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intérêt au rappel de Roland, Servan et Clavières, que malgré le peu de succès qu'avoit eu la demande particulière qu'il en avoit faite au roi, il osa la reproduire presqu'en propres termes et sur un ton encore plus menaçant, dans l'adresse que je viens de rapporter.

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A l'égard des précautions prises pour la sûreté du château, et que l'assemblée prétendoit être insultantes pour un peuple généreux et sensible, ce reproche étoit relatif au parti que le roi avoit pris depuis les attentats du 20 juin, de faire fermer les Tuileries, pour empêcher que l'entrée du château par le jardin, ne fût forcée une seconde fois, et pour ne plus entendre les injures grossières que ce bon peuple venoit vomir chaque jour sous les fenêtres de la famille royale. Cette mesure aussi légitime que prudente, pouvant mettre obstacle aux tentatives ultérieures projetées contre le château, fut considérée et proclamée par les jacobins comme un acte de tyrannie révoltant, comme une atteinte portée à la souveraineté du peuple et aux droits du corps législatif. Ces clameurs régicides étoient publiées par tous les journalistes révolutionnaires et répétées par les ouvriers des faubourgs, par les groupes du PalaisRoyal et dans l'assemblée, qui, pour satisfaire les factieux, usa du droit illimité que la constitution lui donnoit, de déterminer l'enceinte extérieure du lieu de ses séances, et d'y exercer la police,

la portion

Elle décréta, en conséquence, que du jardin des Tuileries, appelée la terrasse des Feuillans et immédiatement contiguë dans toute sa longueur au lieu de ses séances, fesoit partie de son enceinte extérieure.

Ce décret, rendu le 26 juillet, ouvrit la terrasse des Feuillans au peuple, et obligea le roi à la faire border par une file de grenadiers, pour empêcher qu'on ne descendît dans le jardin. Dès le lendemain, le peuple, irrité de cette barrière, s'en prit à la garde, et lui adressa les reproches les plus insultans. M. Desprémenil reconnu dans la foule au passage des Feuillans, fut aussitôt saisi au collet; il voulut pérorer, les fédérés et les brigands l'assaillirent à-la-fois à coups de sabre, à coups de bâton, à coups de poing; ses habits et sa chemise furent entièrement déchirés; blessé, meurtri couvert de sang de la tête au pied, il fut traîné dans cet état, jusqu'au Palais-Royal, où on alloit achever de l'égorger, lorsque la garde nationale survint, l'arracha des mains de ses assassins, et le transporta à l'hôtel de la trésorerie nationale, où

il

passa une grande partie de la nuit. Pétion, son ancien collègue à la première assemblée, alla en qualité de chef de la municipalité, s'informer de son état. M. Desprémenil le remercia de son attention, et lui adressa ces paroles remarquables : « Et moi aussi, M. Pétion, j'ai été comme vous » porté en triomphe par le peuple; vous voyez

» dans quel état il m'a mis; craignez pour vous

» le même sort. »

L'assemblée, instruite de ces attentats, et sollicitée par la garde nationale de révoquer le décret qui avoit ouvert au peuple la terrasse des Feuillans, et qui rendoit impossible la garde du jardin des Tuileries, ne se contenta pas de rejeter cette demande, elle décréta que le comité des domaines lui feroit, sous trois jours, un rapport sur la question de savoir si la jouissance exclusive du jardin des Tuileries appartenoit au premier fonctionnaire public. Les termes dans lesquels cette question étoit posée, annonçoient d'avance quelle en seroit la décision. Le roi la prévint, en retirant la garde qui avoit été placée la veille sur la terrasse des Feuillans; de manière qu'aucune consigne, au cun obstacle quelconque n'empêchoient le peuple d'entrer dans le jardin; mais les factieux qui diri geoient à leur gré ses desirs, ses sentimens et tous ses actes révolutionnaires, jugèrent plus utile à leurs vues de le retenir sur la terrasse, et voici par quelle manoeuvre ils y parvinrent. Un nombre considérable de leurs orateurs, costumes en sansculottes, étoit répandu dans la foule, haranguoit le peuple, et lui représentoit qu'il n'étoit pas de sa dignité de jouir de la promenade du jardin, par la permission de ceux dont la volonté arbitraire l'en privoit depuis si long-temps; qu'il devoit attendre, sur cet objet, la décision prochaine du

corps législatif, et se borner, en attendant, à la terrasse, dont la liberté étoit décrétée; que c'étoit là la vraie promenade des patriotes; que le reste du jardin étoit la terre de Coblentz; qu'on n'y voyoit que des émigrés, des conspirateurs ou des valets de la cour, etc., etc. Ces harangues, une ligne tracée sur le sable aux deux extrémités de la terrasse, des rubans tricolors tendus à toutes ses issues, et la devise nec plus ultrà qui y étoit suspendue, suffirent pour y retenir la populace immense dont elle étoit couverte, pendant que tout le reste du jardin étoit désert.

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Cette farce patriotique se renouvela les jours suivans, et fut célébrée avec emphase par tous les journalistes révolutionnaires, comme la preuve la plus éclatante de l'aimable aménité, de la gaite spirituelle et délicate de ce bon peuple, lorsque, livré à lui-même, il ne suivoit que ses propres impulsions. Les gens moins enthousiastes virent, au contraire, dans ce passage rapide de la férocité du tigre à la docilité la plus enfantine, la preuve la plus complète de l'asservissement absolu du peuple aux volontés quelconques des factieux. Ce fut à-peu-près dans ces mêmes termes que le roi s'en expliqua, dans la réponse qu'il fit le 28 juillet au soir, à la lettre que je lui avois adressée le jour précédent, et par laquelle j'avois l'honneur de lui marquer que j'attendois ses ordres pour le départ de M. Lefort; que j'avois déjà ras

semblé 400,000 liv. sur les 600,000 liv. que je m'é tois chargé de procurer, et que le surplus devoit m'être remis dans la journée. Sa majesté avoit écrit les réponses suivantes à la marge de ces deux articles:

«Vous pouvez faire partir M. Lefort.

» Je vous enverrai demain, par M. de Mon» ciel, mon bon ou ma reconnoissance en blanc » de 600,000 liv. Vous la remplirez pour les in » térêts suivant les conditions auxquelles on me » prête cette somme. s

M. de Monciel me remit en effet le lendemain" matin un bon de 600,000 liv. daté du 29 juillet. Il étoit chargé d'en remettre un autre d'un million à M. de Montmorin, qui devoit recevoir cette somme de M. du Châtelet.

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La lettre que je reçus du roi ce même jour," acheva de dissiper toutes mes craintes sur son indécision. Sa majesté, convaincue de la nécessité de son départ, et du danger d'en différer l'époque, m'ordonnoit d'acquitter désormais, jour par jour,[ les dépenses secrètes dont le juge de paix Buob étoit chargé, et même de payer d'avance, de semaine en semaine, celles dont le montant étoit fixé. Je fus chargé aussi de donner à Mallet-duPan quelques instructions relatives aux circonstances, et de lui recommander de retourner le plutôt possible à Francfort, d'où il étoit parti le 20 juillet sans m'en prévenir, regardant sa mission

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