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nouvelle et perfectionnée de la théorie du Code pénal, un bon traité de la procédure des tribunaux criminels divers, une édition améliorée du Manuel des juges d'instruction, un commentaire intéressant des lois de la presse en Belgique et un traité approfondi des coalitions industrielles et commerciales 2. Mais des idées de réforme ont aussi été émises, avec profusion et en sens divers, dans. plusieurs publications où se trouvent çà et là quelques remarques utiles à retenir3, ainsi que dans certains journaux discourant sur toute notre législation criminelle à l'occasion d'erreurs judiciaires très-graves et d'abus blâmables qu'ont révélés de récents débats. Rendant compte des œuvres de criminalistes qui nous étaient parvenues, nous avons signalé leur esprit ou leurs tendances, et il nous a été permis de critiquer avec mesure quelques réformes proposées comme améliorations. Aujourd'hui, nous devons dire nos impressions sur des erreurs ou abus que les polémistes ont eu raison de relever, mais qu'on exagère, et sur les changements considérables qu'ils voudraient faire subir à notre droit criminel.

Les erreurs judiciaires, et surtout celles qui font punir des innocents pour les coupables, sont assurément ce qu'il y a de plus déplorable, à tous les points de vue la justice se déconsidère, en errant ainsi, et l'humanité gémit d'un mal qu'on ne peut pas réparer. Depuis quelques années notamment, ces erreurs sont fréquentes, n'y eût-il que celles dont la certitude est acquise par la voie de révision. Suivant un journal, elles seraient même très-nombreuses; mais nous ne pouvons considérer comme certaines les appréciations qui ne s'appuient pas sur un jugement. Ce qu'il y a de vrai et d'éminemment regrettable, c'est

2. Traité de l'instruction criminelle, ou Théorie du Code d'instruction criminelle, par M. Faustin Hélie, conseiller à la Cour de cassation (le 9e et dernier volume a paru en 1862). La Cour d'assises, Traité pratique, par M. Ch. Nouguier, conseiller à la Cour de cassation (les 2 premiers volumes ont paru en 1860 et 1861). Théorie du Code pénal, par MM. Chauveau, Ad. et F. Hélie. 4 édit., entièrement revue et considérablement augmentée par M. F. Hélie (1861-1862). Traité de la procédure des tribunaux criminels, comprenant les tribunaux de police, les tribunaux correctionnels et les cours d'assises, par M. Ch. Berriat Saint-Prix, conseiller à la Cour impériale de Paris (1851-1861). Manuel des juges d'instruction, par M. Duverger, conseiller à la Cour impériale de Poitiers, 3e édition, mise au courant de la législation, de la doctrine et de la jurisprudence (1862). Code de la presse, ou Commentaire du décret de 1831 et des lois complétives, par M. Scheurmans, procureur du roi à Hasselt (Bruxelles, 1862). Les Coalitions industrielles et commerciales, par M. Ed. Haus, substitut du procureur du roi à Anvers (Gand, 1862).

3. Le Droit pénal étudié dans ses principes, dans les usages et les lois des différents peuples du monde, par M. J. Tissot, professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Dijon (1860). Étude sur la moralité comparée de la femme et de l'homme, au point de vue de l'amélioration des lois pénales et des progrès de la civilisation, par M. Bonneville de Marsangy, conseiller à la Cour impériale de Paris (1862). Du Cumul des méfaits, de la Prescription en droit criminel, par le mème; fragments du second volume encore inédit de son livre pour l'Amélioration de la loi criminelle (1862).

4. Voy. le journal le Temps, 26 nov. 1862, avec lettre de M. Odilon Barrot; Courrier de la Gironde, 27 nov. 1862; Journal des Débats, 6 déc. 1862; Opinion nationale, 10 déc. 1862, etc.

