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Il importoit bien plus au bonheur & à la sûreté de la Suiffe, d'étendre fa ligue défenfive, d'incorporer tous fes cantons dans une même confédération, que de contracter des alliances avec des princes étran gers; mais qui le croiroit ? Déjà les idées aristocratiques & démocratiques divifoient des hommes à peine fortis de la fervitude, & qui fembloient être rentrés fous la main paisible de la nature.

Les cantons qui fe gouvernoient fuivant les principes de l'aristocratie, ayant fait des conquêtes pour leur propre compte, ne tardèrent pas à exciter l'envie des cantons démocratiques.

Cette paffion qui divife les familles, qui brife les affections les plus intimes, doit, à plus forte raifon, triompher des liens politiques. Elle fe manifefta dans toutes fes horreurs, au milieu des prétentions que fit naître l'extinction de la maison de Toggenbourg.

les

Les gouvernemens populaires n'ayant point de frein à oppofer à la multitude corrompue par dépouilles du duc Charles, par les rançons extorquées aux fujets de la maifon de Savoie, par les penfions de Louis XI, fe rendirent coupables d'excès, de dévastations qui fouillent ces premiers. tems de la liberté helvétique.

Quel peuple peut fe vanter d'avoir atteint les principes de juftice & d'égalité, fans y avoir été pouffé par le tumulte & l'orage des paffions? C'eft

trop

fouvent à travers les injuftices, les vengeances, que les nations arrivent à ce degré de lumière qui, en les éclairant tout-à-coup, leur permet de tracer pour l'avenir de fages réglemens, de réparer les torts de l'ignorance & de l'orgueil, de diffiper les inftitutions vicieuses, fous lesquelles gémiffoient tant d'individus à peine compris dans le cercle des conventions humaines!

Un des plus beaux réglemens qui honorent la conftitution des Suiffes, c'eft la fameuse convention de Stantz, par laquelle les confédérés fe promirent une protection mutuelle contre toutes les hoftilités des peuples voifins, contre les foulèvemens intérieurs dans chaque état. Ils réglèrent le partage des bénéfices qu'on retireroit de la guerre, en proportion des contingens que chaque canton fourniroit. Ils confirmèrent leurs anciens traités d'union, s'engagèrent à en renouveller le ferment tous les cinq ans ; ils ratifièrent de nouveau le pacte fait en 1370, au fujet de la jurifdiction ecclésiastique, & celui de 1393, relatif à la police militaire.

Ainsi, par cette convention qui affuroit à chaque canton le fecours des autres états contre les troubles intérieurs, la démocratie se trouva fous la protection de l'aristocratie, & ce qui doit nous paroître plus étonnant encore, celle-ci eut la dé mocratie pour appui.

En 1481, Soleure & Fribourg furent afsociés à la ligue des cantons, ce qui porta leur nombre à

dix.

En 1501, les villes de Bâle & de Schaffhoufe entrèrent dans cette confédération. Enfin, le pays d'Appenzell fut affez heureux pour s'y faire comprendre, en 1513, & forma le treizième canton.

Ainfi, près de deux fiècles s'écoulèrent avant que cette chaîne, commencée en 1308, fût parvenue à fon dernier anneau, & eût acquis un tel degré de folidité qu'il n'eft plus au pouvoir d'aucun fouverain de la rompre.

La Suiffe eft encore le boulevart de la liberté ; ; li exiftent des hommes de mœurs fimples, d'un courage exercé, fiers de leur indépendance, & qui bravent la tyrannie comme le voyageur, qui, du fommet d'une montagne, voit les nuages fes pieds & la foudre se former; de quelque côté qu'elle éclate elle ne peut l'atteindre.

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Les treize cantons n'embraffent pas, à beauconp près, toute la Suiffe; ils ont des alliés qui fe divifent en affociés & en confédérés.

Les affociés envoyent des députés aux diètes générales, & font partie du corps helvétique.

Les autres, tels que les Grifons, le Valais; la république de Genève, l'état de Neuf-Châtel, n'ont droit d'en attendre que fecours & protection, pour le maintien de leurs privilèges.

Peut-être la Suiffe a-t-elle donné trop d'extenfion à fa ligue défenfive. La nature fembloit en avoir fixé les limites entre les Alpes & le Jura, le Rhin & le Rhône. Tels étoient les remparts & les fortifications que cette augufte fouveraine leur avoit tracés de fa main puiflante.

Ces hommes qui n'ont pas voulu avoir de rois pour maîtres, ont des fujets. Ce font les habitans de quelques districts répandus dans l'intérieur de la Suiffe, ou qui lui font adjacens; ils appartiennent, en fouveraineté, à un ou à plufieurs cantons, fuivant qu'ils ont été conquis par leurs armes féparées ou réunies.

Si ces districts font la propriété indivife de quelques cantons, ils font gouvernés par des baillifs, dont la commiffion eft limitée, & qui font remplad'autres fournis fucceffivement par les cantons qui partagent la fouveraineté du pays.

.cés

que

par

J'ignore fi, comme le prétendent quelques voyageurs, entr'autres M. Coxe & M. Ramond les cantons démocratiques ont le tort d'exercer une autorité tyrannique fur leurs fujets, tandis les cantons aristocratiques étendent fur ces mêmes fujets une administration paternelle. Le pouvoir qui fe tranfmet, derroit être pur comme fa fource; peut-être entre-t-il dans le cœur des hommes libres de marquer d'une manière plus fenfible l'intervalle qui les fépare de ceux quine le font

pas; ce feroit encore là une de ces bizarreries de l'efpèce humaine qui offre tant de contradictions à l'œil de l'obfervateur & du philofophe.

La dière générale des cantons réfide à Frawenfeld. Elle ouvre fes féances une fois l'année & les prolonge un mois ou cinq femaines; elle est compofée de deux députés de chaque canton, & eft préfi fidée par le premier député de Zurich. Ony termine les différends qui fe font élevés entredes cantons par ticuliers, ou entr'eux & leurs alliés; on y arrête les moyens à prendre pour la fûreté du corps helvétique & de toutes les parties qui y font agrégées. Lorfque les objets généraux font épuifés, on revife les comptes des gouverneurs de bailliage, on juge les appels des fentences au civil & au criminel portés à cet augufte tribunal.

Les miniftres des cours étrangères qui fe rendent auprès des cantons, s'adreffent à la diète, s'ils ont des demandes à former.

C'est encore un des privilèges du canton de Zurich d'envoyer aux autres cantons les lettres de convocation: la fouscription annonce la forte de diftinction dont ce peuple eft jaloux ; elle eft conçue en ces termes: Aux pieux, prudens, honorables & fages bourgmeftres. magiftrats de la ville de... nos bons amis & fidèles alliés.

Les députés font tous affis dans des fauteuils, mais ceux des huit anciens cantons ont des fièges

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