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C'est là un des moyens le plus souvent employés aujourd'hui ; signaler les accidents que peut entraîner son application est donc une chose utile. Le mode d'administration qui semble le plus propre à assurer à ce médicament toute son efficacité, c'est l'infusion des feuilles desséchées faite à chaud ou à froid; c'est aussi bien à cette préparation qu'aujourd'hui la plupart des praticiens donnent la préférence. Pour l'infusion à froid, la dose par laquelle on doit constamment débuter chez les adultes, c'est celle qui a été indiquée par M. le professeur Cruveilhier, 2 gram (36) de feuilles pour 120 gram. (jv) d'eau, et que les malades doivent prendre par cuillerée d'heure en heure. Les proportions qu'on emploie, en général, pour l'infusion à chaud, sont 4 gram. (3) de feuilles pour un litre d'eau, et qu'on peut ainsi administrer depuis 15 gram. (3 6) jusqu'à 30 gram. (3 j). Nous dirons que ce sont là les doses normales auxquelles cette substance est généralement employée, et presque toujours sans autres inconvénients que ceux qui résultent de l'intolérance qu'elle rencontre chez certains individus, et dont on finit le plus souvent par triompher. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'un médicament tel que la digitale, qui peut porter une atteinte funeste à la vie, cette intolérance, l'une des expressions de cette puissance de conservation dont est doué tout organisme vivant, mérite la plus sérieuse attention de la part du médecin, qui pense que la médecine n'est point une simple chirurgie interne. Sans doute la loi d'accoutumance, à laquelle est soumis aussi l'organisme, nous force à limiter les restrictions que la première loi tendrait d'emblée à faire établir; il en est ainsi, par exemple, dans un grand nombre de cas de l'intolérance que manifestent tout d'abord certains individus, vis-à-vis des préparations de digitale. En effet, comme nous l'avons dit déjà, on triomphe le plus souvent de cette sorte d'antipathie par la persistance, par la cessation et la reprise alternatives du médicament, par la rétrogradation dans les doses; mais, dans ces cas même, il ne faut point oublier ce cri de l'organisme, qui, en bonne philosophie médicale, signifie au moins autant que cette problématique injection sanguine qu'on vous montrera demain sur le cadavre, dans la muqueuse gastro-intestinale; il ne faut dans aucun cas, disons-nous, oublier ce cri de l'organisme; là où il se manifeste, il faut suivre avec la plus sérieuse attention l'action du médicament, car il est peut-être le premier symptôme d'une intoxication, sous l'influence de laquelle la vie peut s'éteindre. Le fait suivant va nous montrer réalisé ce que nous venons de dire, moins le dernier résultat heureusement. Une femme âgée de trente-quatre ans, d'une constitution chétive, et ayant cessé d'être menstruée régulièrement depuis un an déjà, est atteinte d'une ascite prononcée, et d'un œdème considérable des membres inférieurs.

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Vainement plusieurs médecins, consultés successivement, avaient tour à tour interrogé les divers appareils pour y saisir quelque lésion organique qui pût les éclairer sur la cause de cette hydropisie, ces examens avaient été constamment sans résultat : cependant les urines, examinées immédiatement après leur expulsion, semblaient former une mousse plus considérable que dans l'état ordinaire; soumises à l'action du calorique et d'un acide concentré, elles laissèrent précipiter de l'albumine. Alors les idées de Bright étaient encore dans toute leur nouveauté; on crut d'abord à une maladie des reins, et la malade fut traitée dans ce sens. Plus tard, d'autres médecins qui avaient constaté l'albuminurie dans les cas de simple hydrothorax, dans l'ascite symptômatique d'une maladie du foie, voire même chez des individus jouissant d'une santé parfaite 1, ne crurent point devoir s'arrêter à ce diagnostic, et ne saisissant point, plus que les premiers, de lésion organique, conseillèrent la digitale à titre de diurétique: ce fut à l'infusion à froid qu'on donna la préférence, et dans les proportions que nous avons indiquées plus haut. Quatre onces de cette infusion furent consommées dans la première journée il y eut des nausées fréquentes, plusieurs vomissements, mais cela n'arrêta point la malade, pleine de courage. Le lendemain, la même dose fut prescrite, mais les cuillerées devaient être plus rapprochées à la troisième cuillerée, des nausées continues se déclarèrent, puis arrivèrent des vomissements abondants, et accompagnés de la plus vive anxiété. Ces accidents persistèrent jusqu'à la nuit; les suivants vinrent successivement s'y joindre. Facies profondément altéré, intelligence nette, voix demi-éteinte, vue trouble, tous les objets paraissent à la malade voilés d'une teinte jaune; faiblesse extrême, découragement profond; douleurs très-vives au creux de l'estomac, et que des boissons glacées exagèrent encore; coliques de temps en temps, deux selles liquides peu abondantes; langue pâle, toutefois bouche sèche, soif vive; pouls à 90 et 95, peau chaude, brûlante; engourdissement avec sensation de fourmillement très-incommode du bras gauche. Pendant quinze heures suspension des urines; plus tard celles-ci reparaissent, mais rares, et s'accompagnent à leur sortie d'une douleur extrêmement vive. Sous l'influence de deux applications de sangsues à l'épigastre, les douleurs paraissent se calmer un peu, mais ne cessent pas. Puis elles reviennent avec leur intensité première : la malade ne peut faire le plus léger mouvement dans son lit, sans qu'aussitôt

