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On saisit aussi une lettre du grand-trésorier Morstyn, dans laquelle il faisait la promesse de troubler les diétines, de renverser les projets du sénat, de semer la défiance dans tous les ordres, et d'amener le roi au point d'être obligé de choisir entre la rupture du traité et l'abdication de la couronne.

Sobieski, muni de ces deux pièces, les fit lire en plein sénat, et, après cette lecture, il prit la parole et dit : « J'ignore ce que vous pensez de >> ces lettres; je crois bien qu'un Morstyn et ses >> semblables se sont laissés corrompre par l'ar>> gent: mais je ne saurais me persuader que les >> Sapieha aient vendu leur foi. Je crois encore >> moins que Jablonowski ait voulu se frayer un >> chemin au trône, en trahissant sa patrie et son >> roi. Un ambassadeur qui travaille dans les ténè>> bres, et qui veut, à quelque prix que ce soit, >> se rendre agréable à son maître, se flatte aisé> ment dans les complots qu'il forme. Il inter>> prète un geste, une parole équivoque en fa>> veur de ses desseins; il va même jusqu'à enfler > le nombre des conspirateurs pour se rendre >> plus important, sauf après, s'il en est besoin, >> à rejeter son erreur sur l'inconstance humaine. >> Quant à ce qu'il dit de moi, ce n'est pas une >> imposture. Il est vrai qu'il a osé me tenter par >> une profusion d'or, et encore plus par l'appât >> séducteur d'assurer le trône à mon fils. J'ai >> méprisé l'or; il m'a été plus difficile de résister à >> la voix du sang : mais celle de la république a >> été plus forte, et si un autre Sobieski doit >> régner sur vous, il ne régnera que par la liber>> té de vos suffrages. L'ambassadeur nous ou>> trage tous en nous peignant comme une nation >> vénale, sans foi et sans honnêteté. Ne justi>> fions pas ces odieuses imputations par la rup>> ture d'un traite qui ne s'est pas conclu sans la >> participation de tous les ordres, et qu'il faudrait >> négocier s'il n'était pas fait. Le Turc s'arme, >> vous le savez comme moi. Si Vienne tombe, >> quelle est la puissance qui garantira Varsovie? >> Montrons à la France et à l'Europe, que nous >> avons des lumières, de la bonne foi et de >> l'honnêteté ».

Au discours du roi, plusieurs voix demanderent l'instruction du procès des coupables. Jablonowski surtout, qui se trouvait inculpé dans cette affaire, et qui se piquait d'une vertu sans tache et d'une reconnaissance inaltérable envers le roi, insistait pour l'instruction du procès des accusés. Sobieski, qui était plus sage, et qui sentait combien d'ennemis cette affaire pourrait lui attirer, dans un moment où l'union entre les membres du gouvernement était devenu plus néeessaire que jamais, accorda une amnistie généra

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le, n'exceptant de cette amnistie que le grand-trésorier Morstyn, dont la complicité était trop palpable pour pouvoir être excusee. La diète voulait en faire un exemple, et le condamner comme coupable de haute trahison: le roi modéra cette sé vérité. On fit grâce de la vie à Morstyn; mais à condition qu'il remetteraitla clef des chiffres. Il fut dépouillé de sa charge de grand trésorier, et reçut l'ordre de se préparer à rendre ses comptes; l'entrée du sénat et des diètes lui fut interdite, et on le contraignit de fournir à l'armée un corps de troupes entretenu à ses frais.

Il profita de la liberté qu'on lui laissait, et s'enfuit sans remettre la clef des chiffres qu'on lui avait demandée et sans rendre les comptes qu'il devait à la république.

Sobieski, auquel la découverte des auteurs des intrigues qui entravaient ses opérations, avait rendu toute son influence, en profita, pour hater la mise des troupes sur le pied de guerre. L'armée de la couronne avait été réduite à douze mille hommes après le traité de Zurawno, et celle de Lithuanie à six mille. Ces forces étaient bien inférieures à celles que les circonstances nécessitaient. Le génie et l'infatigable activité du roi suppléèrent à tout, et Sobieski parvint à se procurer des soldats et de l'argent. Deux cent mille Turcs, commandés par Kara

Mustapha, pénétrèrent en Allemagne, et, après avoir renversé tous les obstacles, vinrent mettre le siége devant Vienne. L'empereur Léopold avait pris la fuite avec sa famille, et s'était retiré dans Passau, laissant au comte de Staremberg, gouverneur de sa capitale, le soin de la défendre. Malgré le courage et les talens de ce gouverneur, la valeur de la garnison et le dévouement des habitans, Vienne fut bientôt réduite aux dernières extrémités. L'Allemagne, et peut-être une partie plus considérable de l'Europe, aurait eu le sort de l'empire des Grecs, si la capitale de la monarchie autrichienne fût tombée au pouvoir des Ottomans. En effet les princes chrétiens étaient divisés entre eux, chacun eût vu aveć joie les états de son rival devenir la proie des barbares. Sobieski, qui était trop grand pour connaître l'envie, fut fidèle à son alliance avec Léopold. Il vint sur le Danube combattre de nouveau la puissance ottomane. A l'armée de Sobieski se joignirent plusieurs princes allemands qui amenaient des troupes pour la défense de Vienne, entre autres le duc Charles de Lorraine, l'électeur de Saxe Jean George III, l'électeur de Bavière Maximilien-Emmanuel, et le prince de Waldeck. Chose étrange! la maison d'Autriche, unie par les liens du sang à tous les souverains de l'Europe; la maison d'Autriche, qui avait secouru de grandes puissances contre leurs ennemis, était abandonnée par toutes; et c'étaient l'électeur de Bavière, l'électeur de Saxe, le prince de Waldeck, ces princes qu'elle avait si souvent opprimés, qui venaient verser leur sang pour sa défense!

Les princes allemands se rendirent auprès du roi, et lui marquèrent quelque inquiétude sur l'issue de la bataille qui se préparait. « Pensez, >>> leur dit Sobieski, au général que vous avez à >> combattre, et non à la multitude qu'il com>> mande. Depuis notre arrivée il a fait des fau>> tes graves : cet homme est sans capacité ».

Il fit alors défiler devant eux l'armée de la république. La cavalerie se faisait admirer par les chevaux, l'habillement et la bonne mine. Mais l'infanterie était mal vêtue; il y avait surtout un bataillon dont le dénuement était plus remarquable que celui des autres. Le prince Lubomirski conseillait au roi, pour l'honneur de lanation, de ne pas faire défiler ce corps devant les alliés: Sobieski rejeta l'avis du prince. Au moment où ce bataillon passa devant eux, il dit: << Regardez-le bien; c'est une troupe invincible » qui a fait le serment de ne jamais porter, en >> temps de guerre, d'autres habits que ceux de » l'ennemi; dans la dernière guerre, ils étaient >> tous habillés à la turque ».

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