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quaient dans les troupes de ligne; ses ministres nous dirent que, le 10 février, cent cinquante mille hommes pourraient attaquer l'ennemi, et au mois de mai rien ne fut prêt.

Après la guerre déclarée, la nation s'est presque trouvée sans armes, sans munitions, sans chevaux, sans approvisionnemens. Au lieu de faciliter la nouvelle levée de troupes, l'achat et la fabrication des armes, on a tout entravé.

Un camp devait être formé à Soissons, et rien n'est préparé pour son organisation.

Le plan de guerre jusqu'à ce jour a été combiné de manière qué nos braves soldats ont toujours combattu contre des forces supérieures.

Le Brabant nous appelait, et déjà victorieux nous l'avons évacué; en abandonnant le malheureux Belge, nos avons incendié le toit de ses pères; enfin, on dirait que le roi des Français venge par la flamme la cour de Vienne de l'insurrection belgique; et que le roi de Hongrie venge par le fer la cour des Tuileries de l'insurrection française.

Voilà, messieurs, des faits qui contrastent entièrement avec la lettre du roi, et s'opposent à son impression.

-L'assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'impression.

Une députation de la commune, ayant M. Pétion à sa tête, est introduite à la barre.

M. Pétion. Législateurs, c'est lorsque la patrie est en danger que tous ses enfans doivent se presser autour d'elle; et jamais un si grand péril n'a menacé la patrie. La commune de Paris nous envoie vers vous; nous venons apporter dans le sanctuaire des lois le vœu d'une ville immense. Pénétrée de respect pour les réprésentans de la nation, pleine de confiance en leur courageux patriotisme, elle n'a point désespéré du salut public; mais elle croit que, pour guérir les maux de la France, il faut les attaquer dans leur source et ne pas perdre un moment. C'est avec douleur qu'elle vous dénonce par notre organe le chef du pouvoir exécutif. Le peuple a sans doute le droit d'être indigné contre lui; mais

le langage de la colère ne convient point aux hommes forts. Contraints par Louis XVI à l'accuser devant vous et devant la France entière, nous l'accuserons sans amertume comme sans ménagemens pusillanimes. Il n'est plus temps d'écouter cette longue indulgence qui sied bien aux peuples généreux, mais qui encourage les rois au parjure; et les passions les plus respectables doivent se taire quand il s'agit de sauver l'État.

Nous ne vous retracerons pas la conduite entière de Louis XVI depuis les premiers jours de la révolution, ses projets sanguinaires contre la ville de Paris, sa prédilection pour les nobles et les prêtres, l'aversion qu'il témoignait au corps du peuple, l'assemblée nationale constituante outragée par des valets de cour, investie par des hommes armés, errante au milieu d'une ville royale, et ne trouvant d'asyle que dans un jeu de paume. Nous ne vous retracerons pas des sermens tant de fois violés, des protestations renouvelées sans cesse, et sans cesse démenties par les actions, jusqu'au moment où une fuite perfide vint ouvrir les yeux aux citoyens les plus aveuglés par le fanatisme de l'esclavage. Nous laisserons à l'écart tout ce qui est couvert du pardon du peuple ; mais le pardon n'est pas l'oubli. Vainement d'ailleurs nous pourrions oublier tous ces délits; ils souilleront les pages de l'histoire, et la postérité s'en souviendra.

Cependant, législateurs, il est de notre devoir de vous rappeler en traits rapides, les bienfaits de la nation envers Louis XVI, et l'ingratitude de ce prince. Que de raisons pouvaient l'écarter du trône au moment où le peuple a reconquis la souveraineté ! La mémoire d'une dynastie impérieuse et dévorante, où l'on compie un roi contre vingt tyrans, le despotisme héréditaire s'accroissant de règne en règne avec la misère' du peuple, les finances publiques entièrement ruinées par Louis XVI et par ses deux prédécesseurs, des traités infâmes perdant l'honneur national, les éternels ennemis de la France devenant ses alliés et ses maîtres voilà quels étaient les droits de Louis XVI au sceptre constitutionnel. La nation, fidèle à son caractère, a mieux aimé être généreuse que prudente : le despote d'une terre

esclave est devenu le roi d'un peuple libre; après avoir tenté de fuir la France, pour régner sur Coblentz, il a été replacé sur le trône, peut-être contre le vœu de la nation qu'il aurait fallu consulter.

Des bienfaits sans nombre ont suivi ce grand bienfait. Nous avons vu, dans les derniers temps de l'assemblée constituante, les droits du peuple affaiblis, pour renforcer le pouvoir royal; le premier fonctionnaire public devenu représentant héréditaire, une maison militaire créée pour la splendeur de son trône, et son autorité légale soutenue par une liste qui n'a d'autres limites que celles qu'il a bien voulu lui prescrire.

