacobins de Marvejols, pour Meffes, prieres, fervices & repas annuels (pro refectionibus annuatim ad redemptionem animæ fuæ & parentum.) La fubftitution cléricale a été fuivie jufqu'à la fin du dernier fiecle, dans la 'maifon de Peyre, où il n'y a point eu de cadets depuis cette époque. Enfin, dans le même teftament l'Evêque de Viviers exige de fes héritiers & legataires, qu'ils ne parleront jamais la Langue Françoife, ni celle d'Auvergne, mais qu'ils s'en tiendront au patois ou jargon, du pays, qui a toujours été fon langage, & celui de fes peres; fans quoi il leur impofe une amende de 50 liv. tournois Teverfibles à l'Eglife de Mende.

(Journal Encyclopédique.)

Tome IX.

L

ODE A ÉPICURE. Imitation de l'Allemand, de M. GLEIM.

ESPRIT

SPRIT célefte, efprit émané d'un Dieu; ô toi, mon Epicure, il t'aima ce Dieu dont tu niois l'existence.

Tu ne dus qu'à lui feul ce noble effor, ce génie ardent & fublime qui, des fanges de la terre où nous rampons, t'emportoit jusques fur les hauteurs qu'habite fa lumiere incréée.

Traverfant d'abord, avec un religieux effroi, les immenfes tenebres qui te séparoient de lui, tu t'élevois par degrés, & de fon trône il jettoit fur toi un regard bienfaifant. Mais bientôt ce trône de feu s'offrit à ton œil ébloui; d'une main audacieuse tu voulus y atteindre, il difparut dans des flots de clarté. Tu voulus en fuivre la trace, il fe perdit dans la foule des mondes, remonta jufqu'à la fource du jour, & le grand Etre qui t'aimoit, t'abandonna à l'erreur pour te punir de ton audace............

Oui, oui, mon Epicure, il t'aimoit ce Dieu dont tu niois l'existence...

Sans cela ton efprit, retenu par des liens terreftres, auroit-il pu s'égarer fi loin? Def cendu des régions fupérieures, & défefpérant déformais de pénétrer jufqu'à l'effence des chofes, tu entendis la voix de la volupté, de cette volupté célefte qui pouvoit feule te dés

dommager de la préfence & du commerce d'un Dieu.

Mollement couchée dans tes jardins, à l'ombre d'un buiffon de rofes, elle t'appelloit, te fourioit; mais toi, toujours flottant dans le doute, tu attendois que la fageffe s'approchât du berceau parfumé où elle repoloit, & vînt t'y conduire par la main; tu vis alors que les regards de la Déesse étoient doux comme ceux de l'innocence, & que fon front étoit calme & ferein comme celui de la vertu.

La Sageffe, pour te raffurer entiérement, la falua avec un baifer de fœur; mais toi, trop incrédule Epicure, tu fis un pas en arriere, craignant encore que ce ne fût pas la fœur de la Sageffe.

Moins timide, enfin, tu t'affis, avec fécurité, entre les deux foeurs, qui fe plurent à t'inftruire, & tu appris, dans leur charmant entretien, que la Volupté n'eft pas fille de la Terre.

Une jouiffance modérée, te dit-elle, voilà le fecret du bonheur. Par elle feule tu mettras un frein à tes paffions; elle arméra ton esprit d'une force que rien ne pourra vaincre, rendra ton ame libre, & te donnera un cœur tranquille.

Ce fut la Volupté qui t'enfeigna que l'humanité est le premier devoir de l'homme. Sen fible comme ta maîtreffe, auffi doux qu'elle-même, tu ne fermois plus une oreille fuperbe à la plainte du pauvre & au cri de la commiferation. La Volupté, mon Epicure, ouvrir

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