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DETTE, f. f. Ce que l'on doit à quelqu'un.

QUOIQUE ce terme pris dans fon véritable fens, fignifie ce que l'on

doit, néanmoins on entend auffi quelquefois par-là ce qui nous eft dû, & que l'on appelle plus réguliérement une créance. Pour éviter cette confufion, on diftingue ordinairement les Dettes actives des Dettes paffives, entendant par Dette active la créance, & par Dette paffive ce que l'on doit

foi-même.

Tous ceux qui peuvent s'obliger, peuvent contra&ter des Dettes; d'où it. fuit par un argument à fens contraire, que ceux qui ne peuvent pas s'obliger valablement, ne peuvent auffi contracter des Dettes: ainfi les mineurs non-émancipés, les fils de famille, les femmes en puiffance de mari, ne peuvent contracter aucune Dette fans l'autorisation de ceux fous la puiffance defquels ils font.

Perfonne ne peut contracter valablement des Dettes fans cause légitime, il faut même de plus à l'égard des Communautés, qu'il y ait de leur part une néceflité d'emprunter ou de s'obliger autrement; parce qu'elles font comme les mineurs, qui ne font pas maîtres de détériorer leur condition.

On peut contracter des Dettes verbalement & par toutes fortes d'actes, comme par billet ou obligation, fentence ou autre jugement, & même tacitement, comme quand on eft obligé en vertu de la loi, d'un quasicontrat, ou d'un délit ou quafi-délit.

Les causes pour lesquelles on peut contracter des Dettes, font tous les objets pour lesquels on peut s'obliger, comme pour alimens, pour argent prêté, pour vente, ou louage de meubles, pour ouvrages faits, pour vente d'un fonds, d'une charge, pour arrérages de rente, douaire, légitime, foute de partage, &c.

Le créancier , pour obtenir le paiement de fa Dette, a différentes fortes d'actions felon la nature de la Dette & du contrat, & felon les perfonnes contre lefquelles il agit. Il a action perfonnelle contre l'obligé ou fes héritiers, hypothécaire contre le tiers détenteur d'un héritage hypothéqué à la Dette, & en certains cas il a une action mixte.

Les Dettes s'acquittent ou s'éteignent en plufieurs manieres; favoir 1o. par le paiement, qui eft la façon la plus naturelle de les acquitter; 2o. par compenfation d'une Dette avec une autre; 3°. par la remise volontaire que fait le créancier; 4o par la confufion qui fe fait des qualités de créancier & de débiteur, en une même perfonne; 5. par fin de nonrecevoir, ou prescription; 6". par la décharge que le débiteur obtient en justice,

DETTE

IL

DETTE PUBLIQUE.

L faut qu'il y ait une proportion entre l'Etat créancier & l'Etat débiteur. L'Etat peut être créancier à l'infini, mais il ne peut être débiteur qu'à un certain degré, & quand on eft parvenu à paffer ce degré, le titre créancier s'évanouit.

Si cet Etat a encore un crédit qui n'ait point reçu d'atteinte, il pourra faire ce qu'on a pratiqué fi heureufement dans un Etat d'Europe; c'est de fe procurer une grande quantité d'efpeces, & d'offrir à tous les particuliers leur remboursement à moins qu'ils ne veuillent réduire l'intérêt. En effet, comme lorfque l'Etat emprunte, ce font les particuliers qui fixent le taux de l'intérêt : lorfque l'Etat veut payer, c'eft à lui à le fixer.

Il ne fuffit pas de réduire l'intérêt : il faut que le bénéfice de la réduction forme un fond d'amortiffement pour payer chaque année une partie des capitaux; opération d'autant plus heureufe, que le fuccès en augmente tous les jours.

Lorfque le crédit de l'Etat n'eft pas entier, c'eft une nouvelle raifon pour chercher à former un fond d'amortiffement, parce que ce fond une fois établi, rend bientôt la confiance.

Si l'Etat eft une république dont le gouvernement comporte par fa nature que l'on y faffe des projets pour long-temps, le capital du fond d'amortiffement peut être peu confidérable; il faut dans une monarchie que ce capital foit plus grand.

Les réglemens doivent être tels que tous les citoyens de l'Etat portent le poids de l'établiffement de ce fond, parce qu'ils ont tous le poids de l'établissement de la Dette, le créancier de l'Etat, par les fommes qu'il contribue, payant lui-même à lui-même.

:

Il y a quatre claffes de gens qui paient les Dettes de l'Etat les propriétaires des fonds de terre, ceux qui exercent leur industrie par le négoce, les laboureurs & les artifans, enfin les rentiers de l'Etat où des particuliers. De ces quatre claffes, la derniere dans un cas de néceffité fembleroit devoir être la moins ménagée, parce que c'eft une claffe entiérement paffive dans l'Etat, tandis que ce même Etat eft foutenu par la force active des trois autres. Mais comme on ne peut la charger plus fans détruire la confiance publique, dont l'Etat en général & ces trois claffes en particulier ont un fouverain befoin; comme la foi publique ne peut manquer à un certain nombre de citoyens, fans paroître manquer à tous; comme la claffe des créanciers eft toujours la plus expofée aux projets des miniftres, & qu'elle eft toujours fous les yeux & fous la main, il faut que l'Etat lui accorde une finguliere protection, & que la partie débitrice n'ait jamais le moindre avantage fur celle qui eft créanciere.