que, dans ces derniers temps, il y a eu des condamnations au criminel prononcées contre trois malheureux dont l'innocence a été judiciairement reconnue, pour l'un après qu'il était mort à Cayenne, pour les autres lorsqu'ils étaient au bagne, et que l'année qui finit a encore vu deux cas de révision pour des condamnations aux travaux forcés 5. Voilà ce qui demande les méditations du criminaliste. Pour les erreurs qu'on dit prouvées par l'acquittement après condamnation et cassation, ou bien révélées en appel, les reproches ne doivent pas s'adresser à une législation qui donne précisément les moyens de faire annuler les jugements erronés avant qu'ils soient définitifs. Ce qu'on peut demander, c'est qu'il y ait un redoublement d'attention dans toutes les investigations judiciaires, et que les innocents dont la captivité aurait été prolongée par l'effet d'une méprise obtiennent toutes les réparations qui seront à la disposition du juge ou de l'administration. Il y aurait bien aussi à critiquer l'abus des longues détentions préventives; mais le mal est surtout dans la tendance actuelle à refuser discrétionnairement la liberté provisoire sous caution 6.

Lorsqu'il y a condamnation en Cour d'assises d'un innocent, l'erreur, imputable à la faiblesse humaine, peut être attribuée tout à la fois aux indices inexacts que fournissait l'instruction préjudiciaire, aux témoignages qui trompaient ou étaient mal compris, à la majorité du jury qui a trop facilement admis les présomptions de culpabilité, enfin aux magistrats qui n'ont pas eu la conviction contraire autorisant le renvoi à une autre session. Comment la législation pourra-t-elle empêcher un mal se produisant ainsi?

Un grave jurisconsulte demande qu'on élargisse le cercle, trop étroit, des cas de révision, et que la réparation d'erreur puisse avoir lieu même après le décès du condamné. Ce serait sans doute possible, autant qu'utile pour la mémoire du condamné innocent, et pour l'honneur de sa famille; mais ce qu'il faut surtout, c'est prévenir par tous moyens une erreur à peu près irréparable. Or là est la difficulté. Des journaux nous convient à prendre pour modèles les formes suivies en Angleterre, où l'accusé ne subit pas d'interrogatoire pouvant l'embarras

5. Condamnation de la femme Doize-Gardin aux travaux forcés à perpétuité, pour parricide (C. d'ass. du Nord, 13 août 1861); condamnation de denx autres individus, pour assassinat et vol (C. d'ass. du Nord, 16 août 1862). Cassation des deux airèts, pour inconciliabilité en ce qu'il s'agissait d'un mème crime, commis par deux individus sans complicité d'un tiers (arr. 9 oct. 1862; J. cr., art. 7514). Acquittement de la femme Gardin, reconnue innocente; condamnation des deux autres accusés, l'un à mort, l'autre aux travaux forcés à perpétuité (C. d'ass. de la Somme, 19 nov. 1862). Rejet des pourvois de ces deux condamnés (arr. 4 déc. 1862). Condamnation de Renosi à 20 ans de trayaux forcés, pour meurtre (C. d'ass. de la Corse, 18 nov. 1861); condamnation de Simoui à la mème peine, pour le mème crime (C. d'ass. de la Corse, 25 nov. 1862).

6. Voy. l'intéressante brochure de M. Bertrand, juge d'instruction au tribunal de la Seine, intitulée: De la détention préventive et de la célérité dans les procédures criminelles en France et en Angleterre.

ser, et où ses mauvais antécédents ne sont révélés qu'après la déclaration de culpabilité. Mais l'organisation judiciaire et l'administration de la justice, dans les deux pays, ont des différences si considérables, que les moindres emprunts à la législation étrangère exigeraient qu'on refondit la nôtre : serait-ce vraiment utile? La circonspection du juge anglais peut bien être un enseignement pour nos magistrats; mais il ne faut pas nous imposer une règle toute nouvelle, qui n'est d'ailleurs pas toujours suivie chez nos voisins d'outre-mer et que leur plus célèbre criminaliste a lui-même écartée, en disant : « L'innocence ne s'en prévaut jamais; elle réclame le droit de parler, comme le crime invoque le privilége de se taire » (Bentham, Des preuves judiciaires, liv. 7, chap. 41). Notre législation ne saurait se plier aux formes anglaises et américaines, qui, par exemple, si elles excluent avec avantage toute provocation à un aveu, s'égarent en remplaçant l'interrogatoire forcé de l'accusé et les témoignages spontanés par un examen avec contreexamen que les avocats font subir démesurément à chaque témoin. Quant aux antécédents, on ne doit sans doute pas y puiser une présomption décisive sur la question de perpétration par l'accusé du fait poursuivi; mais la défense invoque naturellement les bons antécédents en niant ou atténuant la culpabilité, l'accusation est rationnellement autorisée à signaler les mauvais comme présomption ou raison contraire; ce sont des circonstances de moralité qu'il est bon de connaître, pour s'éclairer avant de juger.

