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se trouva complétement entourée; car le peuple encombrait déjà tous les alentours de l'assemblée nationale, la cour et la terrasse des Feuillans. Ce fut là même qu'eurent lieu les premières exécutions sanglantes de la journée. Une patrouille royaliste avait été arrêtée la nuit aux Champs-Élysées. Quelques-uns de ceux qui la composaient s'étaient échappés, quelques autres avaient été amenés prisonniers à la section des Feuillans; il y en eut, dit-on, sept de tués. Cependant on cite seulement les noms de trois personnes, savoir, l'abbé Bougon, l'écrivain Suleau et Vigier, ex-garde-du-corps. Leurs têtes furent élevées et promenées au bout d'une pique. Les royalistes disent que mademoiselle Théroigne fut vue, équipée militairement et armée d'un sabre, à la tête des exécuteurs.

Nous passons ici sur beaucoup de détails que l'on trouvera dans les narrations, en quelque sorte officielles, que nous rapporterons plus bas, tels que la désorganisation des bataillons de la garde nationale, le départ du roi et de sa famille.

La porte royale livra passage au peuple vers neuf heures, soit qu'elle eût été enfoncée, soit qu'elle eût été ouverte par le suisse, ainsi que quelques personnes l'assurèrent, ou par quelques-uns des assaillans qui pénétrèrent par les fenêtres dans la loge des portiers. Les Marseillais pénétrèrent dans la cour, et les canonniers tournèrent leurs canons contre le château. Le feu commença un quart d'heure après. On a discuté beaucoup, selon l'ordinaire, pour établir quel était le parti qui avait commis les premières hostilités. Historiquement c'est une chose assez indifférente. Les actes ici ne sont que la traduction des sentimens. Or, le peuple était venu pour anéantir les forces des royalistes, et ceux-ci étaient là pour se défendre; pour tous, il s'agissait de la vie. Dans un moment si grave, la moindre parole, le moindre soupçon devait amener la collision, et, sous ce rapport, le récit de Pétion, que l'on trouvera plus bas, nous paraît très-probable.

Le feu des-Suisses fit évacuer le Château; ensuite un détachement conduit par Turter balaya la cour royale, la place du Car

rousel, et s'empara de deux canons. Le peuple perdit, en ce moment, beaucoup des siens, et fut réduit à tirailler. Pendant ce temps, un autre détachement suisse, conduit par M. de Salis, traversa le jardin, et alla s'emparer de trois pièces de canon. Pendant ce trajet, il ne cessa d'échanger des coups de fusil avec des tirailleurs placés sur la terrasse des Feuillans. La perte de part et d'autre fut considérable; les Suisses eurent trente hommes de tués. Ce fut alors que, de la part du roi, ordre fut donné à cette garde de cesser le feu. Cependant le peuple recommençait l'attaque; il mit des pièces en batterie aux angles de la rue de l'Échelle et de la porte des Orties, et tira à boulets; on en voyait encore les marques sous l'empire. Il réussit à incendier les bâtimens qui fermaient les cours; cependant on ne pouvait les franchir à cause du feu parti des croisées. Enfin une colonne pénétra dans le jardin par le Pont-Royal et les portes du Manége. Les Suisses, se voyant menacés sur leurs derrières, se replièrent sur le grand escalier. Là le feu recommença, et dura environ vingt minutes, jusqu'à ce que l'irruption croissante de la foule étouffàt toute résistance. Alors chaque peloton suisse chercha à faire retraite par quelqu'une des issues qui restaient libres. Une compagnie se retira par la rue de l'Échelle; elle y périt tout entière. Une autre se jeta dans le jardin, et se retira à l'assemblée nationale en traversant une vive fusillade. Un autre corps d'environ trois cents hommes marcha vers les Champs-Élysées; mais il se rompit bientôt, par la diversité des avis, en plusieurs pelo. tons, dont quelques-uns se sauvèrent dans des maisons particulières, et d'autres périrent en combattant, rue Royale, à l'hôtel de la Marine, place Louis XV et aux Champs-Élysées. Telle est l'histoire des vaincus au 10 août. Nos lecteurs apprendront le reste dans les pièces que nous allons citer.

Récit du 10 août par Pétion, maire de Paris. (1)

La veille, M. Pétion présidait le conseil. Il reçut, lorsqu'il

(4) Extrait de l'ouvrage intitulé : Pièces intéressantes pour l'histoire, etc. Paris, l'an 2 de la république.

était en séance, plusieurs lettres du commandant-général, qui le sollicitait vivement de se rendre au Château, qui lui faisait part de ses craintes et des desseins hostiles du peuple. Sur les dix heures, on affluait de toutes parts à la maison commune, et on prévenait le conseil que les citoyens prenaient les armes dans tous les quartiers, que des groupes se formaient, qu'on parlait de sonner le tocsin et de se porter aux Tuileries. Plusieurs membres du conseil s'écrièrent: Il faut y aller; allons, monsieur le maire, mettez-vous à notre têle.

M. Pétion ne put pas se refuser à ce vou, et il se rendit au Château avec plusieurs de ses collègues. Sa première démarche fut d'aller voir le roi, qui était dans la chambre du conseil.

