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peut tirer beaucoup d'inftruction: mais, d'un autre côté, on découvre un auteur qui voit tous les objets à travers certains préjugés Anglois, qui est étonné de tout ce qui ne répond pas aux idées, aux mœurs & aux coutumes de fa nation, & qui condamne tout ce qui lui paroît étrange. D'ailleurs, depuis foixante ans que cet ouvrage a été compofé, plufieurs chofes ont entièrement changé de face dans le Danemarc; ce qui fait que M. Molesworth ne fauroit plus fervir de guide affuré pour apprendre à connoître parfaitement ce pays. Nous ferons tous les efforts poffibles pour rectifier ce qu'il paroît y avoir de partial, ou de défectueux dans ce livre, & pour donner une idée auffi jufte de l'état actuel du Danemarc, qu'il nous fera poffible de la tracer dans les bornes que nous nous fommes prescrites.

On a déjà vu dans la defcription que nous venons de faire des différentes provinces qui font partie du Danemarc, les denrées naturelles que chacune fournit en particulier. Le lecteur attentif aura remarqué, fans doute, que parmi ces denrées, il n'y en a prefque aucune qui puiffe fervir de matière premiere à des manufactures. Tous ces pays ne produifent ni foies, ni laines, ni lin, ni chanvre, ni caftor, ni aucuns des matériaux néceffaires aux grandes fabriques, au moins en affez grande quantité. Si l'on ajoute à cela, que le génie du peuple ne le porte pas naturellement à l'industrie, & que les Danois fe contentent d'élever leurs beftiaux, de vaquer à l'économie rurale, de faire la pêche & d'aller en mer; on concevra aisément la raison pourquoi les manufactures y font fort négligées. Ainfi tout le commerce qui s'y fait en draps, en étoffes de laine & de foie, en chapeaux, bas, dorures, toiles, galanteries & mille chofes pareilles, eft entiérement paffif; c'eft-à-dire, que le Danemarc tire ces marchandises des pays étrangers, & les paie en argent, ou en lettres de change fur la Hollande ou fur Hambourg, qui eft la caiffe publique des Danois. Il en eft de même des vins, huiles, eaux-de-vie, fruits & autres productions que la nature a refufées aux contrées du Nord. Mais les Etats du Danemarc ont, d'un autre côté, un commerce actif fort confidérable, qui confifte dans l'exportation des beftiaux, des chevaux, du poiffon falé, des harengs, des bois, du goudron, & de mille denrées pareilles, que les autres nations y viennent chercher avidement. Non-feulement les ports de Copenhague, de Bergen en Norwege, & les autres ports de la mer Baltique & de la mer du Nord, font toujours remplis de navires marchands des principales nations commerçantes; mais il y a auffi beaucoup de vaiffeaux appartenans aux fujets du Roi de Danemarc, qui parcourent toutes les mers du monde. On voit, par exemple, à Bergen des négocians qui tous les mois font lancer à l'eau un nouveau vaiffeau, qu'ils nomment ordinairement du mois de l'année où il a été achevé, comme le janvier, le février, &c. & qu'ils envoient dans les pays méridionaux, où ils le vendent fouvent avec toute fa charge. La facilité que donne la Norwege pour la bâtiffe de Tome XV. L

