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la place du feu cardinal de La Trémouille, qui jouissait de cette abbaye, et qui avait laissé, assurait-on, pour cinq cent mille livres de dettes.

Les trois nuits du 1er, 2 et du 3 de ce mois, il parut en l'air, au-dessus de la ville de Rouen, un phénomène extraordinaire qui semblait être un feu terrible qui répandait une fumée fort épaisse et fort puante, ce qui causa beaucoup de frayeur aux habitants de la ville et des

environs.

La bourgeoisie de Rouen prit encore une autre alarme dans le temps de ce phénomène, sur ce que le bureau qu'on y avait établi se trouvait manquer d'espèces pour acquitter les billets de banque que les particuliers y présentaient, ce qui causa quelque émotion, mais qui fut bientôt apaisée par la présence du premier président du parlement de Rouen, qui fit porter ce qu'il avait chez lui d'espèces monnayées pour acquitter les billets de ceux qui paraissaient en avoir le plus besoin, et l'intendant se contenta de dépêcher un exprès à M. le duc d'Orléans pour lui donner avis de cet incident; sur quoi on n'avait point tardé de voiturer des espèces de Paris à Rouen, afin que le bureau n'en manquât pas si tôt.

On en voitura aussi en même temps à Lyon, à Bordeaux et en d'autres villes considérables pour éviter de pareils inconvénients. Toutes ces précautions des directeurs de la Banque ne purent néanmoins remédier au peu de confiance qu'on avait alors déjà presque partout le royaume à ces sortes de billets, principalement à Bapaume, à Péronne, à Arras, où très-peu de gens voulaient les recevoir en payement pour la somme qu'ils portaient. A Lille on ne les prenait qu'à raison de dix-huit livres par cent de perte. En Champagne et en Bourgogne, ceux qui avaient du vin, du blé, de l'avoine et d'autres marchandises, aimaient beaucoup mieux les garder dans leurs magasins, dans leurs caves et dans leurs greniers, que de

recevoir du papier de cette espèce en payement au lieu d'argent comptant qu'ils préféraient, malgré les diminutions et les décris fréquents qui arrivaient souvent aux monnaies.

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Le 4, après diner, M. le duc d'Orléans étant arrivé au conseil de Régence, dit au Roi : « Sire, vous n'avez plus de guerre; le roi d'Espagne veut et demande la paix aux conditions qu'il plaira à Votre Majesté de lui prescrire. Le Roi, là-dessus, dit : « J'en suis bien aise, monsieur, voilà une bonne nouvelle que vous m'annoncez aujourd'hui le premier, dont je vous remercie; je le veux bien aussi et vivre en bonne intelligence avec le roi d'Espagne, mon oncle, préférablement à toute autre puissance. Cette repartie du Roi, qui parut naturelle et ingénue, et pour ne lui avoir été nullement suggérée, fut admirée de tous ceux qui étaient au conseil et même de M. le Régent, qui ne put s'empêcher, disait-on, d'en faire un éloge à la sortie du conseil et de déclarer : « Cela me persuade beaucoup de la bonté du génie du Roi, de son juste discernement et de l'inclination naturelle qu'il a pour le roi d'Espagne son oncle, en quoi je remarque la force de la nature, dont les liens me paraissent indissolubles, laquelle inclination ne peut être que très-avantageuse à la France et à l'Espagne, par l'union qui se pourra faire des deux couronnes et par une ligue perpétuelle offensive et défensive entre les deux nations, qu'il ne sera pas difficile de conclure, étant certain que les Espagnols en général la souhaitent et la demandent depuis longtemps pour leur sûreté particulière, et qui pourra se faire plus tôt qu'on ne pense, quoi que l'Angleterre et la Hollande principalement puissent faire ou dire pour en empêcher l'exécution. » Les courtisans qui étaient avec Son Altesse Royale admirerent son discours, et un d'entre eux s'échappa de dire : « Je souhaite de bon cœur que ce que vous venez de déclarer arrive incessamment pour la tranquillité non

seulement de la France et de l'Espagne en particulier, mais aussi de toute l'Europe en général, parce qu'il est certain que les deux couronnes étant liguées ensemble de bonne foi, et les conditions en étant bien exécutées de part et d'autre, les autres puissances qui ont absolument besoin de ce que la France et l'Espagne produisent naturellement, aimeront mieux vivre en bonne intelligence avec elles pour en avoir part, que d'en venir à une rupture et à une guerre ouverte qui tournerait indubitablement à leur désavantage et à leur confusion; principalement l'Angleterre et la Hollande s'en ressentiraient le plus vivement dans leur commerce. »

On prétendait que la nouvelle de la paix d'Espagne s'étant répandue en Italie, le duc de Savoie en avait paru fort inquiet, d'autant plus qu'elle se traitait sans sa participation, et que le roi d'Espagne avait consenti d'entrer dans la quadruple alliance déjà conclue entre l'Empereur, la France, l'Angleterre et la Hollande, qui contenait onze articles.

