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CHAPITRE II ET DERNIER.

Jusqu'à la création du royaume des Pays-Bas.

L'ESPRIT qui avait dirigé Elisabeth dans ses rapports avec les Provinces-Unies lui survécut. La politique anglaise fut, après elle, comme sous son règne, d'aider la république. pour s'en faire un rempart contre la puissance prépondérante sur le continent, mais en cherchant, par des voies détournées, à comprimer le développement prodigieux de ses relations commerciales. Tel fut, comme nous allons le voir, le principe de la conduite de l'Angleterre à l'égard de la Hollande, jusqu'à l'époque même à laquelle nous touchons.

La tombe de Guillaume II fut le berceau de Guillaume III. Il naquit huit jours après la mort de son père; et cet enfant, que le ciel appelait à porter une couronne étrangère, se vit menacé de perdre, par une révolution, les dignités même que ses ancêtres avaient rendues, en quelque sorte, héréditaires dans leur maison.

Les stathouders précédens avaient trop clairement manifesté leurs projets ambitieux, pour que la république ne vît pas cette dignité avec ombrage. On saisit l'occasion. qu'offrait la minorité de Guillaume III pour en suspendre d'abord l'exercice, et, plus tard, la province de Hollande non-seulement éteignit le stathoudérat, mais encore s'engagea à tout tenter pour que les autres provinces en fissent autant, ou du moins décidassent qu'on ne déférerait jamais les charges de capitaine et d'amiral-général à quiconque serait stathouder d'une ou de plusieurs provinces. L'administration devint alors toute républicaine; et pour mieux en assurer la perpétuité, il fut statué que l'élection des magistratures et la collation des charges resteraient irrévocablement aux villes. L'acte par lequel fut opérée cette révolution porta le titre d'édit perpétuel; il est de 1667. Son auteur

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principal fut Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande.

L'influence étrangère s'était réunie au zèle patriotique pour abolir le stathoudérat. Cromwell, par haine contre la maison d'Orange, alliée à celle des Stuart, avait fait insérer dans la paix de Westminster, en 1654, un article secret, par lequel les états de Hollande et de Westfrise s'engageaient à ne jamais élire le jeune prince, fils de Guillaume [[ et d'une princesse anglaise. Il avait aussi précédemment proposé l'union des deux républiques en un seul état, dont les deux parties principales conserveraient leurs formes respectives de gouvernement, et il y eut des conférences à la Haye à ce sujet; mais la proposition du protecteur fut repoussée avec une vivacité qui trahissait le véritable esprit régnant dans les Provinces-Unies à l'égard d'Albion. Il y a deux remarques à faire ici : la première, c'est cette union des maisons de Hollande et d'Angleterre, de tout temps suspecte au parti conservateur des principes et des vertus patriotiques de Barneveld ; la seconde, c'est cette fixité de vues politiques dans les conseils de la Grande-Bretagne envers ou plutôt contre la Hollande, qui fit agir exactement le protecteur comme eût agi le monarque qu'il avait détrôné.

Cependant la république devenait chaque jour plus florissante par l'heureuse influence de l'illustre Jean de Witt; son administration intérieure était améliorée; son empire commercial s'étendait. C'est l'époque où Ruyter brûlait les vaisseaux anglais à Chattam, et portait l'épouvante jusque dans la rade de Londres.

Les intrigues de la cour d'Angleterre et les victoires de Louis XIV changèrent la face des affaires. Charles II devait, par la nature même des choses, tendre à rétablir le stathoudérat que Cromwell avait voulu renverser. Le parti de la maison d'Orange se réveilla donc par les instigations des agens de ce prince, et de nouveaux orages furent annoncés. Louis XIV, d'une autre part, brûlait de punir ces

fiers marchands, qui avaient récemment fait reculer ses armes par la triple alliance. Il parvint à rompre les liaisons du faible Stuart avec la république ; et passant le Rhin en 1672, il entra en Hollande. Ses conquêtes furent rapides. Les provinces de Gueldres, d'Utrecht et d'Over-Yssel furent soumises en quelques semaines. Les Français pénétrèrent jusqu'à Muyden, à quatre lieues d'Amsterdam. Le décou ragement était général. Quelques-uns proposaient de transporter le siége du gouvernement dans les Indes orientales. La république semblait perdue.

Dans ces fatales circonstances, le parti du stathoudérat prit une nouvelle énergie. On s'écria de toutes parts qu'un stathouder pouvait seul, comme au temps de Guillaume I sauver la patrie. Le peuple, qui n'entendait jamais ce noni du libérateur des Provinces-Unies sans un sentiment d'exaltation, répondit à ce cri en massacrant les deux frères de Witt, et en proclamant l'héritier de cette race illustre (1). Ainsi furent payés vingt ans de glorieux services; ainsi fut rétabli le stathoudérat!