Les plus sérieuses critiques portent sur la manière dont s'opèrent les instructions, qui, au lieu de se faire non-seulement à charge, mais aussi à décharge, provoquent trop souvent des aveux plus ou moins sincères et exacts, qu'on prend ensuite comme preuve irrécusable de culpabilité. Si notre législation a une part dans ces abus, c'est en ce que, donnant aux juges d'instruction un pouvoir considérable, jugé nécessaire, elle a négligé de le circonscrire, de le définir même, et d'établir une responsabilité dont la menace ajouterait une garantie de plus à celle du devoir ou de la conscience. On l'a dit avec raison, les rigueurs de l'instruction préliminaire ne sont légitimes qu'en tant qu'indispensables; ne serait-il pas possible, sinon de faire entièrement disparaître tous excès, du moins de les circonscrire et atténuer en définissant avec plus de précision les cas où le juge doit employer telles et telles mesures rigoureuses? Le législateur a-t-il rempli toute sa tâche, lorsqu'il s'est borné à attribuer à un magistrat une puissance dont le but est défini, mais dont l'application ne l'est pas, sans régler les cas et le mode de cette application? Ce magistrat, quelque honorable et consciencieux qu'il soit, ne serait-il pas plus réservé dans les mesures qu'il ordonne, plus inquiet de leur application, plus réfléchi dans l'exercice de ses fonctions, s'il était responsable? Ne pourrait-on pas étendre un peu la disposition de l'art. 445 C. inst. crim., qui admet la responsabilité pécuniaire du juge d'instruction pour les nullités résultant d'une faute grave, et soumettre ce magistrat aux dommages-intérêts des par

ties lésées, comme le faisait l'ordonnance de 1670? (F. Hélie, De l'instr. crim., t. V, p. 40-42, 124 et 125.)

Du moins existe-t-il des règles ou enseignements, dans les commentaires de nos lois ainsi que dans les œuvres des publicistes ou criminalistes faisant autorité. S'il n'est pas absolument vrai que l'interrogatoire soit avant tout un moyen justificatif (thèse de quelques théoriciens), on n'admet pas davantage que ce doive être une arme donnée aux juges pour obtenir des prévenus une preuve contre eux. Le but vrai, c'est la recherche ou découverte de la vérité. L'interrogatoire, ainsi que l'audition des témoins, doit tendre à réunir les preuves qui existeraient de l'innocence, aussi bien que celles de la culpabilité soupçonnée. C'est là le double caractère qui lui appartient, comme l'indiquait le célèbre Lamoignon, comme l'ont dit jadis la plupart des criminalistes (Jousse, Muyart de Vouglans, etc.), et comme le proclament encore les criminalistes modernes (Mangin, F. Hélie, etc.).

Suivant la belle expression de Domat, la justice, qui est en elle-même la vérité, doit mettre la vérité dans tous ses actes. Nous réprouvons donc les déguisements, ruses ou artifices, menaces ou vaines promesses, qu'employaient autrefois certains magistrats instructeurs, que quelques anciens conseillaient même et qui ont été flétris, non-seulement par Montaigne, mais aussi par des criminalistes de positions diverses. Retenons bien ces sages préceptes d'un magistrat, parlant devant ses collègues : « Le juge d'instruction a des devoirs particuliers à remplir envers les inculpés. L'impartialité de ses interrogatoires doit leur donner une assurance qui rendra leur défense facile. Dans cette lutte il a tant d'avantages, lui qu'aucune passion n'aveugle, lui qui joint à l'autorité une raison plus exercée, qu'il dédaignera tous les moyens qui ne seraient pas d'une entière loyauté; aucune surprise, aucune menace, rien par artifice, rien par peur. Il ne violentera pas la conscience du coupable; il doit tout obtenir par la persuasion qui fait parler le repentir et par le raisonnement qui désarme le mensonge. » (Discours de M. Desclozeaux, Gaz. des Trib., 4 nov. 1836). Sans doute il est nécessaire et licite d'agir avec l'habileté qui n'est que du discernement; mais on ne doit pas aller jusqu'à l'adresse qui trompe. Un éminent criminaliste dit encore justement : « Non, le juge ne doit pas se servir d'une espèce de surprise et de feinte pour découvrir la vérité; non, il ne doit pas employer des artifices et des ruses pour obtenir des révélations. Cette distinction entre l'adresse licite et l'adresse dolosive, substituée aux fraudes ouvertement pratiquées jusque-là, ne tend qu'à perpétuer, sous des apparences honnêtes et sous un nom qui les dissimule, des abus de l'instruction que l'on a justement flétris... Faire usage d'un détour, d'une réticence, d'une circonlocution calculée à l'avance, c'est tromper l'inculpé, c'est lui tendre un piége, c'est essayer de le surprendre... L'habileté du juge ne peut consister que dans la position loyale et claire de toutes les questions qui résultent de l'étude consciencieuse des faits. » (F. Hélie, t. V, p. 747.)

