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PORTRAIT.

LETTRE à Mde la C. DE S...

MADAME,

Vous prétendez ne me connoître pas affez par mes lettres. Vous defirez que je vous trace moi-même mon portrait. Je croirois manquer à l'amitié dont vous m'honorez, fi je vous refufois cette fatiffaction.

Une phyfionomie heureufe, des procédés honnêtes, beaucoup de décence dans mes mœurs, & fur-tout une humeur gaie & liante, voilà ce qui me fait aimer dans le monde.

Je parle peu en compagnie; & je tâche de mettre plus de fens que d'efprit dans mes difcours. Tous les gens de parti me font odieux. Quand je les entends difputer avec feu, je leur dis froidement vous avez des préjugés. Le bien ou le mal qu'on dit de quelqu'un ne précipite jamais mon jugement. Je loue un ouvrage felon le plaifir qu'il m'a procuré en le lifant, & non pas felon ce qu'en penfent les autres. Je n'ai montré encore qu'une lueur de

talent. Peut-être n'aurai-je point le courage de parcourir la vafte carrière je me propofe d'entrer. Un long travail me rebute aifément.

Je fuis lié avec peu de gens de lettres. La plupart tombent dans un libertinage d'efprit qui révolte ma raifon. Je ne me vante pas d'avoir beaucoup de religion. Maintenant que je fuis homme, j'en ai moins que lorfque j'étois enfant. Je verrai fans doute plus clairement tout ce que je dois croire, lorfque l'âge aura fait tomber le bandeau des paffions qui couvrent mes yeux. Mais on ne me reprochera jamais d'avoir parlé mal de la religion.

L'état que j'ai embraffé me force de vivre célibataire. J'avoue que cet engagement pefe à mon cœur. Hélas! le befoin d'aimer me dévore. Cependant fi je me livre aux fentimens de l'amour, me voilà deshonoré dans le monde. Tout ce que je puis faire eft de le fuir, & d'éviter jufqu'aux moindres occafions de lui donner prife fur moi, de lui fermer enfin route entrée dans mon cœur; ainfi, Malgré la révolte de mes fens, je tâche d'édifier le monde par la décence de ma conduite, par l'honnêteté de mes entretiens, & par mon exactitude à remplir mes devoirs.

La place que j'occupe eft peut-être celle qui me convient davantage, & celle où je me trouve moins bien. J'éprouve un mal-aife que ne peut guérir toute la diffipation du monde. Mon cœur eft fans cesse le jouet de mon imagination. Je me figure toujours le bonheur dans l'état où je ne fuis point; & j'aime à me faire un tableau agréable de celui où je voudrois être. Cette illufion me confole quelquefois, mais elle dure peu.

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Cependant je ne me tourmente pas pour être mieux. Je ne faurois m'humilier au point de ramper chez les grands. Des perfonnes qui m'aiment ont demandé pour moi des richeffes, des honneurs. On a beaucoup promis. Je n'ai encore rien obtenu. Cela m'apprend à compter peu fur

les hommes.

Quand la magnificence des riches me tente; quand je defire d'avoir comme eux des appartemens dorés, un équipage, des bijoux de prix, des repas délicieux : je regarde cette foule d'hommes placés audeffous de moi, qui n'ont pour demeure qu'un toît de chaûme, pour vêtemens que des haillons, qui éprouvent les différens maux de la vie, qui meurent de faim. Je n'ai point de tréfors, me dis-je alors à moi-même, mais j'ai mon néceffaire,

mes aifes, des momens de plaifir; & je me trouve riche en comparaifon du pauvre.

Les devoirs de ma place, la fociété de mes amis, la promenade, les fpectacles occupent la plus grande partie de ma journée. Je donne le refte à l'étude pour éviter T'ennui. Je pattage mon temps de manière que je ne m'apperçois jamais de fa durée.

On me demande fouvent pourquoi je ne travaille point à me faire une réputation. J'aime mieux paffer ma jeuneffe dans une douce obfcurité. Si j'avois un nom, on me remarqueroit, & je vivrois avec moins d'agrémens, parce que j'aurois perdu la liberté d'aller où je veux, & de faire ce qui me plaît.

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L'âge changera fans doute ma façon de penfer. Je fentirai naître en moi l'amour de la gloire. Alors cette paffion remplira le vuide de mon cœur, & je tâcherai de me faire un nom par quelques ouvrages que je travaille avec foin depuis plufieurs

années.

Me voilà, Madame, tel que je me connois, d'après quelques réflexions fur moi-même. Je ne vous ai point parlé de mon caractère, que mes amis vantent beaucoup. Il ne me convient point de vous répéter tout le bien qu'ils difent de moi. J'ai voulu feulement vous découvrir le fond

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de mon âme que perfonne ne connoît, & vous montrer qu'avec quelques défauts j'ai du fens, des mœurs, & un cœur droit.

J'ai l'honneur d'être, &c.

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LA VEUVE RECONFORTÉE.

POUR

CONTE..

OUR éprouver fa quinteufe femelle,
Avant la fin d'un ennuyeux fermon,
Tranfi de froid, le mari de la belle,
Vous contrefit le mort en fa maison.
Nitouche arrive; à plat elle le trouve,
Tate par-tout. Son fang glacé lui prouve
Que le pauvret eft un époux défunt,
S'il en fut onc. Nitouche étoit à jeûn.
Faut-il pleurer, faut-il manger ou boire?
Bien mieux en fond de larmes, de regrets
Mangeons, bûvons; nous pleurerons après,
Partant fe met la veuve de Grégoire

Sur l'eftomach, deux tranches de jambon,
Puis prend un pot & boit à l'uniffon.
Comme elle fort, quelqu'un frappe à la porte.
Son pot
caché commère, je fuis morte,
De moi c'eft fair! Las! fans me dire adieu,
Défunt Grégoire eft allé dévant Dieu.

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