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Jugeons, d'après ce trait, fi nous avons rien à craindre d'une nation fi affectionnée aux François, lors même qu'ils n'étoient que d'aimables efcla

ves.

Le même écrivain rapporte une fcène d'un genre bien différent, qui fe traita dans cette affemblée. Deux vieillards fe préfentèrent & demandèrent au peuple des difpenfes pour époufer des parentes orphelines auxquelles ils vouloient affurer une aifance honuête ; un curé prit la parole pour représenter les droits du clergé, & prétendit qu'il n'appartenoit pas à un corps politique de s'immifcer dans les affaires religieufes; que le pouvoir législatif avoit pour bornes les loix de dieu & celles de l'églife. Une oppofition s'éleva; elle partoit d'un fimple berger. Il diftingua dans les degrés prohibés ceux qui le font de droit divin, d'avec ceux qui le font de droit humain. Quant aux premiers, difoitil, l'églife n'a pas plus de pouvoir que les loix pour en lever l'obstacle; mais les feconds ne font que des empêchemens civils qui peuvent être détruits par celui qui a le droit d'abroger & de faire des loix civiles, & il conclut par engager l'affemblée à prononcer fur ces difpenfes.

Un autre payfan prit la parole & dit, fi les loix font juftes, les difpenfes font des graces, & les graces ne doivent être accordées que dans les circonftances où un grand avantage peut réfulter de

l'inexécution de la loi. Le mariage d'un vieillard n'eft point une de ces circonstances. Sa demande ne doit donc pas être écoutée favorablement. Un applaudiffement général s'éleva, on renvoya les deux vieillards, en arrêtant d'établir à la prochaine asfemblée une loi fixe fur cet important objet.

Telles font les affaires qui se traitent dans cette affemblée de citoyens, tous fouverains par leur réunion. Rien ne limite leur pouvoir & leur cenfure. Le filence est un acquiefcement à la volonté de celui qui vient de parler & non le respect de la crainte. Il n'existe point d'autorité devant eux; mais une fois qu'ils ont pris un arrêté, la volonté générale fait la loi, & chaque citoyen devient fon fujet; le magiftrat qui en ordonne l'exécution est fûr d'être obéi.

Quittons maintenant le féjour de ce peuple roi pour entrer à Bâle, où la liberté flotte entre l'ariftocratie & la démocratie.

Avant que le canton de Bâle fe fût agrégé à la confédération, ses habitans étoient fous la domination de leur évêque qui relevoit de l'empire. A l'époque de l'union de ses sujets avec des hommes libres, ce prince crut de fa prudence de s'éloigner & de fixer fa réfidence à Porentrui, qui fait encore partie de l'empire germanique. Cet éloignement contribua d'abord à affoiblir son autorité; mais ses prérogatives furent anéantics à l'inf;

tant où Bâle adopta la religion réformée; ainfi cette république réforma tout à la fois & fon culte & fon prince.

La puiffance fouveraine réfida d'abord entre les mains du peuple qui expulfa les nobles de fon fein, pour avoir favorifé les prétentions des ducs d'Autriche. Depuis, il a remis fa puiffance à deux corps, l'un que l'on appelle le grand confeil, & qui renferme 116 membres, l'autre le petit confeil qui est compofé de 60. A la tête de ces deux puissances font deux bourgmeftres & deux grands tribuns. Ce qui compofe en tout 280 principaux magiftrats, & non trois cents, comme le dit M. Coxe. Lorfque les deux confeils font réunis, c'est dans leur affemblée que réfide la fouveraineté, puisqu'ils décident exclufivement de tous les grands intérêts politiques de l'état; ils exercent la légiflation, la haute police & difpofent des principaux emplois.

Le petit confeil eft partagé en deux divifions préfidées chacune par un bourgmeftre & un grand tribun. Chaque divifion eft en exercice alternativement pendant un an, juge les causes criminelles & de police.

Le peuple s'affemble une fois l'an, & fait acte de fouveraineté, en recevant le ferment que lui prêtent les magiftrats de maintenir les loix dans leur intégrité & de conferver fans atteinte les libertés & immunités du peuple. Les citoyens de leur côté

font

font dans leurs tribus refpectives aux magistrars un ferment que l'on nomme d'allégeance.

Ce qui paroît bizarre, c'est la manière dont se compofe cette puiffance aristocratique. Les citoyens font partagés en dix-huit tribus. Quinze appartiennent à la grande ville, & trois à la petite; chacune des quinze premières fournit quatre membres au sénat, & les dix-huit ensemble en commu niquent douze au grand confeil.

Pour éviter l'afcendant du crédit ou de l'opulence, le fort décide du choix des candidats, &élève fouvent à la dignité de magiftrats un tailleur, un cordonnier, un pêcheur dont les noms sont compris parmi les fix expofés au balotage. C'est donc à Bâle qu'on peut dire d'un artisan, qu'il est un ariftocrate, fans l'injurier & fans bleffer la vérité.

Au furplus, fi l'on croit M. Robert qui a publié récemment un voyage très-étendu de la Suisse, on fe tromperoit, fi l'on comparoit ces ouvriers avec ceux de la claffe correfpondante, dans les états affervis;» ils connoiffent, dit-il, à fond la » constitution de leur pays, & ils font encore plus refpectables par un fens droit, & par la réputa» tion d'austère probité, que par le rang auquel » leurs concitoyens les ont élevés.

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On imagineroit, dit M. Defmeuniers, dans

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fon dictionnaire diplomatique, «que des maux de

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» tous les genres devroient être la fuite de l'usage abfurde qui abandonne ainfi aux caprices du » fort, le foin de remplir les poftes les plus im»portans du gouvernement; cependant, malgré » les mauvais choix inféparables de ce procédé, » il n'y a peut-être pas d'exemple que la justice air s été mal adminiftrée à Bâle, ou que l'innocence

دو

» ait été facrifiée à la richeffe & au crédit.

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Nous venons de voir l'origine & le développement de la confédération des treize cantons, la diverfité des gouvernemens qu'a produit l'indépendance de la Suiffe; il feroit difficile d'en calculer la durée, & encore plus, d'en prévoir les révolutions. L'efprit public qui fe répand dans ce moment fur tous les peuples de l'Europe a déjà franchi les monts qui environnent cette contrée ; mais il ne faut pas nous le diffimuler, le caractère de la nation contribuera beaucoup à prolonger fon existence politique,

Attachés aux traités qui les uniffent, qui garantiffent la paix intérieure dans chaque état; les canfons ne font pas tourmentés du defir de faire propager leurs idées religieufes, leur fyftême politique,

dans un autre.

Si nous pouvions adopter des principes auffi fages, & nous contenter de bien faire, fans pré

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