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font que partie du grand conseil ; enfin, que l'ariftocratie n'est pas encore parvenue à fermer l'entrée des dignités à cette claffe nombreuse qui forme le peuple, puisque les feizeniers qui font tirés des douze tribus font partie du confeil des deux cents, & ont le droit, à l'époque de fa régénération, de nommer seize membres de la fouveraineté.

Oppofons à ces cercles, à ces différentes combinaifons d'autorité qui assujettissent un gouvernement à des mouvemens réguliers, & femblent faire de la fociété une grande machine dont l'action ne dépend que de quelques léviers placés dans l'intérieur; oppofons-leur l'activité franche, libre & quelquefois défordonnée d'une démocratie placée fous le même climat & mue par la même espèce

d'hommes.

Pour la voir de près, nous allons entrer dans Glaris.

Ce bourg, chef de son canton, est renfermé dans les Alpes. La nature en a protégé les habitans par toutes les forces qui font en sa puissance. Elle femble leur avoir dit : « ne vous occupez que » de vos droits & de votre bonheur. Je vous ai » défendus contre tout étranger qui oferoit interposer sur vous une autre autorité que la vôtre, » formez les réglemens que vous croirez les plus fages, confiez-en l'exécution à ceux que vous jugerez les plus dignes de les maintenir, vous

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» ne pouvez plus avoir pour ennemis

» mêmes ».

que vous

Les habitans de Glaris ont paru dociles à ces confeils. La plus grande égalité règne parmi eux. Leurs maifons conftruites en bois, fur un plan uniforme, ne différent qu'en étendue, & femblent indiquer qu'un citoyen eft l'égal de l'autre; l'opulence, les dignités d'un étranger qui vient les visiter ne leur en imposent point.

On évalue la population de cet état à quinze mille ames; il eft divifé en quinze communautés. Tout citoyen qui a atteint l'âge de feize ans a le droit d'affifter à l'affemblée générale, qui, hors les cas extraordinaires, ne se tient qu'une fois l'année, au mois de Mai, dans une des plaines aux environs de Glaris.

Cette affemblée renferme la fouveraineté; elle fanctionne les loix nouvelles, impofe des contributions, fait les alliances, traite de la paix & de

la

guerre; elle confie l'exercice du pouvoir exécutif, de la jurisdiction civile & criminelle, de l'économie publique & politique à un confeil compofé de quarante-huit membres de la religion réformée & de quinze catholiques.

Cette différence eft établie d'après les régles d'équité; car, foit que le proteftantifme foit plus favorable à la population, foit que la pureté du dogme foit réfervé dans ce canton au plus petit

nombre, il est certain que les catholiques ne forment que la huitième partie du canton de Glaris.

Les chefs du confeil font le landamman, fon lieutenant & le tréforier. Le landamman, lorsqu'il eft nommé par les proteftans, demeure en exercice pendant trois ans. S'il a été élu par les catholiques, fa dignité expire après deux ans. Le parti qui ne le nomme pas élit le lieutenant. Ainfi, l'égalité d'influence se rapproche dans le choix des deux principaux magiftrats. Elle est encore plus fenfible dans leurs actes de fouveraineté; car fi les réformés jouiffent exclufivement du gouvernement du comté de Werdenberg, les catholiques leur donnent la même exclusion dans le gouvernement de Gafter & Duznach.

Ils ont chacun leur affemblée particulière pour l'élection de leurs magiftrats, & la tiennent huit jours avant l'affemblée générale.

On voit que cette petite république offre, nonfeulement l'image d'une parfaite démocratie, mais ce qui eft encore plus rare, l'accord de deux religions qui fe font fi longtems combattues dans notre patrie, qu'elles nous fembloient ne pouvoir exister que fur les ruines de l'autre.

Pour donner l'idée d'une de ces affemblées de fouverains, j'emprunterai la description d'un témoin oculaire, de M. Ramond, qui a été affez heureux pour y être admis quoiqu'étranger.

La grande affaire qui devoit s'y agiter, étoit de favoir fi deux commiffaires qui avoient été envoyés à Soleure, avoient ou n'avoient pas excédé leurs pouvoirs, en fignant les articles préliminaires d'un traité.

L'affemblée se tint dans une prairie de quelques arpens fituée au pied d'une montagne.

Un quadruple rang de bancs y étoit préparé, & formoit une enceinte de plus de trois cents pieds de diamètre. Les magiftrats ayant pris place dans le cercle intérieur, le peuple compofé d'environ quatre mille hommes tous armés occupa les bancs fans aucune diftin&tion.

Le président debout, appuyé fur un des cimetères qui fervirent à repouffer les Autrichiens, étoit placé près du centre du cercle avec le greffier & deux fergens habillés à la livrée du can

ton.

Les femmes n'approchent point 'du cercle ; mais les enfans mâles qui n'ont point encore atteint l'âge de feize ans, ont le droit d'en occuper le centre, pourvu qu'ils ne fe tiennent pas debout, tant par refpect pour l'affemblée, que pour ne pas arrêter les voix & interrompre les regards.

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Quelle affemblée, s'écrie le narrateur, encore animé par l'impreffion qu'avoit fait fur lui ce fpec» tacle impofant, auroit la majesté de cette vallée "protégée par les boulevarts naturels du pays, par

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» femée de cabanes & couverte de troupeaux ! » J'étois pénétré de ce que je voyois, & je ne pou» vois affez admirer ce mélange fublime de gran

deur & de fimplicité dont rien jufqu'alors ne » m'avoit donné l'idée ; tout me fembloit digne » des premiers âges des peuples. Tels étoient les » anciens romains, les républicains de la Grèce; »tels étoient nos vertueux Gaulois & ces braves » Germains, nos respectables ancêtres - ».

L'affemblée fut ouverte par un discours du préfident qui rendit compte avec une noble fimplicité des détails de fa commission, & des raisons qui l'avoient engagé à figner le traité. Son collègue fe leva enfuite pour le même fujet ; il fit un difcours plein de force, & remarquable fur-tout par cette éloquence naturelle qui tire parti du langage le plus ingrat.

Le préfident avoit convaincu; fon collègue fit trouver du plaifir à la conviction; bientôt toutes les voix fe réunirent pour applaudir à la conduite des deux magiftrats.

Le préfident propofa enfuite la ratification que l'ambaffadeur de France attendoit à Soleure. . Un objet d'une auffi grande importance, devoit être décidé à la pluralité des voix. Toute l'assemblée s'écria unanimement qu'il etoit inutile de les compter, que s'il exiftoit un citoyen qui ne fût pas l'ami des François, il ne falloit pas qu'il fût connu.

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