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à fes yeux l'égalité qui lui plaît, & qu'elle ne trouve de charmes que dans la variété des campagnes ?

Je donnerois trop d'étendue à ce discours, fi j'expofois les conftitutions particulières à chaque canton. Je me contenterai d'en préfenter une des trois espèces qui diftinguent leurs gouvernemens; celle de Berne, qui eft de tous les cantons le plus aristocratique; celle de Glaris, qui eft démocratique; enfin, celle de Bâle, qui est mixte.

La fouveraineté du canton de Berne réfide dans un confeil, que l'on nomme le confeil des deux cents. Il exerce fur tous les fujets de cet état l'empire le plus abfolu; car non-feulement il fait les loix & les révoque à sa volonté, donne aux autres tribunaux leurs pouvoirs, forme des alliances, les renouvelle, traite de la paix & de la guerre; il juge encore de toutes les affaires qu'il évoque devant lui, & rend des arrêts de mort.

Quoique le nombre de fes membres fe foit confidérablement accrû, & que pour contenir l'ambition qui s'y portoit en foule, on l'ait irrévocablement fixé à 289, il n'en a pas moins confervé la dénomination de confeil des deux cents.

Il ne répare fes pertes qu'une fois dans le cours de dix ans. Cet efpace de tems confomme environ So de fes membres.

A l'époque de fa reftauration, & lorfque le confeil a déterminé le moment des élections, chaque

avoyer nomme deux des nouveaux membres, chacun des fénateurs en nomme un, quelques officiers jouiffent du même privilége; ce qui porte ces nominations amicales à cinquante: les autres fe font par le fénat & les feizeniers, à la pluralité des fuffrages.

Ce corps puiffant donne l'existence à ce qu'on appelle le petit confeil ou fénat, qui eft compofé de deux avoyers, deux tréforiers que l'on nomme quefteurs, quatre bannerets ou tribuns, & de deux confeillers fecrets.

Le fénat s'affemble tous les jours, difcute toutes les affaires fufceptibles d'être portées au confeil des deux cents, expédie celles de police, juge en dernière instance les affaires criminelles, excepté celles des citoyens de Berne, dispose de la plupart des cures ou charges eccléfiaftiques, & des places fubalternes tant civiles que de police.

Dans les délibérations du conseil, les membres du fénat occupent une place diftinguée, sont invités par leurs noms à opiner, de forte que quoiqu'ils émanent du grand confeil & exercent une autorité inférieure, les fénateurs font plus élevés en dignité, en confidération, que ceux qui ne font que membres des deux conts.

Pour être fufceptible d'entrer au fénat, il faut non-feulement avoir fiégé dix ans au confeil fu

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prême, on exige encore, des afpirans, qu'ils foient mariés.

Il viendra peut-être un tems où l'on impofeta le même devoir à nos légiflateurs, & alors on auta lieu d'en at endre de fages réglemens fur le divorce & fur l'étendue de la puiffance paternelle.

Les avoyers font les premiers magiftrats; autrefois ils étoient élus annuellement; aujourd'hui ils confervent leur place toute leur vie, à moins qu'ils ne foient deftitués par le confeil des deux cents.

L'éclat de cette dignité s'éclipfe tous les ans fur 'la tête de l'un d'eux. On donne le titre d'avoyer régnant à celui qui eft en exercice & qui a la préfidence dans les confeils. Il occupe un fiège plus élévé, furmonté d'un dais: le fceau de la république eft devant lui,

On a cru devoir tempérer fa puiffance en lui interdifant de donner fon avis, lorfqu'il n'en eft pas requis, & en ne lui accordant de fuffrages que dans le cas où les autres font partagés.

L'avoyer qui n'eft plus en exercice eft encore le premier en rang parmi les fénateurs.

Il exifte à Berne un troisième confeil, que l'on nomme le confeil fecret; il eft formé de l'avoyer régnant, du plus ancien tréforier, de quatre bannerets & de deux confeillers, qui portent le nom `de leur tribunal, Ôn y traite des affaires qu'on

craint d'agiter dans une affemblée auffi nombreuse que celle des deux cents; il eft autorifé à prendre une résolution décisive dans les circonftances importantes. Sous ce rapport il n'est pas très-éloigné de l'inftitution du tribunal des inquifiteurs.

L'office des confeillers fecrets eft de veiller aux délibérations des confeils, d'examiner s'il ne s'y paffe rien contre le gouvernement; mais pour que l'objet de leur création fût rempli, il faudroit qu'ils euffent été élus par le peuple, & qu'ils n'euffent pas fur-tout l'expectative d'être euxmêmes agrégés au corps qu'ils font chargés de furveiller.

L'art de l'ariftocratie eft de paroître faire quelque chofe pour le peuple en faisant tout pour

elle.

Après la dignité d'avoyer, la plus importante eft celle du tréforier ou quefteur, que l'on nomme tréforier Allemand, pour le diftinguer de celui du pays de Vaud. Il ne peut être prorogé au-delà de fix ans, dans fon emploi.

La prééminence s'accorde enfuite aux quatre bannerets ou tribuns. Ils ont chacun la jurifdiction fur un certain diftrict que l'on appelle Bannière; ils ont fous leurs ordres des officiers pris dans la classe des payfans, qui ont infpection fur le militaire & sur ce qui est du reffort du juge criminel. Dans l'ordre des distinctions, les feizeniers sui

vent les bannerets. Ce font feize membres du grand confeil pris tous les ans dans les douze tribus qui forment la divifion du peuple.

Les quatre premieres tribus font celles des maréchaux, des tanneurs, des boulangers & des bouchers. Elles ont de très - grands priviléges, entr'autres ceux de donner les chefs de l'armée Bernoife, de fournir huit feizeniers, tandis que les autres enfemble ne donnent que le même nombre. Elles forment tellement le premier échelon pour monter aux grandes charges de l'état, qu'une branche de la maison Dherlac, pour y parvenir, fit fon entrée dans la tribu des maréchaux, & fut forcé de produire ce qu'on appelle fon chef-d'œuvre. Ainfi, l'ariftocratie prend, à Berne, fa fource dans la claffe des artifans.

Par-tout où elle doit naître, il feroit encore plus jufte qu'elle fortît des profeffions effentiellement utiles à la fociété. Mais comme les hommes ont prefque toujours fuivi une route inverse de celle de la nature, il a été plus avantageux pour foi de s'occuper de leurs fuperfluités que de leurs

véritables befoins.

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Il réfulte de ce que je viens d'expofer, que fouveraineté, à Berne, réfide dans fon confeil des deux cents. Que les membres de ce corps puiffant ne font pas néanmoins individuellement les premiers des citoyens, puifqu'un avoyer, un tréforier, un banneret, font fupérieurs à ceux qui ne

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