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tion, la guerre et l'esclavage), c'est l'histoire de l'humanité sous des images simples, grandes, ineffaçables..... L'instruction secondaire forme ce qu'on appelle les classes éclairées d'une nation. Or, si les classes éclairées ne sont pas la nation tout entière, elles la caractérisent. Leurs vices, leurs qualités, leurs penchants bons et mauvais sont bientôt ceux de la nation tout entière, elles font le peuple lui-même par la contagion de leurs idées et de leurs sentiments (très bien). »

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Rien n'est plus vrai, et rien n'explique mieux les déviations funestes et factices de nos révolutions.

L'antiquité, ajoutait M. Thiers, osons le dire à un siècle orgueilleux de lui-même, l'antiquité est ce qu'il y a de plus beau au monde. Laissons, messieurs, laissons l'enfance dans l'antiquité, comme dans un asile calme, paisible, et sain, destiné à la conserver fraîche et pure.

Le calme de Rome! la paix de Rome! la pureté de Rome! oh! si la longue expérience et le remarquable bon sens de M. Thiers n'ont pu le préserver d'un engouement si étrange, comment voulez-vous que notre ardente jeunesse s'en défende ?

Rapport de M. Thiers sur la loi de l'instruction secondaire. 1844.

Ces jours-ci l'Assemblée nationale a assisté à un dialogue comique, digne, assurément, du pinceau de Molière.

M. THIERS, s'adressant du haut de la tribune, et sans rire, à M. Barthélemy Saint-Hilaire : « Vous avez tort, non pas sous le rapport de l'art, mais sous le rapport moral, de préférer pour des Français surtout, qui sont une nation latine, les lettres grecques aux latines.

M. BARTHÉLEMY DE SAINT-HILAIRE, aussi sāns rire « Et Platon! »

:

M. THIERS, toujours sans rire : « On a bien fait, on fait bien de soigner les études grecques et latines. Je préfère les latines dans un but moral. Mais on a voulu que ces pauvres jeunes gens sussent en même temps l'allemand, l'anglais, les sciences exactes, les sciences physiques, l'histoire, etc. >>

Savoir ce qui est, voilà le mal. S'imprégner des mœurs romaines, voilà la moralité !

M. Thiers n'est ni le premier ni le seul qui ait succombé à cette illusion, j'ai presque dit à cette mystification. Qu'il me soit permis de signaler, en peu de mots, l'empreinte profonde (et quelle empreinte!) que l'enseignement classique a imprimée à la littérature, à la morale et à la politique de notre pays.

C'est un tableau que je n'ai ni le loisir ni la prétention d'achever, car quel écrivain ne devrait comparaître? Contentons-nous d'une esquisse.

Je ne remonterai pas à Montaigne. Chacun sait qu'il était aussi Spartiate par ses velléités qu'il l'était peu par ses goûts.

Quant à Corneille, dont je suis l'admirateur sincère, je crois qu'il a rendu un triste service à l'esprit du siècle en revêtant de beaux vers, en donnant un cachet de grandeur sublime à des sentiments forcés, outrés, farouches, antisociaux, tels que ceux-ci :

Mais vouloir au public immoler ce qu'on aime,
S'attacher au combat contre un autre soi-même...
Une telle vertu n'appartenait qu'à nous.....
Rome a choisi mon bras, je n'examine rien,
Avec une allégresse aussi pleine et sincère
Que j'épousai la sœur, je combattrai le frère.

et j'avoue que je me sens disposé à partager le sentiment de Curiace, en en faisant l'application non à un fait particulier, mais à l'histoire de Rome tout entière, quand il dit :

Je rends grâces aux dieux de n'être pas Romain
Pour conserver encor quelque chose d'humain.

Fénelon, Aujourd'hui, le Communisme nous fait

horreur, parce qu'il nous effraie; mais la longue fréquentation des anciens n'avait-elle pas fait un communiste de Fénelon, de cet homme que l'Europe moderne regarde avec raison comme le plus beau type de la perfection morale? Lisez son Télémaque, ce livre qu'on se hàte de mettre dans les mains de l'enfance; vous y verrez Fénelon empruntant les traits de la Sagesse ellemême pour instruire les législateurs. Et sur quel plan organise-t-il sa société-modèle? D'un côté, le législateur pense, invente, agit; de l'autre, la société, impassible et inerte, se laisse faire. Le mobile moral, le principe d'action est ainsi arraché à tous les hommes pour être l'attribut d'un seul. Fénelon, précurseur de nos modernes organisateurs les plus hardis, décide de l'alimentation, du logement, du vêtement, des jeux, des occupations de tous les Salentins. Il dit ce qu'il leur sera permis de boire et de manger, sur quel plan leurs maisons devront être bâties, combien elles auront de chambres, comment elles seront meublées.

Il dit... mais je lui cède la parole.

« Mentor établit des magistrats à qui les marchands rendaient compte de leurs effets, de leurs profits, de leurs dépenses et de leurs entreprises... D'ailleurs, la liberté du commerce était entière..... Il

défendit toutes les marchandises de pays étrangers qui pouvaient introduire le luxe et la mollesse... Il retrancha un nombre prodigieux de marchands qui vendaient des étoffes façonnées, etc... Il régla les habits, la nourriture, les meubles, la grandeur et l'ornement des maisons pour toutes les conditions différentes.

« Réglez les conditions par la naissance, disaitil au roi...; les personnes du premier rang, après vous, seront vêtues de blanc...; celles du second rang, de bleu...; les troisièmes, de vert...; les quatrièmes, d'un jaune aurore.....; les cinquièmes, d'un rouge pàle ou rose...; les sixièmes, d'un gris de lin...; et les septièmes, qui seront les dernières du peuple, d'une couleur mêlée de jaune et de blanc. Voilà les habits de sept conditions différentes pour les hommes libres. Tous les esclaves seront vêtus de gris brun. ON 'ne souffrira jamais aucun changement, ni pour la nature des étoffes, ni pour la forme des habits.

« Il régla de même la nourriture des citoyens et des esclaves.

« Il retrancha ensuite la musique molle et efféminée.

<< Il donna des modèles d'une architecture sim

1 Les pétrisseurs de sociétés ont quelquefois assez de pudeur pour ne pas dire: JE ferai, JE disposerai. Ils se servent volontiers de cette forme détournée, mais équivalente; ON fera, ON ne souffrira pas.

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