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la plaindre: ne me plaignez point, me difoit-elle, plaignez mon mari, c'est lui » qui fouffre encore plus que moi. Elle me cachoit fes fanglots; mais l'innocence eft "'dans fes yeux, elle eft peinte fur fon vifage. Non, Monfieur, non, votre épouse, » & je l'affirmerois, ne peut être coupable. » On l'a calomniée; on vous a trompé, » fans doute ; vous le connoîtrez peut» être trop tard, & vous en mourrez de » douleur ».

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Ce difcours émut le Marquis, l'attendrit jufqu'aux larmes; mais ce qu'il avoit entendu dans le confeffional étoit trop gravé dans fon cœur & l'honneur lui étoit ficher, qu'après s'être effuyé les yeux, il impofa filence à cette femme, & lui dit de fe retirer.

Trois ans s'écoulèrent ainfi. Le Comte des J**, frère de la Marquife, étoit parti pour voyager dans les Cours étrangères, environ fix mois avant la détention de fa fœur. C'étoit un homme de mérite, aimable, fort estimé, qui aimoit également fa fœur & fon beau-frère. Il avoit quatre ans plus que la Marquife. De temps en temps il lui donnoit de fes nouvelles. Le Marquis recevoit fes lettres & y répondoit avec amitié; mais fans jamais parler de fa rupture avec fa femme: il attendoit im

patiemment fon retour, pour répandre dans fon fein les amertumes de fon cœur. La honte & la difcrétion ne lui avoient pas permis de chercher un confident hors de la famille de fa femme dont il avoit toujours ménagé la réputation vis-à-vis de fes amis, en leur difant qu'elle s'étoit fixée en province pour fa fanté ; & que c'étoit pour avoir le plaifir de la voir qu'il voyageoit fi fouvent.

Le Comte enfin arriva, après quatre ans d'abfence, & defcendit à l'hôtel de fon beaufrère où il avoit lui-même fon appartement. Il vola dans les bras du Marquis & demanda, avec autant d'éffroi que d'empreffement, la Marquife. Le Marquis étoit fi faifi qu'il ne put d'abord lui répondre. Elle n'eft point morte; lui dit-il; elle l'eft cependant pour moi. Votre four m'a déshonoré. J'ai borné ma vengeance & me fuis contenté de la reléguer dans un château loin de Paris; & vous voyez en moi le plus malheureux des époux. Il lui fit alors le détail de ce qu'il avoit entendu de la confeffion de fa femme; de la fureur où l'avoit mis fa perfidie; de la violence qu'il s'étoit faite pour ne la point facrifier à fon reffentiment; de la résolution où il étoit de lui laiffer finir fes jours. dans fa captivité : & réduifit le Comte à

avouer qu'un époux auffi outragé n'avoit pu faire moins.

La compagnie du Comte, fon amitié, ce qu'il faifoit pour le diftraire, adouciffoit le fort du Marquis. Il épanchoit fon cœur dans le fein de cet ami; ne craignoit point de lui avouer que fa femme étoit toujours préfente à fon efprit; qu'il l'aimoit, la haïffoit, l'adoroit, la méprifoit, que rien enfin n'égaloit fon fupplice. Le Comte l'écoutoit, le plaignoit, en mêlant fes pleurs avec les fiens. Tous enfin étoient, quoique différemment, à plaindre, lorfqu'un événement très-imprévu vint toutà-coup changer leur fort.

Depuis deux ans le fils du Marquis étoit dans un collége avec un gouverneur. Ce gouverneur s'appelloit Bazile. Le feize de juin, jour de cette fête, le Marquis l'invita à dîner avec fon fils qui avoit alors près de dix ans. Sur les fix heures du foir le Marquis & le Comte menèrent le gouverneur & fon élève au Luxembourg, pour leur faire prendre l'air, & vers les fept heures ils les renvoyèrent à leur collége. Lorfqu'ils furent partis, le Marquis, qui fuyoit toujours le monde, mena le Comte fur cette terraffe déferte qui eft du côté de la rue d'Enfer. Là, le Comte en regardant un Eccléfiaftique, dit: Voilà un

homme qui a une belle phifionomie, mais qui eft bien pâle. Ah! cher Comte, s'écria le Marquis, en portant les yeux fur l'Abbé, c'eft le confeffeur de ma femme : c'est à lui qu'elle a fait l'aveu dont je gémis. Allons à fa rencontre; apprenonslui que j'ai tout entendu; & qu'il achève du moins de me juftifier auprès de vous.

Le Marquis, après l'avoir falué, lui demanda le fujet de fa pâleur. L'Eccléfiaftique lui répondit, qu'après avoir été fort malade, il étoit venu prendre l'air au Luxembourg pour hâter fa convalefcence. Le Marquis, après lui avoir témoigné la part qu'il prenoit à fa fituation, lui demanda s'il n'étoit pas furpris de ne plus voir, depuis long-temps, fa femme. Il répondit que non ; qu'il penfoit feulement que Madame la Marquife avoit probablement trouvé quelqu'autre plus digne de fa confiance, & qu'il n'en avoit de regret qu'autant qu'il avoit le plus grand refpect pour elle. Du refpect! s'écria le Marquis ; ce fentiment peut-il lui être dû, après les infâmes aveux que cette femme vous a faits de fa conduite? L'Eccléfiaftique, frappé de ce difcours, pria le Marquis de s'expliquer. Je ne puis qu'approuver votre difcrétion, reprit le Marquis; mais j'ai tout entendu ; j'étois, lorfqu'elle fe confeffa à

vous,

vous, dans la chapelle ; & vous prétendrez en vain me le nier. Ah, Monfieur! Ciel! que vous êtes dans l'erreur. Quoi ! vous attribuez à Madame la Marquife l'intrigue dont elle m'a parlé ? DétrompezMonfieur; jamais femme ne fut plus fage & n'a plus aimé fon mari. Je vois enfin qu'il faut vous éclaircir tout ce mystère. Apprenez, Monfieur le Marquis, que c'est la femme de chambre de votre époufe qui avoit un mauvais commercę avec le neveu de votte Intendant; que c'eft elle qui tous les jours introduifoit ce jeune homme dans le cabinet de toilette de fa maîtreffe, & qui le faifoit fortit tous les foirs par un escalier dérobé. C'est par égard pour votre Intendant que Madame la Marquife a refufé de vous apprendre les motifs qui l'engageoient à mettre hors de chez elle cette fille, attendu que cet homme étant innocent des imprudences de fon neveu, elle avoit voulu lui épargner les reproches qu'il auroit pu effuyer de votre part. C'eft par pure délicateffe enfin, qu'elle m'a confié tout le fecret de cette intrigue, parce' qu'elle fe reprochoit d'avoir renvoyé, fi brufquement, une fille qu'elle eût pu, en la faifant veiller de plus près, ramener peut-être à fes devoirs.

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