pour

ces vaiffeaux, fait que le propriétaire & l'acheteur étranger y trouvent l'um & l'autre leur compte. Le trafic que les Danois font avec l'Iflande, ne laiffe pas non plus que d'être important. Mais le commerce du Danemarc eft confidérablement accru par les établiffemens que cette nation a faits dans les Indes orientales & occidentales. Il y a pour cet effet une compagnie des Indes octroyée à Copenhague, qui envoie tous les ans plufieurs vaiffeaux à Tranquebar, où eft le dépôt principal & le centre de ce commerce. Ils trafiquent auffi à la Chine & dans les contrées comprises dans les conceffions accordées au Danemarc. Ces vaiffeaux rapportent du thé, des porcelaines, des gorgorons & toutes fortes d'étoffes de foie, des meubles & d'autres marchandifes pareilles. La compagnie en fait des ventes publiques, où les Hambourgeois & les négocians des autres villes marchandes font des achats confidérables. La voie la plus courte pour transporter ces marchandises en Allemagne, eft celle de Kiel. On prétend que, dans les premieres années, les actions de cette compagnie ont rendu jusqu'à quatre-vingts pour cent de dividende. Il y a auffi le commerce que les Danois font fur la côte de Guinée, d'où ils tranfportent les Negres à l'ifle St. Thomas en Amérique, & les y vendent aux Espagnols, mais cela n'eft pas bien considérable. Pour faciliter le commerce on a établi à Copenhague une banque; mais il ne faut pas s'en former une idée comme de celles d'Amfterdam, de Venise ou de Hambourg. Il eft impoffible qu'une banque puiffe obtenir un grand crédit public fous un gouvernement defpotique, où le fouverain eft toujours le maître de difpofer, fur-tout dans des cas de néceffité, des capitaux qui s'y trouvent placés; au-lieu que dans des républiques cela dépend & du peuple & d'une multitude de magiftrats, qui ne fouffriroient jamais qu'on touchât à des fonds dont dépendent le falut & la profpérité de tout leur Etat. On ne fauroit donc envifager la banque de Copenhague que comme une efpece de lombard, ou tout au plus, comme une petite caiffe publique pour la commodité des paiemens intérieurs. Les grands paiemens aux étrangers fe font par la voie de Hambourg, comme nous l'avons déjà infinué.

La navigation n'eft pas négligée non plus dans les Etats du Danemarc. La pêche des harengs, de la morue & d'autres poiffons, produit une pépiniere de matelots, & fert d'école pour la marine. Le trajet continuel que les Danois font en Islande, entretient auffi leur marine. Les Norwégiens font prefque continuellement en mer, & depuis que le commerce des Indes orientales a pris faveur dans le Danemarc, la navigation s'accroît tous les jours, & devient un objet confidérable. Le Roi entretient une grande flotte capable de la protéger, & dont nous parlerons plus bas. Malgré ce que nous avons dit, il ne faut pas croire que, ni le commerce, ni la navigation des Danois, foient comparables à ce que nous voyons en Angleterre, en Hollande, ou en France. Il faut toujours garder les proportions d'un petit Etat comme celui-ci, aux grandes nations commerçantes.

Nous avons déjà vu, par le détail que nous avons fait des différentes provinces du Danemarc, à quel point elles font peuplées, & quel eft en gros le génie de la nation. Nous ajouterons ici, que le nombre des habitans ne paroît pas affez grand pour fournir de recrues l'armée que le Roi a fur pied. La cavalerie cependant eft prefque toute compofée de nationaux, fur-tout pour ce qui regarde les régimens qui font en garnison dans le centre du Royaunie. Mais l'infanterie eft quafi toute recrutée des levées que le Roi fait faire à Hambourg, à Breme, à Lubeck & dans les villes libres de l'Empire, où il a le droit d'engager des gens de bonne volonté. C'eft la bonté des chevaux Danois qui fait la force généralement reconnue de leur cavalerie. Leur infanterie ne paroît pas être dans un auffi grand ordre, ni dans une auffi exacte difcipline, que celle des grands Princes Allemands. La défertion y eft auffi exceffive; ce qui provient de tout ce ramas de recrues qu'ils engagent de côté & d'autre. La caufe de cette di fette d'hommes propres pour la guerre, femble provenir 1°. de ce que la marine, la pêche & la navigation occupent beaucoup de monde; 29. de ce que les Danois font obligés de s'appliquer avec infiniment de peine & de foins à cultiver leurs terres, & à élever leurs beftiaux, & 3°. de ce que, dans la plupart des provinces, les payfans font ferfs, pour ne pas dire, auffi efclaves que les Negres en Amérique. Ils appartiennent au gentilhomme fur la terre duquel ils font nés, & font partie de l'inventaire de cette même terre, tout comme le bétail. Une pareille terre eft taxée plus ou moins haut, felon qu'il y a beaucoup de ces ferfs. Il s'enfuit de-là, que le Roi ne fauroit, fans faire une violence injufte, prendre aux propriétaires des hommes qui font partie de leur bien, pour les employer dans les troupes ; auffi ont-ils le droit de réclamer de pareils fujets, quand par hazard ils ont été engagés par les enrôleurs.

