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rencontrer de quoi nourrir ma patience & mon courage.

Au neuvième mois de fa groffeffe, elle fit demander à fon mari la grace de la voir (il étoit alors au château.) Sur fon refus, elle le fit prier de lui faire donner ce qu'il falloit pour lui écrire une fois feulement. Privée auffi de cet efpoir, & fe rappellant qu'elle favoit broder, elle traça fur un mouchoir blanc, avec de la foie bleue, la lettre fuivante & la lui fit tenir.

«C'eft avec le fymbole de la fidélité, » mon cher ami, que j'ofe te tracer mes fentimens. J'entre dans mon neuvième mois: peut-être que la naiffance de mon » enfant fera le terme de ma vie. Quel» que démon, jaloux de notre bonheur » mutuel, a cru devoir. l'empoifonner. Mais tôt ou tard la vérité triomphe avec éclat, & je gémis des maux que tu te feras préparés lorfque tu connoîtras mon » innocence! Je fouffre, cher époux, mais » bien moins de la perte de ma liberté que » de celle de ton cœur. Tes duretés (le » croiras-tu!) ont cependant pour moi des » charmes! Elles me prouvent ton amour, » & ce fentiment me confole. Tu n'es » coupable envers moi que d'erreur. Ainfi, » mon cher ami, que d'importuns remords » ne troublent jamais ton repos. Crains » pourtant

en pourtant d'une autre espèce: fonge que l'enfant que je vais mettre au monde » t'appartient, & que je connois ton cœur. » Commence donc par être père, car je » fuis fûre que le Ciel me rendra un jour » mon époux. Je n'ai rien à te demander » maintenant que quelqu'un qui me rende » des fervices que mon état ne me permet » plus de me rendre moi-même, & des ordres pour me procurer les fecours né» ceffaires pour ma prochaine délivrance, » Adieu, je t'embraffe mille fois ».

Quand le Marquis eut développé le paquet, cette écriture en foie le révolta. Bien décidé à ne point lite cette lettre, il l'enferma fous la clef, & fit cette réponse à la Marquife:

« J'ai reçu, mon ingénieufe femme » votre ingénieufe lettre, mais je ne l'ai » point lue. Pourquoi donc me montrer » combien vous avez de reffources dans l'ef»prit? N'en ai-je déja pas trop eu la preuve? » Si vous vous êtes fervi de ce ftratagême » pour écrire à votre amant, je le faurai probablement; & dans ce cas, tremblez». La Marquife, à cette réponse, foupira, & plaignit fon aveugle époux. Réfolue de tout attendre de la Providence, elle pria feulement fa geolière d'écrire à fon mari que le terme de fa délivrance approchoit, &

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qu'elle le prioit de pourvoir aux befoins de fa fituation.

Le Marquis, en recevant la lettre de cette femme, fe reprocha de n'avoir pas prévu les befoins de fon époufe, & partic dans le moment pour le château. En arrivant fon premier foin fut de faire entrer dans la prifon la femme de fon concierge, pour fervir de garde à la Marquife pendant tout le temps de fes couches. Cette femme étoit pleine de bon fens, digne de la confiance du Marquis, & capable d'adoucir les peines de la Marquife.

Quelques jours avant fa délivrance il lui écrivit ces mots, qu'il paffa par la tour avec tout ce qu'il falloit pour qu'elle pût mettre fa réponse au bas du biller,

Je vous prie, Madame, de mettre ici » le nom du père de votre enfant, afin qu'on le lui donne au baptême, car il » n'eft pas jufte qu'il porte le mien ». La Marquife écrivit le nom de fon mari, & ajouta voici le nom du père de l'enfant que je porte; le nom de celui que j'aime & que j'ai toujours aimé unique»ment, que j'aimerai toute ma vie, & » que je n'ai jamais trahi ». A la vue de cette réponse le Marquis fe fentit ému, Mais, en réfléchiffant fur ce mouvement, ille traita de foibleffe, & le furmonta,

Madame, dit-il, ( en élevant la voix ) fi vous aimez le fils que j'ai de vous, fongez au nouveau crime que vous allez commettre en lui donnant un frère ou une fœur qui pourront partager des biens qui n'appartiennent qu'à lui feul!... La Marquife lui répondit, avec douceur & fermeté, que lui feul étoit le père de fon enfant, & que jufqu'au tombeau elle affirmeroit cette vérité. Le Marquis, indigné, fe retira ; &, quelques jours après, fit venir une fage-femme qu'on introduifit dans la prifon de fon épouse.

Ce fut la nuit du quinze au feize d'avril, que la Marquifè donna naiffance à une fille. Le Marquis, qui avoit voulu être averti du moment où fon époufe accoucheroit, étoit auprès du tour, fe fit remettre l'enfant, le remit à la femme de fon fermier, fit mette les chevaux à fa chaife, & partit avec elle pour un village à fix lieues de Paris, dont le Curé étoit de fes amis, & qu'il pria de lui chercher une nourrice qui pût élever la petite fille en vraie paysanne.

Lorqu'il fut queftion de la baptifer, le Marquis s'oppofa d'abord à ce qu'elle le fût fous fon nom; mais il fe vit contraint de céder aux raifons du Curé qui lui représenta que la chofe étoit indifpen

fable, non-feulement pour l'honneur de la Marquife, mais pour celui du Marquis même. La haine que ce malheureux époux avoit déja pour cette pauvre infortunée n'en augmenta que d'autant plus.

Mais revenons à la Marquife. Quand cette pauvre Dame vit qu'on alloit livrer fa fille à fon mari, elle la demanda, la prit dans fes bras, la baifa mille fois, l'arrofa de fes larmes, puis la rendit fans prononcer un mot. Malgré de fi cuifans chagrins, elle foutint les horreurs de fa fituation, & fa fanté n'en fut pas autant altérée qu'elle devoit l'être. Son mari refta au château tout le temps de fes couches. Elle fut la première à le faire avertir au bout de quelques temps, qu'elle étoit en état de fe paffer de la femme qu'elle avoit auprès d'elle, mais il eut affez d'attention pour exiger qu'elle la gardât jufqu'à la fin des fix femaines.

Dès que la femme du concierge eut quitté la Marquife, fon premier foin fut d'aller trouver le Marquis; « Ah, Monfieur, lui dit-elle, en l'abordant, que » votre femine eft refpectable! quelle patience! quelle douceur ! Le chagrin la » dévore, & cependant nul mot ne lui »échappe contre vous. Lorfque, pénétrée » do fen fort, je m'avifois quelquefois de

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