1 Dernièrement encore, M. Becquerel, interne de M. le professeur Andral, à la Charité, a constaté la présence de l'albumine dans les urines d'un infirmier; cet homme est jeuné, d'une bonne constitution, et jouit de la plénitude de la santé.

des nausées ne se manifestent; il en est de même lorsqu'elle ferme les yeux. La peau devient le siége d'une hypéresthrésie générale, le pouls faiblit et demeure toujours fréquent. La malade est placée dans un bain tiède, puis remise au lit, des' frictions, avec le laudanum, sont faites au creux de l'estomac : sous l'influence de ce dernier moyen surtout, les douleurs épigastriques cessent immédiatement et presque complétement. On insiste encore pendant quelque temps sur cet ordre de moyens, et le troisième jour, tous les symptômes de cette violente intoxication avaient disparu, laissant la malade dans son état primitif, moins une céphalalgie très-vive qu'elle avait avant l'emploi de la digitale, qui lui revenait fréquemment, et qui, pendant l'année qui suivit ces accidents, ne revint qu'à de très-longs intervalles.

On le voit, il était difficile de débuter avec plus de circonspection qu'on ne l'a fait ici dans l'emploi du médicament. Voyez cependant avec quelle rapidité se développent les symptômes d'un véritable empoisonnement! Il est quelques hardis expérimentateurs qui, en pareille circonstance, ne se fussent point laissé arrêter par les premiers accidents, et qui eussent poursuivi la tolérance à travers tous les risques de la répugnance physiologique la plus fortement exprimée. Nous croyons que les observateurs ont raison d'agir ainsi dans quelques cas, et qu'ils parviennent même souvent à établir cette tolérance, si difficile d'abord; mais nous croyons aussi que, dans les cas semblables à celui que nous venons de rapporter, cette conduite pourrait entraîner les conséquences les plus funestes. Il y a donc, dans les maladies auxquelles peut s'appliquer cette médication, deux écueils dangereux à éviter l'un, c'est de ne savoir s'arrêter à temps, en essayant d'obtenir la tolérance, et, en cherchant celle-ci, de jeter les malades dans un état grave, dont nul ne peut prévoir le résultat ; l'autre, de se priver, dans beaucoup de cas, des ressources utiles d'une médication puissante, dans la crainte des dangers que cette médication peut entraîner. Il n'est point facile de passer ici, sans se heurter à l'un ou l'autre de ces écueils le seul moyen c'est, lorsqu'on a affaire à des individus faibles, d'une constitution nerveuse, répondant avec une grande énergie à l'action des stimulants extra ou intra-organique, de tâter la susceptibilité par des doses moins élevées encore que celles que nous avons indiquées précédemment. On suppose qu'en fractionnant trop les médicaments, l'économie s'habitue peu à peu à leur influencé, et qu'ainsi l'action thérapeutique ne se développe point avec une énergie suffisante. Nous croyons cette observation juste vis-à-vis d'un certain nombre d'affections morbides et d'individus doués d'une forte constitution, mais nous pensons que cette loi de l'assuétude thérapeutique, si nous pouvons ainsi

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dire, est profondément modifiée par certaines constitutions, certains états pathologiques, et surtout en face de certains agents perturbateurs. Une constitution éminemment nerveuse, irritable, crée, chez certains individus adultes, des conditions en tout semblables à celles dans lesquelles se trouve naturellement placée l'enfance, et ces conditions tout accidentelles imposent la nécessité d'une égale circonspection dans l'administration des moyens thérapeutiques. Le fait que nous venons de citer n'est point le seul dans lequel se soient développés, sous l'influence de la digitale, des phénomènes de narcotisme: MM. Vassal et Cazenave entre autres en ont cité d'analogues. On se borne ordinairement, pour combattre ces accidents, aux moyens vulgairement employés contre le narcotisme, et l'infusion de café tient ici le premier rang. Dans le cas précédent on n'eut point recours au café; nous croyons qu'en cela on a bien agi, car rien n'en établissait l'indication. Les bains et les opiacés, topiquement employés, ont eu la plus grande part à la disparition de l'hypéresthésie générale si prononcée que nous avons signalée.

