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Charles était né et avait été élevé, dans les Pays-Bays. Il en connaissait les langages divers; il en aimait les habitans. Là son front déposait ces habitudes graves et ce caractère de morgue qui devaient signaler la majesté suprême à Madrid. Il savait que dans ces provinces, sa personne pouvait être affable, pourvu que son gouvernement fût juste, et qu'il serait populaire sans danger s'il savait respecter les antiques privilèges du pays. Aussi, de toutes les parties de sex vastes Etats, ce fut sans doute celle où son joug fut le moins pesant, où ses bienfaits furent le plus nombreux. Il y encouragea les arts et le commerce; on le vit visiter et honorer avec la reine de Hongrie sa sœur, la tombe de Guillaume de Benkelin, modeste inventeur de l'art de préparer et d'encaquer les harengs. L'industrie qui avait produit d'heureux résultats sous les prédécesseurs de ce monarque, prit alors un essor prodigieux et ouvrit le cours d'une prospérité que toutes les fureurs de la guerre civile ne devaient que trop tôt réprimer, sous le règne suivant.

Trois objets doivent spécialement fixer ici notre attention. Il est important de reconnaître ce qu'étaient les états des provinces vers cette époque; nous devons nous arrêter ensuite sur la forme de gouvernement introduite par Charles V. Enfin, il faudra dire ce qui est relatif à l'établissement du cercle de Bourgogne.

Le gouvernement des Pays-Bas sous les deux maisons de Bourgogne et d'Autriche, offre une existence politique dont il est peu d'exemples dans l'histoire. La conquête, le droit de succession ou les traités ayant réunis sur une seule tête les divers titres de souveraineté dans ces provinces, toutes se trouvaient soumises à un chef commun; mais on aurait une idée fausse, si on les considérait comme formant dès-lors un état unique, dont le chef n'avait plus qu'à prendre le titre de roi. Des recherches moins superficielles apprennent, au contraire, qu'il y avait là autant d'états et en quelque sorte autant de chefs que de provinces, en d'autres termes, qu'il y avait

TOME III.

toujours un comte de Hollande, un marquis d'Anvers, un duc de Brabant; mais que seulement le même prince se trouvait investi de ces titres divers. La pragmatique de Charles V, n'avait rien changé à cet égard, car il y était formellement exprimé, qu'elle ne pouvait avoir force de loi que pour la succession dans la maison souveraine, et que, toutes autres dispositions relatives, soit à l'établissement général des états, soit à leur régime intérieur, resteraient intactes.

Il y avait donc là une espèce de fédération d'états divers dont un prince commun était le lien. Le gouvernement intérieur de ces états mérite d'être étudié. Era composto, dit le cardinal Bentivoglio. (1) Di tre forme congiunte insieme; cioè di monarchia, d'aristocratia et di democratia; uno temperato in maniera che la parte più sublime, consisteva nella persona del principe et la parte loro vi ritenevano ancora con moderata proportione, gli ottimati et la moltitudine popolare.

Ainsi donc, la souveraineté se composait dans chacun des états, du prince et du corps des députés de l'aristocratie et de la démocratie, c'est-à-dire, de l'assemblée des états.

Il est impossible de s'étendre ici sur la formation de ces assemblées fameuses. Divers renseignemens nous manquent à ce sujet. Ce n'est guère que vers les derniers temps', qu'on peut présenter un tableau complet de l'élection des députés, et des formes de délibération des assemblées. Tout ce qu'on sait positivement, c'est qu'elles étaient composées de députés du clergé, de la noblesse et des cités. Ces trois classes ne siégeaient pas toujours dans les mêmes proportions. Ici le clergé, était presque ou totalement exclus. Là, la noblesse avait plus de prépondérance; ailleurs c'étaient les mandataires du peuple qui dominaient. Les députés du clergé étaient en général les abbés des divers ordres religieux, et à la différence des autres pays de l'Europe à cette époque, ils n'avaient aucune influence dans les affaires du pays, et n'y

(1) Relatione delle provincie-unite, libro I, cap. IV.

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jouaient un rôle, que par leur vote au sein de l'assemblée. Les nobles étaient en général en possession des offices principaux, à la nomination du chef de l'état; la plupart habitaient leurs châteaux situés hors des cités, et leur influence était balancée par l'organisation forte et libérale de ces cités. Dans presque toutes la population se trouvait divisée en trois classes: la première, composée d'une noblesse intermédiaire entre les grands possesseurs de terres et les bourgeois; la deuxième, composée des bourgeois, et la troisième du peuple distribué dans les diverses corporations d'arts et métiers; toutes jouissaient de libertés municipales fort étendues, et plusieurs avaient des privilèges particuliers qui fondaient leur force et leur prospérité.

