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d'un excellent ami, médecin, je trouvai à quelques lieues, une voiture; et grâce à celui d'une aimable dame, un vieux passe-port que j'avois devint excellent pour quelques jours, par de faux visa si parfaitement imités, qu'il fut respecté dans tous les lieux où il fallut le présenter.

Traduit à la municipalité de chaque endroit où je passois, je trouvai toutes les autorités, pendant les trois premiers jours, indignées des évènemens du 10 août, disant hautement qu'elles marcheroient contre Paris, dès que d'autres leur donneroient l'exemple; mais c'étoit le courage d'être la première à se décider qui manquoit également à

toutes.

A Senlis et à Roye on disoit avoir reçu de Compiègne la nouvelle, que l'armée de Lafayette marchoit au secours de Louis XVI, grossie de tous les gardes nationaux des campagnes où elle passoit, et peut-être que s'il en eût donné l'ordre à l'instant même où le courrier lui porta la nouvelle des événemens du 19 août, la plus grande partie de son armée et des gardes nationales l'eût suiyi; mais il voulut se concerter avec les départemens voisins, et cela devoit attiédir des officiers qu'il avoit déjà trop accoutumés à respect erla représentation nationale plus que le roi.

Je me trouvois malheureusement cité nominativement dans quelques feuilles de Paris, pour être de ceux qu'on cherchoit à arrêter, et mon passe-port étoit sous mon nom; ne pouvant plus trouver d'asile, il me fallut passer les frontières.

La tyrannie qui n'a fait fuir ma patrie, n'a pu effacer mon amour pour elle; je l'avois servie treize ans dans la magistrature, avant d'être attaché àla personne de Louis XVI; etcertainement Louis XVI fut, de tous les rois, celui près de qui on dût le mieux conserver l'amour de la patrie; car quel roi aima sa nation autant que lui?

La première fois que j'aurai le plaisir de vous revoir, nous ferons encore, en conversation, un petit tour de l'Eu rope passée et présente. Par le présent comme par le passé, je me flatte de vous prouver que la foiblesse d'un roi ne fait pas crouler une monarchie, quand tout ce qui occupe les places du gouvernement a conservé quelque caractère. Louis XIII détestoit Richelieu, qui étoit également détesté de tous les grands alors si puissans et quelques-uns assez énergiques; Richelieu demeura en place, parce que Louis XIII n'eut jamais la force de renvoyer un ministre dont l'énergie le subjuguoit. Richelieu n'eût pas pu consolider la monarchie s'il n'avoit pas gardé sa place. Si Louis XIII avoit été un peu moins foible, il auroit sou vent contrarié les mesures vigoureuses de Richelieu et la monarchie crouloit dès-lors.

le

Mazarin n'avoit pas l'énergie de Richelieu, mais il avoit

genre de force ou de talent propre à combattre les intri gans qui étoient à la tête de la Fronde, je veux dire l'art de faire tromper les hommes les uns par les autres; car Mazarin trompoit rarement lui-même.

Louis XVI ne savoit ni tromper, ni faire tromper ; il avoit affaire à tant de fourbes, et à quelques subalternes d'un caractère si prononcé, qu'il lui auroit fallu un premier ministre qui réunit les deux ames de Richelieu et de Mazarin. Dites-moi, je vous prie, où il étoit, vous qui avez si bien connu les hommes de ce siècle ?

Il auroit fallu, peut-être de plus, que quelques grands troubles dans quelqu'autre partie de l'Europe, et une forte guerre continentale, où la France eût un rôle, occupat et cons sommât cette surabondance d'esprits trop actifs; enfin, que les philosophes n'eussent pas envahi toute l'influence que, sous Louis XIII et Louis XIV, les confesseurs avoient

encore.

N'en riez pas trop, aimable Génevois, cette maréchaussée religieuse, morale et politique ne se bornoit pas à garder les grands chemins; elle savoit faire, dans les boudoirs à intrigues, des patrouilles qui ont été souvent utiles à Louis XIV.

Les parlemens avoient leurs raisons pour chicaner les confesseurs.

Un jour nous parlerons encore de cette grande fédération de l'aristocratie des charges héréditaires inamovibles qui avoit, sous Louis XV, envahi toute l'influence de l'aristocratie nobiliaire; elle ne lui avoit laissé que les signes qui excitent la jalousie sans donner le pouvoir de la contenir.

Agréez les sentimens distingués avec lesquels je... etc. EMANUEL AUBIER,

NOTE DE

Chambellan du roi de Prusse.

L'ÉDITEUR.

L'auteur du Cimitière de la Madelaine fait dire par M. Edgeworth, prêtre irlandais, qui a confessé Louis XVI, qu'avant le 10 août ce prince avoit eu le projet d'abdiquer la couronne ; que M. Aubier rencontra, le 11 août au matin, M. Edgeworth sur un pont, et lui remit une lettre de Louis XVI, où ce prince témoignoit à M. Edgeworth des regrets de n'avoir pas abdiqué. L'éditeur ne trouvant rien dans la lettre de M. Aubier qui pût servir de prétexte à cette fable, lui a demandé ce qui pouvoit avoir donné lieu à une assertion aussi étrange. M. Aubier lui a déclaré qu'il n'a jamais porté de lettre de Louis XVI à M. Edgeworth, qu'il a vu M. Edgeworth, pour la première fois, à Berlin, quand celui-ci alloit à Mittau. Il est convaincu que Louis XVI n'a jamais songé à abdiquer, parce que ce prince pensoit que l'on ne peut jamais se refuser à

remplir les devoirs que la naissance impose. Il imagine que peut-être l'auteur de ce roman a entendu parler d'une simple anecdote, et qu'il s'est cru autorisé à lui donner une extension conforme à ses vues.

Le jour où l'assemblée législative décréta qu'on demanderoit le vœu des assemblées primaires sur la déchéance et une nouvelle constitution, M. Aubier, qui avoit reçu du roi l'ordre d'assister à la séance, vint lui en rendre compte, devant la reine et madame Elisabeth; la reine, remarquant les passages qui décéloient le plan de républicaniser la France, demanda comment une assein blée nationale osoit dire pareille chose après avoir voué quelques jours auparavant, anathême à qui proposeroit la république. Cela engagea, entre la reine et madame Elisabeth, une conversation sur l'impossibilité de savoir. jamais quelle mesure adopter avec un peuple fanatisé par une représentation nationale, qui changeoit sans cesse ses attaques, et donnoit tous les jours le change à ses adversaires, par ses principes contradictoires. Madame Elisabeth finit par dire «Il n'y a que la Providence qui puisse y » apporter remède; » Louis XVI, jusques-là écoutant en silence, se lèva, et en s'en allanf, répondit par une phrase rendant le même sens que les deux vers d'Alzire :' Les mortels, croyez-moi, que j'ai trop su connoître, Méritent peu, mon fils, qu'on veuille être leur maître.

Tel est, sans doute, l'incident qui a donné lieu à la fable qu'on a débitée dans le Cimetière de la Ma-. delaine. L'éditeur auroit pu se dispenser de descendre à la réfutation d'un roman; mais on sait que le public accueille toujours les récits les plus extraordinaires, et il n'est que trop à craindre que les romans ne deviennent un jour l'histoire elle-même.

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