Un autre moyen, dont beaucoup de praticiens font un fréquent usage, depuis qu'un médecin anglais, le docteur Kolley, a cité de nombreuses observations qui tendent à démontrer son efficacité, c'est le colchique. Ce moyen a été employé sous toutes les formes que l'art pharmaceutique peut lui faire revêtir: ainsi le vin, la teinture du bulbe, ou des semences, l'extrait, la vératrine, qui existe à la fois dans la cévadille, l'ellébore, ou le bulbe du colchique, ont été tour à tour mis en usage. Les maladies dans lesquelles on a le plus spécialement recours à ses diverses préparations, sont la goutte et le rhumatisme articulaire aigu ou chronique. Dans la première ferveur qu'excita la réhabilitation de ce médicament dans la matière médicale, on s'occupa tout autant, comme il arrive toujours, à rechercher l'explication de son mode d'action sur l'économie, qu'à constater, par l'observation, son action thérapeutique. Aussi les explications n'ont-elles point manqué pour les uns le colchique doit être placé à côté des moyens qui constituent la médication altérante, les autres n'ont vu en lui qu'un diurétique, où un sudorifique : l'école italienne l'a revendiqué à titre de contre-stimulant, et l'applique, d'après cette idée, aux maladies caractérisées par la diathèse phlogistique. Aujourd'hui la plupart des praticiens voient tout d'abord dans cet agent une propriété purgative non équivoque, et c'est de cette propriété qu'ils font dépendre son action thérapeutique principale et son efficacité bien démontrée dans un certain nombre de cas. Nous sommes loin de vouloir contester cette efficacité, nous voulons seulement établir par les faits que ce moyen, comme tant d'autres, demande à être manié avec la plus grande circonspection, sous peine de lui voir

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produire les accidents les plus graves. Nous estimons que notre remarque, à cet égard, se trouve d'autant mieux placée, que c'est surtout de la propriété purgative du colchique, comme nous venons de le dire, qu'on fait dépendre son action thérapeutique dans les maladies; ne résulte-t-il point de là effectivement qu'on est porté naturellement à en élever la dose jusqu'à ce que le résultat, condition de son efficacité, ait été obtenu? Or il y a danger réel, dans quelques cas, à poursuivre ainsi ce résultat par l'élévation progressive des doses, comme le fait suivant va le montrer. Un homme, âgé de soixante et quelques années est atteint depuis deux ans de douleurs rhumatismales, qui n'ont épargné presque aucune articulation. Les petites articulations des doigts surtout paraissent le siége d'altérations profondes, ceux-ci sont fortement déformés aux points articulaires : d'un autre côté elles sont peu douloureuses. Il n'en est pas de même des poignets, des genoux, de l'articulation scapulohumérale, dans lesquels le mouvement développe des douleurs assez vives le malade fait remonter à un mois cette exacerbation de son mal habituel. Rien du côté du tube digestif, qu'une sorte d'empâtement de la bouche, et peu d'appétit. Du reste point de fièvre; le cœur, observé avec la plus grande attention, ne présente aucun phénomène insolite. Ce malade est soumis à la teinture de bulbe de colchique. On commence par 4 gram. (3j), en quelques jours on arrive à 12 gram. (3ijj); à cette dose, déjà élevée, le malade n'éprouve que quelques nausées fugitives et trois selles avec coliques peu vives. Profitant de cette tolérance, on continue à élever les doses; mais dès qu'on atteint celle de 16 gram. (3jv) des vomissements abondants, composés de matières légèrement brunâtres, ont lieu en même temps selles nombreuses, avec coliques peu vives: rien jusqu'ici n'apparaît du côté du système nerveux : d'un autre côté le malade sent ses articulations plus libres; à l'inspection nous les trouvons aussi plus libres dans les mouvements spontanés, et aussi moins tuméfiées. Cet état d'amélioration se remarque même dans les petites jointures des doigts, que nous avons dit plus haut être fortement déformées. Cependant la vive excitation manifestée du côté du tube digestif force le médecin à rétrograder dans les doses : on les réduit successivement à trois gros, puis deux gros. Malgré cette précaution, les vomissements continuent encore, quoique plus rares; le nombre des selles s'élève à quinze ou vingt par jour; puis un matin nous trouvons X... dans l'état suivant : facies profondément altéré, yeux abattus, sans vie, et profondément excavés, voix éteinte et rappelant celle des colériques : douleurs dans les cuisses, point de crampes, pouls fréquent, peau peu chaude, urines presque nulles, coliques vives hier soir, moindres ce matin; insomnie, délire non bruyant. Le lende

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