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coup moins nombreuse, et n'avait jamais eu l'influence dont elle jouissait encore dans la plupart des contrées de l'Europe. Là, les barons étaient sous une foule de rapports assimilés aux autres sujets du suzerain, et les terres s'étaient presqu'en totalité maintenues en franc-alleux. On peut trouver dans l'histoire la raison de cet état politique.

Les habitans de ces provinces avaient en effet conservé long-temps, comme on l'a vu, leur antique existence; ils avaient fait une guerre opiniâtre aux tribus germaniques qui voulaient occuper leur sol. On peut donc penser qu'ils n'avaient subi que fort peu de mélange jusqu'à la grande révolution qui renversa l'empire romain. Quand cette révo❤ lution fut accomplie, quand la digue opposée aux Barbares fut franchie, tout fut soumis, les peuples des Pays-Bas comme ceux de la Gaule. Mais il arriva alors que le torrent dévastateur suivit les voies qui lui avaient été précédemment ouvertes, et se lança tout entier vers les parties australes et méridionales de la Gaule. C'était, en effet, dans ces contrées, si long-temps protégées contre leurs aggressions par les Romains, que les Barbares brûlaient d'assouvir leur soif de pillage et de destruction. Là donc se porta presque toute l'action de la conquête. Les contrées voisines de l'Océan, et dont l'accès, surtout vers le Nord, était plus difficile, se trouvèrent ainsi moins exposées; il s'y établit une quantité moins considérable des vainqueurs ; c'est-à-dire que les effets de la victoire n'y furent pas tout-à-fait aussi sensibles, et par suite, que les antiques habitudes d'indépendance purent dès les premiers temps s'y manifester avec un peu plus d'énergie qu'ailleurs, et mettre quelques bornes à l'autorité exercée les comtes au nom des rois ou des empereurs par Francs.

Ainsi donc, tandis qu'en Angleterre les communes et la noblesse se réunissaient contre la couronne pour fonder la liberté; qu'en France, au contraire, la couronne et les com

munes luttaient de concert contre l'aristocratie; que l'Allemagne subissait toutes les conséquences de la féodalité et voyait les feudataires de tous les degrés, s'arracher les fractions de son sol et les lambeaux de sa couronne, un petit coin de terre donnait un grand exemple: les communes plus éclairées, plus industrieuses, plus énergiques entraient seules dans la lice avec la chevalerie; fondaient et maintenaient leurs droits, et préparaient une révolution qui devait exercer une haute influence sur les destinées de l'Europe. Tels sont les aspects divers sous lesquels se présente l'histoire à l'époque du régime féodal; aspects trop peu médités sans doute par les écrivains modernes, et que nous ne pouvons qu'indiquer simplement dans cette esquisse.

On n'entreprendra pas ici de tracer l'histoire de ces divers comtés, jusqu'à l'époque où ils tombèrent tous successivement sous le joug d'une maison puissante. Ce serait une énumératio fastidieuse, de princes, dont plusieurs, à la vérité, ont reçu de leurs contemporains, les titres de grand et de magnanime; mais sur l'existence desquels la postérité n'en a pas moins jeté le voile de l'oubli. Le seul comté de Hollande compte vingt-six souverains dans un espace de cinq siècles, depuis les premiers dont on connaisse d'une manière un peu claire l'institution, jusqu'à cette comtesse Jacqueline, qui fut obligée de livrer sa souveraineté au duc de Bourgogne. Au reste, l'histoire n'offre ici, quoique dans un cadre moins vaste, que ce qu'elle offrait alors partout: des guerres sanglantes pour la possession ou la suzeraineté de quelques laillages, des rivalités funestes entre les grands, des calamités déplorables souffertes par les peuples, des fables absurdes sans cesse répétées par les anciens écrivains, telles par exemple, que celle qui est relative à une certaine comtesse, laquelle enfanta d'une seule portée, le jour des palmes trois cent soixante-cinq enfans, lesquels furent tous baptisés dans deux bassins de cuivre ; ( qu'on montre encore, dit-on,

dans l'églige de Losdunen, près de La Haye), pour avoir refusé avec dureté l'aumône à une vieille femme (1). Voilà quelle est l'ancienne histoire de ces provinces. Passons à l'exposé plus intéressant de leur réunion.

CHAPITRE II.

Jusqu'à Charles V.

C'est ce qu'on appelle l'histoire de Bourgogne, que nous avons à tracer dans ce chapitre, et nous nous efforcerons d'autant plus de l'exposer avec clarté, qu'il y a sans doute, pour le plus grand nombre des lecteurs, quelque confusion dans ces diverses dynasties de rois, comtes ou ducs de Bourgogne, dont l'histoire nationale fait si souvent mention. C'est là le motif qui nous fait reprendre un peu plus haut, qu'il ne serait absolument nécessaire.