Ainsi, toute instruction devrait se faire à charge et à décharge, selon l'esprit de nos lois et même d'après plusieurs textes, rappelés par M. Ch. Berriat Saint-Prix (J. cr., art. 6770). Loin de surprendre l'inculpé, le magistrat instructeur doit admettre aussi la présomption d'innocence et faciliter la justification. Est-ce ainsi que cela se pratique généralement? Nous voulons le croire, mais il est du moins certain que parfois les instructions se font au mépris du droit de défense. Ne sait-on pas, pour ne citer ici qu'un exemple, que les complications et suites fâcheuses d'une poursuite qui a eu un retentissement prolongé sont dues principalement à cette circonstance, que l'instruction première s'est faite surtout à charge, avec expertise arrière de l'inculpé, sans qu'il connût ce qu'avait besoin de savoir la défense et quoiqu'il persiste à soutenir par tous moyens que le document qui le fit condamner d'abord était plein d'erreurs? N'est-il pas avéré que des magistrats instructeurs croient consciencieusement avoir mission avant tout de constater la culpabilité des prévenus; que des erreurs d'instruction sont souvent commises, sans être signalées dans les rapports aux surveillants légaux? Ce serait le moment de rappeler les règles principales de l'information préjudiciaire, par des instructions qui démontreraient l'inutilité d'une réforme législative 6.

Ce qui est plus grave encore, c'est l'abus de la mise au secret, en tant qu'elle serait un moyen d'obtenir un aveu. Cette mesure est-elle légale dès qu'elle paraît utile, comme le disent ceux qui veulent la justifier? Doit-on, au contraire, flétrir en toute circonstance le secret, réputé la continuation, sous une forme déguisée, de l'ancien abus de la question, ainsi que l'ont fait les partisans du système opposé? A nos yeux, il y a exagération de part et d'autre un droit existe, mais avec limites; des abus ont eu lieu, il faut en prévenir de nouveaux.

Sous les ordonnances de 1535 et de 1670, les inculpés de crimes pouvaient être mis en prison fermée de telle sorte que nul ne pût leur parler, et il y avait interdiction de toute communication avec les prisonniers enfermés dans les cachots: c'était une précaution exécutée avec beaucoup de rigueur, et qui a fait l'objet de protestations imposantes 7. Nos lois intermédiaires ont autorisé la mise au secret, sans légitimer les rigueurs inutiles, et sans régler positivement l'exécution (C. pén. 1794, tit. 45, art. 8; C. 3 brum. an iv, art. 579; Constit. an VIII, art. 80). Le Code d'instruction criminelle, par ses art. 613 et 618, a implicitement ou indirectement autorisé l'interdiction de communiquer, comme moyen d'empêcher que les efforts du magistrat pour la découverte de la vérité ne fussent entravés par des auteurs ou complices ou bien par leurs parents ou amis; mais il n'en a aucunement réglé les

6. Tel est, nous dit-on, le sujet d'une instruction que M. le procureur général à la Cour impériale de Paris adresse aux magistrats instructeurs de son ressort.

7. Voy. Beccaria, Traité des délits et des peines, § 12; Servan, Discours sur l'administration de la justice criminelle. Euvres choisies, t. 1er, p. 25.

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