Page images
PDF
EPUB

dispositions hostiles et violentes que le gouvernement accu

mulait contre lui.

Quelques associations partielles s'étaient formées dans les provinces. Une réunion de quatre cents gentilshommes ose, en 1566, venir porter une requête à la gouvernante. Là, cette princesse ayant témoigné quelque crainte en voyant le chef de cette troupe aussi bien accompagné : Ne craignez rien, madame, répond un courtisan, CE SONT DES GUEUX! Ce mot retentit aussitôt dans toutes les provinces, et il aide à réunir des élémens épars. Les gueux forment alors une vaste confédération, qui n'attend plus que le moment de prendre les armes. La noblesse prend avec enthousiasme les emblêmes de la gueuserie. Elle porte un vêtement gris, et l'humble besace du mendiants on voit au cou des plus hardis une médaille sur laquelle est l'effigie du roi, et de l'autre deux mains jointes, avec ces mots : Fidèles jusqu'à la besace. Les écussons et les valets sont décorés des mêmes signes. Enfin tous les chants des assemblées évangéliques se terminent toujours par ces cris mille fois répétés : VIVENT LES GUEUX (1)!

Le duc d'Albe crut abattre les esprits en redoublant de fureur. Les comtes d'Egmont et de Horn furent traînés à l'échafaud, comme pour apprendre aux peuples jusqu'où pouvait aller le confident de Philippe II: ses agens remplis du cruel délire qui l'agitait, se signalèrent par les plus déplorables excès; et pour célébrer de sanglans triomphes, ils érigèrent une statue au scélérat pour qui l'on eût dû créer de nouveaux supplices.

Des taxes ruineusés qu'il voulut établir amenèrent la fin de sa tyrannie. C'était dépasser toutes les bornes; aussi le soulèvement fut-il général. On courut aux armes de toutes parts; les ecclésiastiques mêmes déclarèrent qu'on devait résister à l'oppression. Il fut rappelé en Espagne. Les habitans

(1) Introduction à la révolution des Pays-Bas, 1784.

de ces contrées s'imposèrent à eux-mêmes dans la suite des sacrifices bien plus considérables que ceux qu'on exigeait alors d'eux; mais ils aimaient mieux, dit Grotius à ce sujet, donner tout de leur plein gré que payer un dixième contre leurs priviléges (1). Cette réflexion s'applique à tous les temps comme à tous les peuples: il y a là une vérité générale qui est la base de la société politique, et que le pouvoir devrait méditer sans cesse.

Mais le sanguinaire Espagnol était rappelé trop tard. Ses excès portaient déjà leurs fruits. La guerre civile avait éclaté partout, et dans les parties septentrionales la révolte avait déjà un caractère qui annonçait de grands événemens. Le prince d'Orange s'y était rendu, et, à la tête de ces hardis wassergueusen (gueux de mer), il avait enlevé le port de Brille l'année précédente. Ce succès avait produit une révolution dans la Zélande. Enfin les états de cette province, ainsi que ceux de la Hollande et d'Utrecht, s'étaient réunis à Dordrecht, et avaient reconnu le prince d'Orange pour stathouder au nom du roi. Ils déclaraient par leur acte d'union, que les provinces ne pourraient traiter que conjointement, et reconnaissaient solennellement le calvinisme. Une scission existait donc par le fait. Mais ces peuples, fidèles et loyaux, voulaient être absolument forcés à rompre le joug de la

soumission.

La réaction produite dans toutes les provinces par suite des succès de Guillaume et de la retraite du duc d'Albe, eut pour résultat la pacification de Gand: cet acte fameux était une union entre toutes les provinces. Il y était déclaré que les troupes espagnoles sortiraient du territoire des PaysBas; qu'immédiatement après leur sortie, il serait formé une assemblée des états-généraux pour rétablir l'ordre dans les affaires publiques; que les sujets de toutes les provinces seraient tenus de respecter la religion catholique; que les

(1) Annales. de rebus Belgicis.

ordonnances criminelles du duc d'Albe seraient suspendues; les biens par lui confisqués rendus, et les statues élevées en son honneur, détruites. La cour de Madrid dut donner son consentement à cet acte si grave, pour voir reconnaître par les états les gouverneurs qu'elle envoyait. Le règne des Espagnols dans les Pays-Bas paraissait alors sur le point d'être renversé; leurs troupes ne tenaient plus que dans quelques provinces, et la guerre civile, que les accommodemens des assemblées et des conseils ne terminaient pas, était tout à l'avantage des confédérés. Le prince de Parme, envoyé comme gouverneur en 1578, changea la face des choses. Son épée reconquit plusieurs provinces, et son génie sut habilement profiter des divisions qui se manifestaient parmi les confédérés. Guillaume désespérant alors de maintenir l'union générale, conçut l'idée d'une confédération particulière de certaines provinces plus propres, par leur position, à résister à l'Espagne. C'étaient les sept provinces du Nord, unies par les mêmes intérêts maritimes comme aussi par les principes de la foi commune qu'elles avaient adoptée. L'acte d'union fut conclu à Utrecht le 29 janvier 1579. Il fonda la république de Hollande (1)...