Le souverain avait le droit de convoquer les états des provinces, quand il le jugeait nécessaire. Il ne paraît pas que les sessions aient jamais été périodiques d'une manière régulière. Quand le plus grand nombre de ces provinces eurent été réunies en une seule souveraineté, on sentit le besoin de former des états-généraux dans la résidence du prince. De pareils états furent souvent convoqués pendant les troubles religieux: ils étaient composés de députés des états particuliers, et au prince appartenait aussi le droit de les appeler auprès de lui. Au surplus, il est important de remarquer que la portion de souveraineté nationale non dévolue au chef de l'état, ne se trouvait point transportée dans cette nouvelle assemblée, comme on serait d'abord tenté de le croire, mais ait restée, au contraire, répartie entre les diverses assemblées d'états des provinces: c'était donc, au moins en principe, un conseil consultatif plutôt qu'un parlement. On ne voit pas d'ailleurs que les pouvoirs des états-généraux des dix-sept provinces, aient été jamais positivement spécifiés et il faut bien comprendre à ce sujet, que la connaissance théorique des droits n'était guère avancée à cette époque; partout on savait qu'on fondait le pouvoir avec l'épée, et la liberté par l'énergie; mais la politique n'était une science que pour quelques sages.

Le temps créait, modifiait et renversait les institutions; à peine voyait-on la trace des efforts qui opéraient ces changemens; voilà pourquoi il est si difficile de suivre les progrès des libertés publiques chez les peuples de l'Europe ; pourquoi on est si souvent frappé en lisant leur histoire, par l'ap parition ou la disparition subite de tels ou tels établissemens, dont la naissance ou la chute semblent avoir été amenées sans le concours marqué des hommes.

C'est dans l'histoire des révolutions partielles dont les PaysBas furent souvent le théâtre jusqu'au XVIe siècle, qu'il faut étudier l'influence des assemblées d'états sur la liberté et la prospérité publiques. Nous ne pouvons ici en suivre le long développement; choisissons donc entre les pages de l'histoire de ces provinces celle qui nous paraît le mieux caractériser la situation politique de l'époque à laquelle nous nous sommes arrêtés.

En 1488, Maximilien, roi des Romains, et souverain des Pays-Bas, en qualité de tuteur de son fils Philippe, fut fait prisonnier à Bruges, comme ayant attenté aux priviléges des cités, comme menaçant les antiques libertés de ces contrées. Il essayait alors lui-même de se rendre maître de la ville, mais, dit un ancien historien (1), la bourgeoisie et les métiers étant venus en armes, le saisirent et le firent loger et garder en la maison de Craumbourg, au nom des membres de Flandre, des états-généraux et pour leur propre assurance; ce qu'ils firent avec toute civilité et révérence, ayant tous la tête nue et lui faisant tout bon traitement, séquestrant et lui ôtant ses principaux conseillers et trésoriers, etc., quelques-uns de ces serviteurs du prince furent décapités, et les autres transférés à Gand.

Cet événement produisit une vive sensation dans toute l'étendue des Pays-Bas. Les membres du gouvernement non

(1) Meteren, Traduction française, in-folio. 1518.

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arrêtés se hâtèrent de convoquer les états-généraux à Malines, auprès du jeune Philippe; mais cette assemblée, peutêtre pour échapper aux influences qu'on voulait sans doute exercer sur elle, se forma à Gand; là les députés de Flandre portèrent contre le roi des Romains quarante-sept chefs d'accusation, dont voici les principaux :

On disait qu'il avait rompu la paix avec la France, jurée par lui comme par les états, et que de même qu'il n'avait pas eu le pouvoir de la faire tout seul, il avait aussi beaucoup moins le pouvoir de la rompre sans ceux du pays;

Qu'il dissipait les meubles et joyaux de la maison de Bourgogne;

Qu'il s'intitulait seigneur et souverain, sans faire mention de la qualité de tuteur;

Qu'il faisait la guerre aux Pays-Bas sous prétexte de punir ses sujets rébelles, au lieu que ce n'étaient pas ses sujets, et, partant, ne pouvaient être rébelles; et que cela était cause qu'ils avaient été contraints, vu le différend et la violence qu'on leur faisait, d'en appeler à leur souverain le roi de France;

Que, contre ses sermens, il ne faisait ni droit ni justice conformément à leurs priviléges;

Qu'il avait donné et vendu les offices à des étrangers contre les priviléges du pays;

Qu'il avait fait introduire et exécuter par force et avec menaces des impositions en Flandres, lesquelles n'avaient pas UNANIMEMENT et ENTIÈREMENT été octroyées; ce que le seigneur et propriétaire même ne peut pas faire, beaucoup moins un tuteur, comme étant contre les priviléges;

Qu'il empêchait les états-généraux du pays de s'assembler selon qu'ils le jugeaient bon; et qu'étant assemblés il ne voulait pas qu'ils communicassent ensemble pour le bien public; qu'il leur permettait seulement d'adviser sur les propositions d'impôts faites au nom du roi des Romains, et que ceux qui voulaient s'occuper d'autres choses étaient suspects;

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