C'eft encore la même fervitude qui eft caufe du manque d'induftrie, & du défaut de manufactures dans le Danemarc. Un efclave ne pouvant rien pofféder en propre, n'a garde de s'appliquer à aucun art méchanique, & bien moins de travailler de génie, ou de cultiver les talens qu'il pourroit avoir. Il traîne une vie qui semble lui devenir inutile, & il fe contente de la paffer en bêchant la terre, ou en gardant les beftiaux. L'industrie qui ne s'introduit dans une nation que par l'appât du gain & des richeffes, ne fauroit faire des progrès; & le peuple perd ce courage & cet esprit attentif qui lui eft fi néceffaire pour rendre l'Etat opulent. Il eft inconcevable comment des monarques defpotiques peuvent tolérer dans leurs pays la durée d'une fervitude, qui met entre eux & les payfans, des efpeces de fouverains mitoyens, qui ne fert qu'à abattre l'efprit du peuple, & qui femble répugner à la nature de l'homme. C'est une loi bien fage en France, que tout esclave, même les forçats & les prifonniers faits fur les Turcs, font hommes libres dès qu'ils mettent le pied fur les terres de ce Royaume.

Voilà ce que nous avions à dire fur les habitans du Danemarc, fur les troupes & fur les arrangemens militaires. Au refte, malgré ce que nous venons de dire, il eft certain que dans un grand befoin le Danemarc, y compris la Norwege, le Schlefwick, le Holstein, &c. pourroit lever cinquante à foixante mille hommes de troupes nationales. Nous remarquerons encore, pour finir cet article, que le Roi a plufieurs fortereffes qui font bien entretenues, comme la ville de Copenhague même, Gluckstadt dans le Holstein, Rendsbourg, Fridericia, Drontheim, Bergen, le Wardhuys à l'extrémité de la Norwege, & plufieurs forts & citadelles difperfés dans le pays. Tout cela eft pourvu d'une bonne artillerie, & les arrangemens de guerre font bien entendus.

La flotte Danoise confifte en temps de paix en vingt-huit vaiffeaux de guerre du premier, fecond & troifieme rang, en feize frégates & cinq brulots. On entretient dans une paie continuelle 1800 charpentiers, 400 canonniers, & plus de trois mille matelots pour le fervice de cette flotte. Dans des temps de guerre, le Danemarc pourroit doubler, en cas de befoin, ces forces navales; la Norwege fournit en abondance des bois & des matériaux pour cet ufage. Mais comme il faudroit au moins dix à douze mille hommes de troupes pour bien garnir une pareille flotte, & que fon entretien excéderoit les facultés pécuniaires de cette couronne, il eft certain qu'il lui faudroit des fecours étrangers, fi elle vouloit garder longtemps un auffi grand nombre de vaiffeaux. Car déjà, fi on compare les forces terreftres & navales du Danemarc avec le Royaume & les Provinces qui y appartiennent, on verra qu'il n'y a point de proportion politiquement calculée entre ces deux objets, & que les forces font plus grandes qu'elles ne devroient l'être relativement aux revenus & aux reffources de cet Etat. Et c'eft auffi la raison pourquoi le Danemarc tire continuellement des fubfides, ou de la France, ou de l'Angleterre. Il y a à Copenhague une maison de cadets, où l'on éleve des jeunes gens que l'on deftine à occuper le pofte d'Officiers de la marine. On ne fauroit guere non plus y manquer de matelots vu que toutes les ifles du Danemarc & la côte de Norwege en fourniffent abondamment, & que la navigation continuelle les entretient dans l'habitude de la mer. C'eft au refte une bonne politique du Danemarc, d'entretenir conftamment une bonne armée navale, qui puiffe fervir à protéger fon commerce, fa navigation fes poffeffions dans les Indes, fon droit de péage du Sund, & même ses propres foyers. Les autres nations commerçantes ne font déjà que trop jaloufes des progrès de fon commerce; & les Suédois, ainfi que les Ruffes, font des voifins qui ont également des flottes auxquelles il faut pouvoir résister.