Et bientôt nous avons vu tous les bienfaits de la nation tournés contre elle. Le pouvoir délégué à Louis XVI pour maintenir la liberté s'est armé pour la renverser. Nous jetons un coupd'oeil sur l'intérieur de l'empire. Des ministres pervers sont éloignés par la force irrésistible du mépris public; ce sont eux que Louis XVI regrette. Leurs successeurs avertissent la nation et le roi du danger qui environne la patrie; ils sont chassés par Louis XVI, pour s'être montrés citoyens. L'inviolabilité royale et la fluctuation perpétuelle du ministère éludent chaque jour la responsabilité des agens du pouvoir exécutif. Une garde conspiratrice est dissoute en apparence; mais elle existe encore : elle est encore soudoyée par Louis XVI, elle sème le trouble et mûrit la guerre civile. Des prêtres perturbateurs, abusant de leur pouvoir sur les consciences timides, arment les enfans contre les pères; et, de la terre sacrée de la liberté, ils envoient de nouveaux soldats sous les drapeaux de la servitude. Ces ennemis du peuple sont protégés par l'appel au peuple, et Louis XVI leur maintient le droit de conspirer. Des directoires de départemens coalisés osent se constituer arbitres entre l'assemblée nationale et le roi. Ils forment une espèce de chambre haute éparse au sein de l'empire; quelques-uns même usurpent l'autorité législatrice; et, par l'effet d'une ignorance profonde, en déclamant contre les républicains, ils semblent vouloir organiser la France en république fédérative. C'est au nom du roi qu'ils al

lument les divisions intestines; et le roi n'a point désavoué avec indignation deux cents administrateurs stupides ou coupables, démentis, d'un bout de la France à l'autre, par l'immense majorité des administrés !

Au dehors; des armées ennemies menacent notre territoire. Deux despotes publient contre la nation française un manifeste aussi insolent qu'absurde. Des Français parricides, conduits par les frères, les parens, les alliés du roi, se préparent à déchirer le sein de leur patrie. Déjà l'ennemi, sur nos frontières, oppose des bourreaux à nos guerriers. Et c'est pour venger Louis XVI que la souveraineté nationale est impudemment outragée ; c'est pour venger Louis XVI que l'exécrable maison d'Autriche ajoute un nouveau chapitre à l'histoire de ses cruautés ; c'est pour venger Louis XVI que des tyrans ont renouvelé le souhait de Caligula, et qu'ils voudraient anéantir, d'un seul coup, tous les citoyens de la France !

Les promesses flatteuses d'un ministre ont fait déclarer la guerre, et nous l'avons commencée avec des armées incomplètes et dénuées de tout.

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En vain la Belgique nous appelle; des ordres pervers ont enchaîné l'ardeur de nos soldats; nos premiers pas dans ces belles contrées ont été marqués par l'incendie; et l'incendiaire est encore au milieu du camp des Français ! Tous les décrets que l'assemblée nationale a rendus pour renforcer nos troupes sont annulés par le refus de sanction, ou par des lenteurs perfides. Et l'ennemi s'avance à grands pas; tandis que des patriciens commandent les armées de l'égalité; tandis que nos généraux quittent leur poste en face de l'ennemi, laissent délibérer la force armée, viennent présenter aux législateurs son vœu qu'elle n'a pu légalement énoncer, et calomnient un peuple libre, que leur devoir est de défendre.

Le chef du pouvoir exécutif est le premier anneau de la chaîne contre-révolutionnaire. Il semble participer aux complots de Pilnitz, qu'il a fait connaître si tard. Son nom lutte chaque jour contre celui de la nation; son nom est un signal de discorde

entre le peuple et ses magistrats, entre les soldats et les généraux. Il a séparé ses intérêts de ceux de la nation. Nous les séparons comme lui. Loin de s'être opposé par aucun acte formel aux ennemis du dehors et de l'intérieur, sa conduite est un acte formel et perpétuel de désobéissance à la Constitution. Tant que nous aurons un roi semblable, la liberté ne peut s'affermir; et nous voulons demeurer libres. Par un reste d'indulgence, nous aurions désiré pouvoir vous demander la suspension de Louis XVI, tant qu'existera le danger de la patrie; mais la Constitution s'y oppose. Louis XVI invoque sans ceese la Constitution; nous l'invoquons à notre tour, et nous demandons sa déchéance.

Cette grande mesure une fois portée, comme il est très-douteux que la nation puisse avoir confiance en la dynastie actuelle, nous demandons que des ministres, solidairement responsables, nommés par l'assemblée nationale, mais hors de son sein, suiyant la loi constitutionnelle, nommés par le scrutin des hommes libres, à haute voix, exercent provisoirement le pouvoir exécutif, en attendant que la volonté du peuple, notre souverain et le vôtre, soit légalement prononcée dans une convention nationale, aussitôt que la sûreté de l'état pourra le permettre. Cependant, que nos ennemis, quels qu'ils soient, se rangent tous. au-delà de nos frontières; que des lâches et des parjures abandonnent le sol de la liberté; que trois cent mille esclaves s'avancent; ils trouveront devant eux dix millions d'hommes libres, prêts à la mort comme à la victoire, combattant pour l'égalité, pour le toit paternel, pour leurs femmes, leurs enfans et leurs vieillards. Que chacun de nous soit soldat tour à tour; et, s'il faut avoir l'honneur de mourir pour la patrie, qu'avant de rendre le dernier soupir, chacun de nous illustre sa mémoire par la mort d'un esclave ou d'un tyran.

Cette pétition est renvoyée au comité de l'extraordinaire.
La séance est levée à quatre heures.]

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