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Si l'on comparoit la marche de l'oppression à celle de la liberté, qui rentre dans l'exercice de ses droits légitimes, on fe convaincroit que la première ajoute toujours l'injuftice des formes à celle de fes prétentions, tandis que l'autre conferve fouvent des égards envers les oppreffeurs dont elle fe délivre.

Par l'acte de confédération, appelé l'alliance des trois Waldstatt, les trois cantons unis s'étoient, non-feulement obligés à fe maintenir fous l'obéiffance de l'empire & de fon chef, mais encore à acquitter envers les feigneurs les droits qu'ils pofsédoient à titre légitime.

Il n'est pas inutile d'obferver que ces réserves étoient d'autant plus généreufes, qu'elles furent toutes précédées du triomphe: en 1315, les trois premiers cantons avoient remporté une victoire moins célébre, mais plus digne encore de l'être que le combat des Lacédémoniens aux Thermopyles; puifqu'avec un auffi petit nombre de combattans, les Suiffes accablèrent une armée Autrichienne, compofsée de vingt mille hommes, & réduisirent à prendre la fuite ceux de leurs ennemis qui échappèrent à la chûte des énormes roches qu'ils précipitoient fur eux.

Le canton de Lucerne, qui fortifia, en 1332, la ligue des trois cantons, montra la même générofité. Dans le tems où il confentit à maintenir les

droits antiques du duc d'Autriche, fes habitan avoient éventé le projet qu'on avoit conçu de les affervir, s'étoient rendu maîtres des poftes établis dans leur ville, en avoient expulfé les troupes, & avoient faifi la perfonne du gouverneur.

· La ligue reftreinte à quatre cantons, prit, en 1351, un accroissement important par l'acceffion du canton de Zurich.

Ces cinq cantons, défendre de l'oppreffion, furent en état de protéger Glaris contre les Autrichiens, & l'enveloppèrent l'année fuivante, ainfi que Zoug, dans leur alliance.

réunis jufqu'alors pour fe

Bientôt la république de Berne entra dans cette confédération, qui l'avoit aidée à triompher de la haute nobleffe à la bataille de Laupen.

Jufqu'en 1481, la ligue des Suiffes n'embraffa que ces huit cantons; mais le lien qui les uniffoit ne les afferviffoit pas à une même conftitution civile, à une même police intérieure. Chacun d'eux avoit fes loix, fes priviléges de communauté; ils envoyoient, à un lieu convenu, des députés qui ouvroient des conférences que l'on doit regarder comme l'origine des diètes helvétiques.

On y régloit les fecours que chaque état fourniroit, les diverfions que l'on feroit fur les pays ennemis en cas d'attaque.

Nos faftueux ambaffadeurs qui cachent fi fou

vent une stérile miffion fous de grands dehors, auroient souri dédaigneusement à la vue de ces envoyés, qui fe rendoient à pied, fous un costume fimple & antique, dans un village près des confins de l'Undervalden, pour y difcuter les intérêts de leur canton, & y proposer les moyens de confolider leur indépendance.

Ces vertueux représentans ne cherchoient, ni à corrompre par l'or, ni à féduire par un beau langage; ils expofoient fimplement leurs demandes, ne diffimuloient ni leur force, ni leur foiblesse, & montroient un defir égal de servir la chose com

mune.

S'il s'élevoit des difficultés, on nommoit des arbitres, & l'impartialité terminoit les différends par une décision que les autres cantons garan

tiffoient.

Ces braves confédérés montrèrent longtems leur courage fous un aspect d'autant plus impofant, qu'ils se bornoient à des actes purement défenfifs; mais il arriva un moment où ils fe livrerent à l'efprit de conquête: ce fut la cour de Rome qui leur infpira cette malheureuse paffion.

Frédéric, duc d'Autriche, avoit favorisé l'évafion du pape Jean, déposé par le concile de Conftance. On prononça contre les fugitifs les bans de l'église & de l'empire; on rendit les Suiffes exécuteurs d'une partie de ce jugement rigoureux;

ils n'étoient pas alors affez éclairés pour fentir que cette puiffance fpirituelle fe dégradoit, en mêlant des dons terreftres à ceux dont elle difpofe, qu'elle paffoir les bornes de fon pouvoir, en les inveftiffant des conquêtes qu'ils feroient fur Frédéric.

Les villes de Zurich, de Berne & de Lucerne, s'emparèrent de quelques terres qu'elles confervèrent exclufivement, comme le fruit de leur obéiffance au faint fiége, & de leurs premières attaques.

Les cantons réunirent leurs forces & fe faif rent des bailliages libres & du comté de Baden, dont ils ont la propriété en commun; cette propriété, qui fembloit devoir refferrer les liens de la confédération, a été fouvent, au contraire, un germe de jaloufie & de difcorde entre les coprapriétaires.

Indépendamment de ce neud politique qui uniffoit les huit cantons, il fe forma des liaisons intimes entre des villes ou des communautés plus rapprochées. Ces affociations particulières furent défignées fous le nom peu harmonieux de Combourgeoifie.

Un des principaux points de la confédération étoit, que chaque canton devoit, en cas de différends entr'eux, s'en rapporter à la décision du plus grand nombre. Celui de Zurich, pour avoir voulu

fe fouftraire à cette loi très-fage, & s'être repofé fur l'appui & les fecours des princes étrangers, vit fes murs affaillis, fes campagnes ravagées, & fut menacée d'une deftruction entière.

Louis XI, alors dauphin, en marchant au secours de ce canton, éprouva, par la résistance qu'opposèrent à fon armée douze cents Suiffes, combien ils favoient faire payer cher une stérile victoire. Ils périrent tous, épuifés de carnage, à l'exception de feize, qui furent bannis de leurs cantons pour n'être pas demeurés fur le champ de

bataille.

Il n'a manqué à la Suiffe qu'un écrivain, tel que ceux de l'antiquité, pour donner à fes traits héroïques l'éclat dont brillent encore ces républiques fameufes qui ont furvécu à la destruction de leurs cités. Peut-être auffi la difficulté de prononcer leurs noms a-t-elle laiffé tomber dans l'oubli des hommes qui ne le cédoient, ni en vertu, ni en courage à ces illuftres perfonnages de la Grèce & de Rome qui femblent fe foutenir fur les débris de leur patrie, dans l'attitude majeftueuse que leur a imprimé la muse de l'histoire.

Une autre loi fondamentale de la confédération fut que, nonobftant le privilége réservé par divers cantons, de former de nouvelles alliances, les autres confédérés auroient le droit de juger fi ces alliances étoient compatibles avec l'intérêt général.

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