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-l'idée de l'antiquité de cette île & de l'origine de fes habitans: « Il paroît, dit Ariftote, par plut» fieurs monumens, que la Sardaigne est une » colonie Grecque; elle étoit autrefois très-riche, » & Aristée, dont on a tant vanté l'amour

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pour l'agriculture, lui donna des loix; mais elle a » bien déchu depuis, car les Carthaginois s'en » étant rendus les maîtres, ils y détruifirent tout » ce qui pouvoit la rendre propre à la nour» riture des hommes, & défendirent, fous peine » de la vie, d'y cultiver la terrë ».

Le but de cette exécrabie politique étoit de retenir les habitans de la Sardaigne fous une dépendance abfolue, par le plus impérieux des befoins.

C'est pouffer l'abus de la victoire jufqu'au dernier terme de la tyrannie, que de retrancher du vaste domaine de l'homme une terre fertile, & qui n'est devenue enfuite mal-faine que parce qu'elle a été inculte & presqu'inhabitée.

Les Romains en firent un lieu d'exil; c'étoit, pour ainsi dire, envoyer à la mort les citoyens, que de les y condamner à expier la défiancé qu'ils avoient infpirée au defpotisme. Quand l'heure de la mort est venue, dit Martial, on trouve la Sardaigne au milieu de Tivoli.

Elle n'en a pas moins excité l'efprit de conquête, & eft devenue fucceffivement celle des Vandales, des Sarrafins, des Pifans, des Génois;

elle n'a pas été dédaignée de l'empire d'Allemagne; elle a été comprife dans les ufurpations du faint fiége, qui, ne pouvant la conferver, la céda au roi d'Aragon. Elle fe confondit quelque tems dans la monarchie Espagnole, fut poffédée par l'Angleterre, au nom de Charles III, qui l'agrégea à l'empire, en devenant empereur lui-même.

Le traité d'Utrecht légitima, dans fes mains, cette propriété qu'il échangea, en 1718, contre la Sicile, avec le duc de Savoie.

Ainfi cette terre que les Carthaginois avoient voulu rendre inculte, eft devenue le germe d'un nouveau roi, & elle eft la base de fon trône.

Tant d'ufurpations, tant de chocs de puiffances n'ont pas peu contribué à affoiblir la population de la Sardaigne, & à en contrarier les productions.

Malheur au peuple que fa destinée appelle à être comme un vil troupeau.que de robustes animaux fe difputent. La fureur en déchire, en extermine une partie, l'effroi difperfe l'autre; occupée à défendre fa vie elle ne fonge plus aux douces unions qui réparent fes pertes, elle abandonne fes paturages, fes bergeries dévaftées, & fe réfugie dans des lieux qu'elle croit inacceffibles à fes ennemis.

De quarante villes que. la Sardaigne comptoit autrefois dans fon ifle, il ne s'en trouve plus aujourd'hui que fept; à peine rencontre-t-on quelques vef

tiges de celles que les guerres & le tems ont replongées dans le néant.

Ce royaume (puifqu'il faut lui donner ce nom) s'épuife pour un prince qui, au lieu de le vivifier de sa présence, en confie l'administration à un viceroi dont l'autorité eft limitée par un fénat qu'il eft obligé de confulter dans toutes les affaires de quelqu'importance.

Le fénat eft compofé de huit magiftrats divifés en deux chambres, l'une civile, l'autre criminelle. Lorfque l'affaire portée à la première chambre eft d'un intérêt qui s'élève au delà de deux mille livres, les parties peuvent demander la révifion du procès avec l'adjonction de deux juges de plus qui paffent de la chambre criminelle à la chambre civile. A l'égard des affaires criminelles, les accufés ont le droit de demander, après leur condamnation, que leur procès foit reporté à la chambre civile, pour être revu par les huit juges réunis. Cette différence, toute foible qu'elle foit, prouve qu'on a fenti, en Sardaigne, long-tems avant nous, que la juftice devoit attacher plus d'importance à ce qui touche à l'honneur où à la vie des hommes, qu'à des intérêts pécuniaires.

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Les nobles de ce pays jouiffent d'un privilége feul capable d'éteindre dans le cœur de ceux qui ne de partagent pas, l'amour pour le prince, puifqu'il femble leur dire : « fi vous regardez tous votre roi

» comme votre père il s'en faut de beaucoup qu'il » vous confidère tous indistinctement comme fes enfans ». Lorsqu'une fentence de mort a été prononcée contre un noble, l'exécution en eft fufpendue jufqu'à ce que le fouverain ait pris connoiffance des motifs du jugement; ainsi il abandonne à l'opinion des magiftrats l'existence de la portion la plus nombreuse de fon peuple, & ne met fous fa fauve-garde qu'une foible partie de privilégiés qu'il croit uniquement, dignes de Ya follicitude paternelle.

L'autorité royale prélève, en différentes taxes, plus de quinze cents mille livres fur les habitans. ale ce malheureux pays. Son administration coûte environ fix cent vingt-fix mille livres, d'où il réfulte qu'ils payent, tous les ans, à-peu-près un million l'honneur d'avoir un monarque qu'ils ne voyent jamais au milieu d'eux, & qui ne daigue pas même s'enquérir fi le glaive de la justice, lorfqu'il eft levé fur une tête roturière, menace l'innocence, ou ne va frapper que le crime.

Si ce million qui fort annuellement du royaume étoit confacré au defféchement des marais, employé à convertir en culture des terreins ftériles &fangeux, l'air y feroit moins mal-fain, les récoltes y feroient plus abondantes; la population qui semble être une arrière-production de la nature, puifqu'elle s'accroît en raifon des fruits accordés

aux êtres vivans, couvriroit la furface de cette ifle. Elle est d'autant plus fufceptible de devenir un féjour agréable, que fon fol fournit de bon vin, des orangers, des oliviers, des citroniers, d'excellens pâturages. Nous ne mettrons pas fans doute au rang de fes richesses, cette herbe que l'on nomme Sardoine, dont l'effet eft de retirer les nerfs & les mufcles & de produire ce rire forcé qu'on appelle rire fardonique.

Les montagnes de ce pays que l'on regarde comme fi pauvres, renferment des mines d'or, d'argent, de plomb, d'alun & de foufre. Ses côtes fourniffent à la pêche du ton, du corail & fur-tout ces petits poiffons deftinés, moins à fatisfaire l'appétit, qu'à le provoquer, & qui tirent auffi leur nom de l'île dont ils parcourent la vafte

enceinte.

La Sardaigne eft par fa nature fi fertile en blé, que fous l'empire Romain elle étoit mife au nombre de fes magasins; fon infalubrité ne peut être attribuée qu'à l'épaiffeur des forêts qui, en arrêtant le cours des vents, s'opposent à la raréfaction de l'air. Si un roi qui ne devroit être, de loin comme de près, qu'une intelligence bienfaifante pour fon empire, vouloit ufer, en Sardaigné, de l'autorité illimitée que fon peuple lui a laissée, combien il lui feroit facile de faire difparoître tous les vices phyfiques & politiques qui

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