Le roi d'Espagne écrivit aussi de sa main une lettre à M. le duc d'Orléans en des termes les plus obligeants, par laquelle il remettait ses intérêts entre les mains de Son Altesse Royale pour en disposer absolument comme des siens propres, en l'assurant qu'il approuverait et ratifierait tout ce qu'elle jugerait à propos pour le bien de la paix.

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Après la mort du cardinal de La Trémouille, on proposa au cardinal de Bissy l'archevêché de Cambray, à condition qu'il donnerait sa démission de l'abbaye de Saint-Germain des Prés en faveur de M. le comte de Clermont, frère de M. le duc de Bourbon, né en juin 1709; mais la négociation fut inutile.

On écrivait de Londres, du 30 janvier, que le Parle ment avait été beaucoup étonné de ce que le roi Georges n'y avait rien déclaré touchant la négociation de milord Stanhope, à la cour de France, d'où il était de retour

que

depuis très-peu de jours, ce qui donnait lieu de douter la paix d'Espagne fût aussi prochaine que les avis de France et d'Italie la disaient, d'autant plus que l'on venait d'apprendre à Londres que l'ambassadeur d'Espagne à La Haye n'avait communiqué que le 22 du même mois de janvier aux États Généraux les propositions du Roi son maître, qui paraissaient aussi peu recevables aux Anglais que contraires à leur commerce, surtout à cause de la restitution de Port-Mahon et de Gibraltar, qu'il fallait qu'ils fissent.

Le Roi Catholique écrivit aussi une lettre aux États Généraux, afin de les engager à employer efficacement leur médiation dans cette affaire importante auprès de l'Empereur et des autres puissances qui y étaient inté

ressées.

Le 18, on supprima les offices des grands prévôts, de leurs lieutenants, de leurs brigadiers et des archers des maréchaussées de France; et par un arrêt du Conseil d'État, on établit à leur place quatre inspecteurs généraux pour tout le royaume, qui devait être divisé entre eux en quatre départements, que chaque inspecteur général devait être obligé de visiter chacun deux fois par an pour se faire rendre compte de tout ce qui se serait passé pendant six mois dans chaque département par les lieutenants et brigadiers qui devaient être établis à certaine distance les uns des autres. Chaque lieutenant et chaque brigadier devait étre chargé de tenir un registre pour y écrire le nombre des habitants de chaque ville et de chaque village ou paroisse qui seraient dans l'étendue de son district; le nom de chaque habitant ou chef de famille; ce que chaque habitant a de biens en fonds de terre, en maisons ou en rentes; à quel métier, à quels ouvrages ou à quel commerce chaque habitant s'applique en particulier; combien il y a de journaliers dans chaque lieu, et à quelle occupation chaque journalier est employé et combien il gagne par

jour; combien il y a de pauvres mendiants valides ou invalides dans chaque paroisse.

Si parmi ces mendiants il s'en trouve quelques-uns qui soient encore en état de travailler, on les y obligera.

Si ces brigadiers rencontrent des mendiants sur les chemins, ils les arrêteront pour savoir d'eux le lieu de leur naissance et les obligeront d'y retourner pour s'appliquer au travail en quelque manière que ce soit, s'ils sont en état de le faire; sinon, ils seront arrêtés pour être envoyés à la Louisiane ou en d'autres colonies de la Nouvelle-France en Amérique, afin qu'il n'y ait plus de vagabonds et de fainéants de profession. Pour ce qui est des mendiants invalides soit par la vieillesse, soit par d'autres infirmités connues, on devait établir des hôpitaux dans les lieux qui en manquaient, de six lieues en six lieues, où ces pauvres gens devaient être reçus, nourris et entretenus par les habitants du lieu et des lieux voisins qui seraient obligés d'y contribuer chacun à proportion de ses facultés.

Suivant les registres ou mémoires des brigadiers, il sera facile de savoir et de connaître les facultés des uns et des autres, et ce que chacun pourra payer en particulier pour les besoins de l'État, à proportion de son bien et de son industrie, afin que personne ne soit chargé au-dessus de ses forces.

Chaque inspecteur général devait avoir huit mille livres d'appointements par an, chaque lieutenant quinze cents livres, chaque brigadier huit cents livres; chaque brigadier devait avoir sous lui douze cavaliers qui auraient cinq cents livres chacun pour leur entretien et pour celui de leurs chevaux. Toutes les brigades devaient être à portée de se joindre pour se préter la main dans les occasions pressantes, et devaient servir à la place des archers de la maréchaussée pour donner la chasse aux voleurs des grands chemins et autres, aux faux sauniers et à tous ceux qui font la contrebande.

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