Guillaume avait alors vingt-deux ans. Comme pour le récompenser d'avance de tout ce qu'il allait faire, l'enthousiasme du peuple voulait que le stathoudérat et les charges de capitaine et d'amiral-général fussent déclarés héréditaires dans sa famille; une province, celle de Gueldres, alla plus loin l'année d'après, car elle lui offrit le titre de duc souverain. Son cœur l'eut accepté, mais sa politique le refusa, et toutes les autres provinces qu'avait confondues cette offre inconsidérée retentirent de ses louanges.

Le génie du nouveau stathouder, aidé par les fautes de la France, sauva la république. Ses mesures énergiques opposèrent d'abord quelque résistance aux armes françaises, et bientôt après d'habiles négociations formèrent une ligue qui obligea Louis XIV à évacuer la Hollande. La guerre

(1) Basnage, t. II.

fut terminée par la paix de Nimègue, en 1678. La république y recouvra Maëstricht, la seule des villes conquises que la France eût conservées jusque-là.

L'abolition de l'édit perpétuel et l'hérédité du stathoudérat proposée annonçaient, de fait, un grand changement dans la constitution de la république. Il était clair qu'elle allait dégénérer en une sorte de monarchie représentative. Guillaume sut mettre à profit la reconnaissance publique, pour donner de solides bases à l'existence politique dont il venait d'être investi. Sous prétexte de punir les provinces qui semblaient avoir manifesté la disposition de se détacher de l'union, par l'accueil qu'elles avaient fait aux Français lors de l'invasion, il parvint, par adresse ou par violence, à les dépouiller du droit d'élire leurs magistrats, et à en faire une prérogative du stathoudérat. Ces provinces étaient Gueldre, Utrecht et Over-Yssel. Ce que nous avons dit précédemment fait comprendre qu'il se trouvait avoir par là, outre une véritable souveraineté sur les trois septièmes de la république, une portion considérable des états-généraux, qui lui était dévouée parce qu'elle y siégeait en quelque sorte par son influence. L'acte par lequel lé prince fut investi de ces hautes prérogatives dans ces trois provinces est ce qu'on appelle le Règlement de 1674. Enfin, une année avant la paix de Nimègue, Guillaume épousa Marie d'Angleterre, fille du duc d'Yorck. Il cherchait, comme on voit, ainsi que ses prédécesseurs, à fonder sà puissance sur une alliance avec la couronne britannique. Mais de plus profondes considérations déterminèrent sans doute le stathouder à un acte fait pour déplaire aux Hollandais. It est probable qu'il vit dans ce mariage le germe d'une haute fortune, et une union qui devait plus tard changer tous les rapports politiques en Europe.

*

Ses espérances se réalisèrent en 1688. Il fut appelé au trône d'Angleterre par le vœu national. Deux états, sonvent ennemis et toujours rivaux, se trouvèrent ainsi régis

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par le même sceptre. Cet accroissement de puissance dut, comme on pense bien, augmenter la prépondérance de Guillaume dans les affaires de la république; aussi dit-on qu'il était roi en Hollande et stathouder en Angleterre, où son règne était fort agité.

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La guerre de la succession éclata, et le stathouder y trouva une nouvelle occasion d'accroître ses prérogatives d'un privilége plus redoutable encore que le règlement de 1674. Les mouvemens principaux des troupes devaient, d'après la constitution, être soumis par le capitaine-général à leurs HH. PP.; et, il en faut bien convenir, cette règle devait avoir de graves inconvéniens, puisqu'elle empêchait de mettre dans les opérations une célérité souvent si nécessaire à la guerre. Guillaume sat faire ressortir ces inconve niens, et il obtint des états-généraux de pouvoir disposer de l'armée comme bon lui semblerait, et sans en référer préalablement à leur décision.al

Cette concession avait été faite pour une campagne seulement; la nécessité la maintint en vigueur pendant les campagnes suivantes, et elle devint ensuite un droit dit de patentes, qui resta attaché au stathoudérat jusqu'à l'extinction de cette dignité.

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Guillaume mourut en 1702, et le parti patriotique, qui avait frémi pour la république pendant le gouvernement de ce stathouder-roi, eut encore assez de crédit pour remettre en vigueur l'édit perpétuel et faire abolir le stathouderat. La direction générale des affaires fut donc de nouveau confiée aux HH. PP., et cette direction ne fut pas moins brillante que celle qui avait eu lieu avant l'avènement de Guillaume III; la guerre vaillamment soutenue se termina par la paix d'Utrecht, et deux années après, en 1715, les états-généraux conclurent ce fameux traité de la Barrière, que les uns ont représenté comme une transaction de la plus profonde politique, et les autres comme un acte d'une insignifiance complète.

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