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piastres par an pour chacun de ses enfants, et un million de piastres que Sa Majesté avait fait déposer à la Monnaie de Séville, pour servir à achever les batiments et les jardins du palais de Balsain ou Saint-Ildefonse.

La Reine son épouse, qui était alors avancée dans sa grossesse, ne garda aussi que la princesse de Robec et quelques dames d'honneur.

Le prince des Asturies, qui n'avait alors que dix-sept ans, ne jouit pas longtemps de la couronne, puisqu'il mourut quelques mois après de la petite vérole, et le Roi son père se vit obligé de remonter sur le trône et d'en reprendre le gouvernement, par les vives remontrances et par l'empressement des grands et des autres seigneurs espagnols.

I.

QUATRIÈME PHILIPPIQUE.

1.

Quelles vastes métamorphoses,
Tandis que j'étais dans les fers',
Changeaient l'ordre de toutes choses,
Même jusqu'au fond des enfers!
La Discorde y reprend ses chaînes;
Les deux Philippes à leurs haines
Font succéder des nœuds si beaux,
Que, pour tant de cérémonies,
Les deux puissances réunies
N'auront pas assez de flambeaux'.

2.

Roi trop pieux, tels sont les piéges
Qu'un directeur vénal te tend,
Lorsqu'à ses genoux sacriléges
Tu répands ton cœur pénitent.
C'est dans ce tribunal suprême
Qu'il abuse du diademe
Que lui soumet ta piété;

Et tous les faux pas qu'il t'inspire,

Par la chute de ton empire

Relèvent la société.

1 Lagrange

fut enfermé aux iles Sainte-Marguerite après la publication

des premières Philippiques.

2 Allusion à la paix conclue entre la France et l'Espagne.

3 Philippe V.

4 Le père Daubenton, confesseur du roi d'Espagne, était jésuite. Voyez, sur le rôle qu'il joua à la cour de Philippe V, le volume de M. Michelet intitulé La Régence.

3.

Cependant ma muse affranchie
De ces triples portes d'airain,
Dans un coin de ta monarchie
Croit respirer un air serein ';
Je crois revoir le temps célèbre
Où les bords du Tage et de l'Ebre
Recevaient les fameux proscrits,
Quand Sylla pratiquait dans Rome
Les mêmes excès qu'un autre homme
A renouvelés dans Paris.

4.

Mais de cet asile équivoque
Je commence à peine à jouir,
Que l'Ebre esclave le révoque
Quand la Seine s'est fait ouïr2.
Pour fuir un second esclavage,
Irai-je voir sur le rivage
Ou d'Ispahan ou de Memphis
Si, des rois chrétiens rejetée,
La vertu sera mieux traitée
Chez les sultans ou les sophis?

5.

Toi dont l'or meut toute la terre
Par l'espoir d'un bandeau royal,
Te parais-je un foudre de guerre?
Me prends-tu pour un Annibal?
Veux-tu partout qu'on me dénie
L'asile de la Bithynie

1 Lagrange, étant parvenu à s'échapper des iles Sainte-Marguerite, se

réfugia d'abord à Avignon, puis en Espagne.

2 Lorsque la paix fut signée entre la France et l'Espagne, Lagrange fut obligé de quitter ce pays.

3 Le Régent.

Ou de la cour d'Antiochus?
Veux-tu du Midi jusqu'à l'Ourse
Me prescrire la méme course
Que prit la fille d'Inachus?

6.

Je vois un peuple à qui le Tibre
A transmis sa gloire et ses lois,
Peuple à qui l'ardeur d'être libre
A coûté de si longs exploits :
C'est là qu'un lion secourable
M'offre une égide impénétrable
Contre un lion persécuteur;
Que je puis, libre et philosophe,
Attendre en paix la catastrophe
Ou du pupille ou du tuteur',

7.

Tu célèbres tes funérailles

Par des danses et par des chants,
Roi qui déchires nos entrailles
Par des spectacles si touchants.
Victime, au milieu de ces fêtes,
D'un monstre armé de quatre têtes,
Par qui tou sort est achevé,

Ne fais-tu briller tant de charmes
Que pour nous coûter plus de larmes
Quand tu nous seras enlevé?

8.

Quel autel, quel trône s'élève2?

Pourquoi, prêtres de l'Éternel,

Portez-vous cette huile et ce glaive?

Pour qui ce bandeau solennel?

Sur quel front voulez-vous qu'il brille?

Est-ce Jephté qui, pour sa fille,

1 Il s'agit ici de la Hollande, où l'auteur des Philippiques trouva un

refuge après sa sortie d'Espagne.

2 Allusion au sacre de Louis XV à Reims

Me glace d'un mortel effroi?
Est-ce Joas que je contemple?
Le couronnez-vous, dans ce temple,
Comme victime ou comme roi?

9.

Ne soupçonne plus d'artifice
Ce mémorable événement;
France, où tu crains un sacrifice,
Tu ne vois qu'un couronnement.
L'on y mettrait de vains obstacles.
Celui qui fait les grands spectacles
Te répond des jours de ton Roi;
Toujours ouverts sur cette pompe,
Ses yeux, qu'aucun piége ne trompe,
Remplacent ceux de Villeroy.

10.

D'une insolente dictature,

Sylla, justement dépouillé,

Va rendre compte à la nature

Des crimes dont il s'est souillé '.

Déjà vers le jeune Pompée

Vole la foule détrompée :

Méchants! vos beaux jours sont passés;
Tremblez! Par une fuite prompte,

Prévenez la mort et la honte

Dont vos forfaits sont menacés.

11.

Soleil, dissipe ce fantôme *
Qui paraît dans un si grand jour;
A ton départ c'est un atome,
C'est un colosse à ton retour.
Rome! que veux-tu que je croie
De voir que ta pourpre est la proie

1 La fin de la Régence.

2 Le cardinal Dubois.

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