Les cours, les escaliers, les appartemens étaient déjà remplis de soldats. Les Suisses s'y trouvaient en grand nombre, et avaient tous la baïonnette au bout du fusil. Le roi avait une cour très-nombreuse. La salle du conseil et la pièce qui la précède étaient occupées par des cavaliers habillés en noir, tous l'épée au côté, et par les officiers des états-majors de la garde nationale et des Suisses. La reine, Madame, madame Élisabeth, le dauphin étaient auprès du roi, avec un assez grand nombre de femmes.

Il serait difficile de peindre l'air farouche et de courroux avec lequel cette foule d'hommes envisageait le maire de Paris. Ils semblaient lui dire par leurs regards: Enfin tu vas nous payer aujourd'hui tout ce que tu nous as fait.

M. Pétion s'approcha du roi, qui causait avec le procureurgénéral-syndic du département (M. Roederer). Le roi ne paraissait pas moins irrité; il parla peu à M. Pétion ; il se contenta de lui dire : Il paraît qu'il y a beaucoup de mouvement? - Oui, répondit le maire, la fermentation est grande. Et à l'instant le commandant-général ( Mandat) qui était à côté reprit : C'est égal; je réponds de tout: mes mesures sont bien prises.

M. Pétion ne resta qu'un instant dans les appartemens, et descendit dans le jardin, où il ne cessa de se promener jusqu'à quatre heures du matin plusieurs de ses collègues étaient avec lui.

Successivement des bataillons arrivaient avec des pièces de canon; la réunion de la force armée devenait formidable; la nuit était belle et calme, et on entendait très-distinctement le tocsin sonner dans plusieurs endroits.

Il était à craindre que d'un instant à l'autre des rassemblemens d'hommes isolés ne vinssent se présenter pour enfoncer les portes ; ils eussent, à coup sûr, été immolés.

Le commandant-général, à l'insu du maire, avait donné des ordres à des commandans particuliers, pour que, dans tous les environs du Château et dans les passages les plus fréquentés qui y conduisaient, ils se tinssent sur leurs gardes, eussent beaucoup de monde sur pied, et fissent leurs dispositions militaires comme s'il s'agissait d'une bataille réglée; il avait fait réellement un plan de campagne. Le commandant du poste de la maison commune devait tirer sur les habitans du faubourg Saint-Antoine, lorsqu'ils débouchéraient par l'arcade Saint-Jean. Le commandant du poste de Henri IV (Pont-Neuf) devait faire feu sur les Marseillais, lorsque, de la rue Dauphine, ils viendraient pour enfiler le Pont-Neuf.

L'heure de la nuit s'avançait; fréquemment on donnait des alertes dans le Château. Les voilà qui frappent à telle porte, disait-on; vite on y courait. Un instant après, c'était à une autre.

M. Pétion se promenait toujours, ne paraissant nullement ému et causant tranquillement avec ceux qui l'environnaient. Il était au bas de la première terrasse, en face du château.

Quoique la nuit ne fût pas obscure, les bâtimens projetaient leur ombre au-delà de cette terrasse; et dans une partie on avait mis des lampions sur le bord des pierres pour éclairer. Il y eut un instant où M. Pétion s'approchant de cet endroit, des grenadiers des Filles-Saint-Thomas renversèrent et éteignirent les lampions. Plusieurs de ces grenadiers vinrent ensuite l'entourer, et l'un d'eux lui adressa les propos les plus infâmes et les plus menaçans. Il fut promptement écarté par quelques gardes nationales, qui témoignèrent de l'amitié et de l'intérêt au magistrat.

M. Pétion ne continua pas moins à passer et repasser par le même endroit, comme s'il n'eût été question de rien, et il conserva un calme étonnant.

D'autres grenadiers ne se gênaient pas pour dire hautement ; › Nous le tenons, et sa tête en répondra. Les officiers municipaux qui entouraient le maire étaient beaucoup plus effrayés pour lui qu'il ne l'était lui-même.

Cette position fut connue au dehors. Des sections vinrent dire au conseil que le maire allait être assassiné; et successivement plusieurs personnes vinrent pour le solliciter, le presser de se rendre à la maison commune.

Le ministre de la justice de son côté venait de lui faire dire à plusieurs reprises de ne pas sortir sans avoir parlé au roi, que le roi voulait absolument lui parler.

M. Pétion sentit bien quelles seraient les suites de cette demarche; il se contenta de répondre C'est bon, mais bien résolu de ne pas s'y rendre. Il est certain que s'il fût monté, il ne serait jamais descendu.

L'embarrassant était de sortir de là; s'il eût voulu le faire de lui-même la garde s'y serait opposée. Cependant, l'heure s’avançait et quelques minutes de plus il pouvait être tué. Un de ses collègues, M. Mouchet, témoin de tout ce qui se passait et vivement alarmé se rendit à l'assemblée nationale qui se réunissait en séance, vu l'importance de la circonstance. Il parla à plusieurs membres et leur dit : Si vous ne mandez pas sur-le-champ le maire de Paris à votre barre, il va être assassiné.

On fit donc la motion de l'appeler à la barre pour rendre compte de l'état actuel des choses, ce qui fut ordonné. Deux huissiers, plusieurs gardes avec des flambeaux, vinrent lui notifier le décret en grand appareil; il obéit, se rendit à la barre, de là fut à la maison commune et ne rentra plus dans le Château.

Il est évident qu'il échappa, comme par miracle à la mort ; s'il fût monté au Château, ou si le peuple eût fait le plus léger mouvement pendant qu'il était aux Tuileries, il n'existerait plus. C'est avec raison que le drapeau suspendu au dôme du Château, pendant

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