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vent qu'à y protéger le pouvoir arbitraire; il règne fur un peuple réduit à cultiver quelques vallées, à nourrir des troupeaux languiffans. Pour échapper à la difette, il va fe répandre dans des contrées plus fertiles, où il se dévoue à des occupations ferviles que l'efpoir d'un gain modique & le défaut d'induftrie lui font fupporter.

La jeuneffe, après avoir contracté chez d'autres nations l'habitude d'un travail dédaigné par les dernières claffes du peuple, & avoir long-tems enduré le mépris auquel l'ignorance la rend prefqu'infenfible, rapporte le fruit de fes épargnes & de ses privations au fein d'une famille misérable; elle ne donne à la postérité pour leçons, que fon exemple à suivre. Ainfi s'entretiennent dans la basfeffe des générations fucceffives qui n'ont pour morale que la fidélité, pour principes que l'économie, pour ambition que le defir d'acquérir quel ques propriétés. Voilà ce qui forme la maffe du peuple en Savoie. Eft-il furprenant qu'il foit fans énergie, qu'il baiffe un front fervile devant la puissance couronnée dont il reçoit les loix?

breufe

Mais ce n'eft pas feulement fur cette claffe nomque s'étend la misère. En Savoie, la nobleffe eft peut-être plus à plaindre, parce qu'avec les mêmes befoins, elle n'ose pas user des mêmes moyens, pour le fouftraire à l'indigence. Nulle

part l'inégalité des partages ne fe fait plus fentir qu'en Savoie. Le droit de primogéniture s'y exerce avec la plus grande rigueur; l'aîné n'eft tenu de donner à fes frères ou à leurs fils, que le quart du revenu de l'héritage dont il devient propriétaire. S'ils font plus de quatre, il fe réserve les deux tiers. Les filles par une injuftice plus révoltante encore, font exclues de la fucceffion des fiefs, tant qu'il existe un individu mâle de la race dir père; ainfi la Savoie eft une des contrées où l'orgueil du nom eft compté pour tout, & impofe filence à la voix de la nature.

Telles font les idées perverfes qu'a fait naître cette barbare chimère qui s'efttrop long-tems réalifée parmi les hommes civilifés, & que l'éclat de la raison vient enfin de diffiper du milieu de nous, comme ces hideux fantômes qui difparoiffent à l'approche du jour.

L'édit de 1725, en réuniffant à la couronne tous les domaines qui en avoient été détachés, a porté un grand coup à la nobleffe ancienne du pays; mais la vanité fait pouffer de nouvelles tiges fur ce trône antique dégradé par l'indigence. En acquérant une terre, on eft tout-à-coup décoré du titre qui y eft attaché. A la différence de nous qui poffédions d'un côté tant de marquis fans marquifats, tant de comtes fans comtés, & voyons

de l'autre, tant de financiers géinir de ne pouvoir illuftrer leur opulence du titre de leurs acquifi

tions.

Si l'on devoit regretter un impôt, ce feroit sans doure celui qui porte fur le defir d'obtenir le privilége defe croire tout-à-coup fupérieurs à la classe d'hommes dont on fort: cet impôt exifte en Savoie; malheureusement au lieu d'alléger le fardeau dumodeste contribuable, il ne tourne qu'au profit du monarque.

Le noble qui a des armoiries, eft non-seulement obligé d'en prouver l'origine, mais encore de les faire renouveler. Celui qui n'en a pas encore, en obtient, en payant une fomme proportionnée à sa fortune & à fon existence. Ainsi ces guirlandes de la vanité naiffent & refleuriffent par l'argent.

La partie idéale de la nobleffe eft tellement unię en Savoie à la partie matérielle, qu'à l'instant où le propriétaire d'une terre titrée ne la possède plus, il perd le droit de se décorer de l'impofant avant-coureur qui précédoit fon nom.

Il y a peu de pays où la nobleffe ait plus d'entra

ves, & où la propriété éprouve plus de gênes qu'en Savoie. La première ne peut recevoir de pension d'un prince étranger, ni fe parer d'un de fes o dres de chevalerie, excepté celui de Malte. Il lui eft défendu de s'attacher au fervice d'une autre

puiffance, fans une permiffion fignée du roi. Elle n'a pas le droit de porter les armes au-delà de fon propre fief, & fi elle n'en possède pas un,'le grade d'officier dans les troupes nationales ne lui pas cette faculté.

confère

que

Les nobles fupportent, pour raifon de leurs biens l'on nomme allodiaux, les mêmes impôts que les fimples payfans. Quant à la propriété, fes droits font reftreints par des réglemens très-févères. Perfonne ne peut couper de bois dans ses forêts, fans la permiffion de l'intendant, & l'expor *tation en est prohibée. C'est contrevenir à la loi, que de placer de l'argent en pays étranger, foit en rente, foit en biens fonds. Enfin, comme fi on eût voulu enlever au fujet jufqu'à cette propriété qu'il tient de la nature feule, le roi s'est réservé d'exiger à fon choix des vaffaux, le service en perfonne ou en argent.

On a porté l'oubli des principes de l'économie politique au point de défendre aux étrangers d'acquérir des biens fonds qui fe trouvent éloignés de moins de deux milles des frontières, sous peine d'enêtre fruftrés.

D'après toutes ces entraves, eft-il bien nécessaire de favoir qu'on doit fe faire naturalifer & prêter ferment de fidélité pour former un établissement ftable dans ce pays? que fi par la fuite on s'en abfente pendant plus de trois ans, on perd tous les droits

qu'on avoit acquis, entr'autres celui de pouvoir être inftitué héritier d'un Savoyard ou d'un Piémontois ?

Nous ne devons pas cependant omettre un trait qui honore la mémoire du feu roi de Sardaigne; en 1771, il fit publier un édit par lequel il permit à toutes les communautés, même à celles qui dépendoient de ses domaines, de s'affranchir des tailles, lods, cens, dus aux propriétaires de fiefs, foit d'après une évaluation faite degré à gré, foit d'après une eftimation foumise à la décision d'un tribunal érigé pour une caufe a importante.

Nous n'avons pas, comme on le voit, en l'honneur de devancer même le légiflateur de Savoie, dans un acte de juftice fi favorable à l'agriculture. Nos anciens propriétaires de fiefs qui fe plaignent encore du décret qui accorde à leurs vaffaux la faculté de s'affranchir de ces droits, à la perpétuité defquels l'efprit de domination attachoit une fi grande importance, nous permettront de ne pas vivre fous un régime plus févère que celui de la Savoie.

Son tribunal fuprême eft établi à Chambéry, fous la dénomination de fénat ou de confeil royal. Il eft partagé en deux chambres qui ont chacune leurs confeillers & leur préfident.

On divife cette contrée en fix petites provinces

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