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Cependant on ne laiffe pas
De me trouver quelques appas.
La preuve que je fuis jolie,
C'eft que je fuis fouvent cueillie:
Tandis que vous, fuperbe fleur,
Malgré cette extrême blancheur,
Dont vous me paroiffez fi vaine,
On vous laiffe monter en graine.
Ne méprifez point ma couleur,
Vous êtes blonde, je fuis brune ;
Sans faire de comparaifons,
Je me conferve trois faifons,
A peine vous en durez une.
On prife fort peu votre odeur;
J'exhale un parfum agréable.
En quoi m'êtes-vous préférable?
Vous me furpassez en grandeur,
Mais je vous porte peu d'envie :
Eft-ce à la taille, je vous prie,
Qu'on doit eftimer une fleur?

LETTRE

LETTRE à M. DE LA PLACE, fur l'abus du not cœur.

JE fuis choqué tous les jours, Monfieur, de l'abus que j'entends faire du mot cœur. Je ne lis aucune pièce galante fans l'y trouver répété fouvent jufqu'au dégoût. Outre que cette expreffion eft devenue d'une fadeur infupportable, je fuis perfuadé que fi les femmes favoient que le cœur eft une partie mufculeufe de l'animal fituée au milieu du thorax, qui a deux grandes vilaines cavités qui fe nomment ventricules, par où le fang paffe & repasse continuellement, il n'en eft aucune qui daignât accepter un pareil préfent. Je préfume que les gens amoureux qui les premiers ont fenti leur cœur palpiter. plus vivement à la préfence de l'objet aimé, n'auront pas manqué d'imaginer. qu'il étoit le fiége de l'amour, qu'ils auront cru ne pouvoir rien offrir de plus. précieux ni de plus agréable que leur cœur, fans fonger qu'il y a de la folie à faire une offre qui les mettroit dans un bel embarras fi, comme cette belle Hollandoife dont on fait l'hiftoire, leurs maîtreffes les pre

B

noient au mot fur le champ. Mais je fuis furpris qu'ils n'aient pas également fongé à mettre les poumons en jeu. En effet, le poumon n'a pas dû préfenter une image plus défagréable que le cœur, & lorfque nous éprouvons quelque grande fenfation de peine ou de plaifir, le poumon fe refferre ou fe dilate, la refpiration est plus ou moins fufpendue, plus ou moins précipitée tous ces fymptômes, dis-je, l'amour nous les fait éprouver avec plus de violence que toutes les autres paflions; & cependant, ingrats que nous fommes, nous avons fignalé notre reconnoiffance pour le cœur, en le plaçant dans nos emblèmes, dans nos écrits, dans nos difcours, & nous n'avons rien fait pour ces pauvres poumons! II me femble pourtant que fi nous avions depuis quelque temps fubftitué le au cœur dans nos déclarations, nos petits vers, nos jolis romans, &c. cette idée ne paroîtroit aufli folle aujourd'hui que bien des perfonnes pourront la trouver: deux cœurs ou deux poumons percés d'une flêche, ou unis par des liens de fleurs, ne me paroillent ni plus extraordinaires ni moins fignificatifs l'un que l'autre on peut enchaîner deux poumons; on peut oucher, attendrir un poumon comme un cœur, avoir les poumons tendres & fenfi

pas

poumon

bles, ou durs & barbares, ainsi que le cœur des poumons nobles, vils, délicats, qui cédent fans effort, qui refufent de fe rendre, &c. n'ont rien de particulier que leur nouveauté, & c'eft cette même nouveauté qui doit faire leur fortune. S'ils font accueillis favorablement, j'aurai enrichi notre langue d'une infinité d'expreffions neuves qui tiennent à celle-là, & j'en aurai fupprimé une qui eft devenue faftidienfe à force d'être répétée.

J'ai l'honneur, &c.

BAR. Avocat au Parlemène.

RÉPONSE à la lettre inférée dans le Mercure du mois d'avril 1768, page 16, « Savoir fi les malheurs d'autrui font » un motif de confolation pour les » malheureux »?

Il y a long-temps que l'on a fait la réponse ci-jointe à la préfente question que l'on demande, & qui a paffé en proverbe: « la confolation des malheureux eft

» d'avoir des femblables ». Il femble que les malheurs d'autrui adouciffent les nôtres lorfqu'on les envisage avec les fentimens de la religion chrétienne, & que l'on peut apporter quelque fecours aux malheureux, foit par fes confeils, ou par fes largeffes. La fituation des malheureux nous touche, & nous fommes heureux dans nos malheurs en penfant que nous pouvons les adoucir, ce qui eft pour nous une grande confolation. Les malheureux peuvent fe confoler ensemble par les rapports que leurs âmes ont entre elles. L'on croit qu'il eft inutile d'en dire davantage à ce fujet, parce que l'on ne feroit que répéter ce qui a déja été dit.

D. D. N. abonné au Mercure.

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