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se retire à Lublin, laissant la pospolite dans le camp de Golembe, à six lieues de cette ville; les gentilshommes, qui ne virent plus le roi à leur tête, se dispersèrent; et Sobieski, qui n'avait plus à redouter ses concitoyens, courut, avec la confédération qui était sous ses ordres, combattre l'armée de Mahomet.

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Kaminieck, la capitale de la Podolie, et une des plus fortes places de l'Europe, était tombée au pouvoir des Turcs. En vain Sobieski, qui avait prévu cette perte, avait envoyé huit régimens d'infanterie pour augmenter la garnison de cette place; le gouverneur, qui tenait le parti de la cour, avait préféré, à ces troupes bien aguerries et bien disciplinées, quelques débris de la confédération de Golembe; il avait reçu ces gentilshommes, avec leur suite, c'est-à-dire, avec un grand nombre de domestiques, de femmes et d'autres personnes qui, sans augmenter les moyens de défense, multipliaient le nombre des individus à nourrir. Au moment de la capitulation, un major qui commandait l'artillerie, pour ne pas survivre à la reddition d'un poste, qu'avec des mesures sages on aurait pu défen dre long-temps encore, mit le feu au magasin à poudre, et ensevelit sous les ruines de la citadelle un grand nombre de Turcs et de Polonais, Sobieski courut, avec une armée de trentecinq mille hommes, en attaquer cent cinquante mille, et, après dix combats, il acheva de détruire cette formidable armée. Le roi Michel, qui craignait également les Turcs et le grand-général, empêcha celui-ci de continuer ses succès, en envoyant au camp de Mahomet, à Boudchaz, proposer la paix à des conditions honteuses pour la république; tandis que, victorieuse, elle pouvait espérer de dicter des lois au sultan. Le roi de Pologne consentit à laisser l'Ukraine et la Podolie à l'ennemi; à payer à perpétuité un tribut annuel de cent mille ducats d'or; et à s'unir aux Turcs, toutes les fois qu'il en serait requis, pour combattre les ennemis de l'empire ottoman, fussent-ils-même des princes chrétiens. La seule condition que le roi Michel imposa à la Porte, fut qu'elle continuerait à le reconnaître comme roi de Pologne.

Après avoir signé ce honteux traité, Michel accorda une amnistie à Sobieski et à tous les illustres personnages qui avaient été proscrits, et illes appela à une diète qui fut indiquée à Varsovie. Le libérateur de sa patrie, Sobieski, s'y rendit (*), il eut le courage de d'y sonder en entier

(*) C'est pendant le cours de cette diète qu'un gentilhomme polonais, nommé Lozinski, fit une dénonciation contre Sobieski, qu'il accusait d'avoir reçu des Turcs le les plaies de l'état, et d'offrir son bras pour les cicatriser. Il déplora le traité de Boudchaz, et, après avoir montré tout ce qu'il avait de honteux et d'illégal (*), il conclut qu'il devait être déclaré nul. << Rien n'est plus aisé à Varsovie, lui dit un >> sénateur; mais comment recevra-t-on la nou>> velle de cette rupture à Constantinople? >>> << Avec fureur, sans doute, reprit Sobieski, mais >> il nous reste du courage et des sabres. N'at>> tendons pas que l'ennemi vienne à nous; il >> faut aller à lui ».

prix de la reddition de Kaminieck. Le grand-général, sans changer de couleur et soutenant tous les regards fixés sur lui, s'adressa au roi et aux deux ordres, en disant : « Si je >> suis coupable je dois être puni, et je ne mérite plus de » paraître au sénat. Je me retire pour ne sortir de chez moi >> que lorsque je serai ou convaincu ou justifié. »

Le délateur fut interrogé de nouveau, se coupa, et convaincu d'imposture, il avoua que quatre sénateurs l'avaient poussé à dénoncer le vainqueur de Choczim. Lozinski fut condamné à mort et remis entre les mains de Sobieski, qui, comme grand-maréchal, était chargé de faire faire l'exécution. Sobieskilui sauva la vie. Les quatre sénateurs, dont l'histoire n'a pas conservé les noms, en furent quittes pour faire des

excuses.

(*) Le traité de Boudchaz avait, contre les constitutions, été signé par Michel, sans l'approbation de la diète. (Voyez chapitre 1.er)

:

Quelques nonces, connaissant la malheureuse situation du royaume, et tremblant de voir recommencer la guerre, combattirent l'opinion de Sobieski. « Nous sommes asservis, dirent>> ils; mais enfin nous vivons. Voulons-nous >> voir saccager nos villes, égorger nos femmes >> et nos enfans, et rendre le dernier soupir sur >> leurs corps palpitans? S'il nous convient de >> nous mesurer encore avec les Turcs, at>> tendons du moins que nos forces soient répa>>rées, et prenons le temps de former des >> alliances et de solliciter des subsides : c'est ici >> l'affaire de la chrétienté, aussi bien que la >>> nôtre >>>.

Ces raisons étaient plausibles, sans doute; mais Sobieski, pénétré de cette confiance et de ce courage qu'inspirent une cause juste et l'amour de la justice, répondit aux nonces qui avaient combattu sa motion : « Je connais, >> comme vous, le petit nombre de nos troupes >> et l'épuisement de nos finances; mais ces deux >> maux ne sont pas sans remède. Ce peuple de >> serfs, qui laboure nos terres, se met dans une >> espèce de liberté en prenant les armes'; et >> bientôt il est soldat, si le chef est général. Je >> ne demande que soixante mille hommes pour >> vous arracher au joug ottoman. Mais vous >> me demandez à moi, où l'on prendra les fonds >>> pour les soudoyer. Si je vous proposais de ven>> dre les vases sacrés, vous devriez y consentir; >> parce que la patrie est plus sacrée que les instru>> mens de la religion. Mais, non.... La républi>> que a un trésor dans le château de Cracovie. » Attendez-vous que Mahomet vous l'enlève, >> dès qu'il en aura connaissance? employons-le >> à briser les fers qu'il nous à donnés. Vous vou>> lez attendre un temps plus favorable, des al>>> liances, des subsides: les négociations sont >>> longues, l'avenir est incertain, le présent est >> en notre puissance. Vos ancêtres auraient pré>> féré la mort à un an d'esclavage ».

La noble audace du grand-général enflamma tous les cœurs; le traité de Boudchaz fut déclaré nul, et la guerre résolue.

On remit les objets précieux que contenait le trésor de Cracovie, à Sobieski, qui en distribua la valeur aux officiers chargés de faire les levées. Ces sommes ne suffirent pas; mais telle était la confiance qu'inspirait le grand - général, que la diète accorda un subside, qui fut aussitôt fourni.

La Pologne eut bientôt une armée de soixante mille hommes, avec laquelle Sobieski marcha contre les Turcs, tandis qu'un envoyé du grandseigneur se rendait à Varsovie pour recevoir le tribut imposé par le traité de Boudchaz.

Sobieski, avant d'arriver à l'ennemi, eut en

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