Ce premier et grand démembrement du cercle de Bourgogne doit terminer notre première partie. Nous allons dans la seconde poursuivre l'histoire des dix provinces qui vont maintenant composer la souveraineté des Pays-Bas.

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER,

Jusqu'au règne de Joseph II.

Nous n'avons qu'un petit nombre de remarques à faire dans le cours des deux siècles qui remplissent l'intervalle entre

(1) Wiqueford, preuves, etc.

la fondation de la république et le règne du fils de MarieThérèse. L'histoire des Pays-Bas espagnols ou autrichiens mériterait certainement d'être traitée un peu plus au long; mais notre plan nous prescrit des limites, et nous devons nous borner à marquer les institutions politiques introduites par les souverains, et les démembremens successifs sanctionnés par les traités.

La situation des Pays-Bas était remarquable à cette époque. Des influences diverses y agissaient constamment en sens divers. Les états-généraux considéraient encore la pacification de Gand comme loi du pays, et ils portaient à la tête des affaires tantôt un archiduc Mathias, de la maison d'Autriche, tantôt un duc d'Anjou, du sang des Valois. D'une autre part, l'Espagne avait toujours une armée dont les vicissitudes marquaient celles de sa domination dans ces provinces. Presque tous les états de l'Europe s'intéressaient à la querelle. Les calvinistes venaient de toutes parts pour chasser Philippe II d'un pays que son absurde tyrannie avait soulevé; et les catholiques accouraient pour maintenir le monarque, principal appui de cette vaste ligue, qui avait juré l'extermination des sectaires. Des ambitions particulières se mêlaient aux vues générales. Un chef, une ville, une province, cessaient d'agir dans le sens de l'union, pour créer une influence individuelle. La confusion était générale, et les campagnes opprimées par les Espagnols, dévorées par les étrangers et ravagées par les calvinistes, demandaient au ciel le terme de tant de calamités.

Après de longs combats et de lentes négociations, le prince de Parme réussit enfin à ramener à peu près les dix provinces sous le joug espagnol. Ge grand homme de guerre étant mort en 1592, trois gouverneurs généraux qui lui succédèrent ne firent que soutenir sa fortune. En 1596, le cardinal-archiduc Albert fut investi de ce poste par la cour d'Espagne les Pays-Bas respirèrent alors. Bientôt la paix de Vervins, conclue par Philippe II avec Henri IV, vint les dé

:

livrer des hostilités fâcheuses de la France. Quatre jours après la conclusion de ce traité, le roi fit cession des PaysBas à sa fille, l'infante Isabelle-Claire-Eugénie, en la donnant pour épouse au cardinal-archiduc. L'acte daté de Madrid, 4 mai 1598, porte que « le roi y a été déterminé par la con» sidération du bien et du repos des Pays-Bas, pour parvenir » à une solide paix ; et parce que le plus grand bonheur qui » leur puisse advenir est de se trouver régi et gouverné à la » vue et par la présence de son prince et seigneur. Dieu est » témoin, ajoute le roi, des peines et soins qu'avons eus sou→ » vent de ne l'avoir ainsi pu faire personnellement par delà, » comme, en vérité, l'avons grandement désiré (1). » Ceci est un édit de Philippe II !

Ainsi commença le règne d'Albert et d'Isabelle. Tant de sang n'avait pas été tout-à-fait infructueusement versé. L'exemple de la France pacifiée agissait d'ailleurs sur tous les esprits. Les principes d'une sage tolérance remplacèrent donc dans le gouvernement les maximes sanguinaires du conseil de Madrid. Le résultat fut cette mémorable trève de douze ans, où prirent tant de part Henri IV et le président Jeannin. Cette trève, signée le 9 avril 1609, consolidait la république des Provinces-Unies, et suspendait des troubles religieux qui duraient depuis près d'un demi-siècles

La guerre des Pays-Bas recommença à l'expiration de la trève, et elle dura vingt-sept ans, soutenue avec plus ou moins de vigueur de part et d'autre ; le traité de Munster, en 1648, entre l'Espagne et la Hollande, termina enfin ce long différent. Ce traité abandonnait aux Provinces-Unies le pays de Limbourg et diverses places du Brabant et de la Flandre dont ils étaient saisis; il fermait définitivement l'Escaut, et cet article mérite d'être remarqué, car il ruinait Anvers et détruisait le commerce maritime des Pays-Bas espagnols. Deux mondes, les Indes-Orientales et Occidentales,

(1) Mémoires historiques.

« PreviousContinue »