Les Bourguignons, nation d'origine germanique, habitaient vers les bords du Rhin, à l'époque de la grande révolution qui changea la face du monde civilisé. Le christianisme prospérait parmi les hordes qui composaient ce peuple. On est fondé à croire que leur caractère était en général, un peu moins farouche que celui des autres nations voisines.

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On était depuis long-temps dans l'usage d'armer les Barbares entre eux, et de se servir des uns pour détruire les autres. C'était une pratique sans danger dans des temps de prospérité, où ces auxiliaires ne pouvaient être que d'aveugles instrumens d'une force supérieure: mais sous des princes faibles et divisés, ils devaient contribuer à la chute de l'empire. C'est ce qui eut lieu lorsque le perfide Stilicon appela les Bourguignons dans la Gaule, au commencement du cinquième siècle. Il reçut, l'année sui

(1) Histoire des comtés de Hollande, in-18. La Haye, 1664.

vante, sur l'échafaud, le prix de sa trahison; mais les Bouguignons, qui s'étaient répandus à sa voix dans tout l'est de la Gaule, s'y maintinrent malgré tous les efforts de ses successeurs.

Ainsi fut fondé le royaume de Bourgogne. Gondicaire, simple chef des Bourguignons, quand ils avaient passé le Rhin en 407, fut proclamé roi en 413 ou 414. Ce royaume embrassa dans sa plus grande étendue, la Bourgogne moderne, la Suisse presqu'entière, la Savoie, le Dauphiné et une partie de la Provence. La race du fondateur règna 120 ans. Elle s'éteignit alors, et le royaume devint la proie de ces monarques francs, qui se disputaient sans cesse, le glaive à la main, les misérables portions de la Gaule, qui leur étaient dévolues en partage. Il y eut néanmoins un interrègne de vingt-sept ans, depuis la mort du dernier monarque jusqu'à Gontran, premier souverain de la race de Clovis; puis après le troisième monarque de cette race, le royaume devint en quelque sorte une annexe de celui de France, tantôt divisée, tantôt possédée intégralement. Le titre même de cette royauté se perdit entre les divers partages que subit le territoire, et d'autres le remplacèrent.

En 855, Lothaire fils du faible empereur qui succéda à Charlemagne, ayant partagé ses états entre ses trois fils, Charles, le troisième, eut la plus grande partie de l'ancien royaume de Bourgogne, sous le titre de royaume de Provence. une autre fraction peu considérable, et qui s'étendait vers la Suisse, forma en 888, pendant les troubles excités par la déposition de Charles-le-Gros, le royaume de la Bourgogne transjurane. La réunion de ces deux états en composa un nouveau qu'on appella royaume d'Arles. Rodolphe, deuxième roi de la Bourgogne transjurane, fut en 933 le premier roi d'Arles. Telles étaient à peu près partout les couronnes dans ces siècles malheureux posées sur le front des chefs les plus vaillans, par la main tremblante des évêques, elles suivaient les chances de la fortune. La violence renversait toujours

l'œuvre de la violence; et l'huile sainte ne garantissait pas toujours du glaive. Il faut dire néanmoins qu'on aperçoit toujours, dans la courte existence de ces états, des traces de ce principe respecté en France sous les deux premières races, et que Montesquieu nous paraît avoir établi, le premier, d'une manière formelle. La couronne était à la fois héréditaire et élective, c'est-à-dire qu'on élisait le monarque, mais qu'il devait être élu dans la dynastie régnante; et il y a là sans doute une combinaison, fort remarquable pour ces âges, du principe d'hérédité, qui est une nécessité de la Monarchie à laquelle ces peuples avaient cru devoir se soumettre et du droit d'élection, qui était une conséquence naturelle, de la liberté absolue dont ils avaient joui long-temps.

Un siècle s'était à peine écoulé, que déjà il s'était formé, au sein même du royaume d'Arles, plusieurs souverainetés héréditaires sous la simple mouvance de l'empire; le nombre en augmenta tellement dans la suite, que cet état se trouva réduit enfin à un vain titre dont les empereurs décoraient leur majesté.Voici comment s'effectua ce démembrement: la plupart des prélats, soit commission des monarques, par soit par abus introduits à la faveur des troubles, se trouvèrent successivement investis des droits régaliens dans la ville de leur résidence. C'est de la que l'archevêque de Lyon tira son titre d'Exarque, ainsi que l'archevêque de Besançon et d'autres évêques de France ou de Suisse, ceux de princes ou de comtes de l'empire. Les princes qui portaient le titre de rois d'Arles, ne conservèrent pas même la souveraineté sur les débris de leur monarchie; quelques portious furent incorporées à la couronne de France. Une autre partie adhéra aux ligues de l'Helvétie, le reste, composé de la Savoie, du comté de Montbeillard, et de l'évêché de Bâle fut admis au rang des états de l'empire (1),

Revenons maintenant à une portion de cet antique

(1) Pfeffel, etc.

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