Quant aux revenus du Roi de Danemarc, nous trouvons dans les mémoires de Molefworth, un calcul qui les fait monter à 2,622,000 rifdales. Il fe peut qu'il ait eu raifon alors, quoique ce ne foit pas le feul article

où il fe trompe fort; mais il eft toujours certain, que les chofes aujourd'hui ont bien changé de face par l'acquifition du Holstein , par les progrès du commerce, par l'établiffement de la compagnie des Indes, par les fubfides que cette cour a tirés depuis tant d'années, & par plufieurs autres endroits. On croit ne pas fe tromper fi l'on affure, que tous les revenus du Roi vont à quatre millions & demi par an, quoique d'autres les faffent monter encore plus haut. Ces revenus font levés par l'accife, par les droits d'entrée, par des taxes fréquentes que l'on impofe fur les terres & fur le peuple, par des fermes & des domaines du Roi. A tout prendre, on on ne fauroit difconvenir, que les fujets de ce Monarque ne foient un peu obérés, & qu'il n'y ait eu pendant affez long-temps du dérangement dans les finances & dans la maniere de les adminiftrer. Un des plus beaux revenus du Roi, confifte dans le péage du Sund, dont il eft à propos que nous difions ici quelques mots. Le Sund eft un détroit fameux entre l'ifle de Zéland & la Terre-ferme de Schonen appartenant à la Suede. Du côté du Danemarc eft la ville d'Elfeneur avec la fortereffe de Cronenbourg, près de laquelle il y a une affez bonne rade. Du côté de la Suede eft la ville de Helfinbourg avec un château ruiné. C'est entre ces deux villes que paffent & repaffent tous les vaiffeaux qui négocient fur la Baltique, & c'eft auffi le feul paffage qui donne entrée à cette mer. Car quoique le grand & le petit Belt foient auffi des paffages qui conduifent dans la Baltique, ils ne font cependant jamais fréquentés, à caufe que le petit Belt n'eft pas affez profond, & que le grand fe trouve rempli de rochers & d'écueils cachés fous la fuperficie de l'onde; de maniere que les vaiffeaux y courent de grands rifques; au-lieu que le Sund eft extraordinairement profond, quoiqu'il n'ait qu'un bon demi-mille d'Allemagne de largeur près de Cronenbourg, & qu'on diftingue parfaitement les objets d'un rivage à l'autre. On a eu grand foin auffi de garnir de fanaux tous les endroits de la côte qui pourroient être périlleux ; d'autres fanaux où l'en allume des feux, fervent de guides aux vaiffeaux dans les nuits obfcures & orageufes; enfin on a pris toutes les précautions imaginables pour rendre ce paffage le moins dangereux qu'il eft poffible. C'eft à ces précautions que l'on doit attribuer l'origine du droit de péage que la Cour de Danemarc fait lever fur tous les vaiffeaux qui paffent par le détroit du Sund. D'abord les négocians fe prêterent volontairement à payer pour chaque vaiffeau une petite fomme qui pût fubvenir à l'entretien de ces fanaux ; mais, dans la fuite des temps, le Danemarc en a fait un droit formel. Nous trouvons que déjà l'Empereur Charles V fit un traité avec le Roi de Danemarc, qui fut figné à Spire fur le Rhin, & qui fixoit le droit de péage que les navires appartenans aux fujets des dix-fept Provinces devoient payer. Depuis ce temps, le Danemarc a fait différentes conventions pour la taxe de ce droit avec chacune des nations commerçantes en particulier; & cette taxe a été hauffée ou baiffée felon les circonftances dans lefquelles cette cou

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