Tome XV.

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IL y a près d'un fiecle que la France, l'Angleterre & la Hollande s'étant

opiniâtrées à des guerres difpendieufes, ceux qui gouvernoient ces nations ont été obligés de recourir à des emprunts confidérables. Je dis ceux qui les gouvernoient, parce que, fi elles avoient difcuté elles-mêmes leurs intérêts, elles n'auroient eu aucune raifon de contracter des Dettes. En effet, comme elles poffédoient prefque toutes les richeffes de l'Europe, elles jouoient en même-temps les rôles de prêteurs & d'emprunteurs; de forte que tout ce mouvement d'argent n'étoit qu'un mouvement inteftin. Il leur eût donc été facile de s'impofer fur elles-mêmes une contribution égale aux fommes qu'elles ne levoient que par emprunt. Mais, d'un côté, Guillaume III auroit eu trop de peine à perfuader aux Anglois (& fur-tout aux Torys) de facrifier la plus grande partie de leur fortune à l'abaiffement de Louis XIV; & de l'autre Louis XIV, tout abfolu qu'il étoit, n'auroit jamais pu difpofer arbitrairement du bien de fes fujets pour foutenir des guerres que fon ambition feule lui avoit attirées. Pour les Hollandois, quoiqu'une vengeance particuliere, un intérêt plus immédiat les animât, il étoit encore difficile d'en obtenir des fubfides confidérables. Ces riches commerçans qui formoient la meilleure partie de la République, voyoient avec trop de regret les fruits d'une longue & pénible industrie dévorés par des Allemands & des Espagnols. Nous lifons même dans les négociations du Comte d'Avaux, que la Province de Hollande fut longtemps oppofée à la guerre, & qu'elle inclinoit plutôt pour la France, qu'elle ne craignoit que comme un voifin dangereux, que pour le Prince d'Orange qu'elle redoutoit comme un maître ambitieux. Ces fituations embarraffantes obligerent de rechercher les moyens les plus doux ; il falloit éviter de faire fentir aux peuples le fardeau qu'on leur impofoit on appella, pour ainfi dire, la poftérité à fon fecours, & on la chargea de tout le poids qu'on vouloit épargner à la génération préfente. Les emprunts furent donc le fruit de la foibleffe du gouvernement, ou d'un certain refpect pour les propriétés, qui fera toujours néceffaire, tant que les guerres n'auront pas pour objet ou la défense des foyers, ou la vengeance de ces in

(4) Cet article eft extrait du Traité de la Félicité Publique.

fultes cruelles qui, élevant un cri général, précipitent les peuples dans la guerre (a).

Qu'il foit ruineux de faire avec de grands frais des guerres inutiles, c'eft ce que perfonne ne révoquera en doute. Toute nation qui emprunte pour faire la guerre, travaille donc à fa propre ruine. Mais de quelle façon cette ruine s'opere-t-elle ? Les emprunts font-ils onéreux, feulement en ce qu'ils repréfentent une dépense exceffive, ou font-ils pernicieux par eux-mêmes en ce qu'ils perpétuent les charges de l'Etat? C'eft ce que nous ne pouvons approfondir qu'en remontant à un principe général, que nous allons développer.

:

Toutes les richeffes, celles des Etats comme celles des particuliers, ne font fondées que fur un bienfait de la nature, qui a permis à l'homme d'obtenir, par un travail modique, une quantité de productions fort audeffus de fes befoins perfonnels. Un feul homme, en labourant un champ, peut fe procurer affez de bled pour nourrir dix de fes femblables, un feul homme, en cultivant une vigne, peut en tirer dix muids de vin, & ainfi du refte de forte que fi la terre avoit été abandonnée à l'induftrie humaine, il feroit arrivé que chaque individu, après s'étre affuré fa propre fubfiftance, auroit encore cherché dans l'agriculture des commodités & des jouiffances; foit qu'il eût ajouté à la culture des bleds celle du chanvre, des légumes, des arbres fruitiers, &c., foit que, ne confultant que la nature du fol & la facilité des échanges, il fe fût efforcé d'obtenir la plus grande production poffible d'une feule denrée, dans l'efpérance de s'en procurer d'autres par le débit de fon fuperflu. Dans ce cas, les jouiffances des homines n'auroient trouvé de limites que dans l'accroiffement de la population. Mais l'étendue du droit de propriété a bientôt interverti cet ordre naturel celui qui a pu réunir de vaftes poffeffions s'eft trouvé, il eft vrai, dans l'obligation d'alimenter les ouvriers qu'il employoit à y faire naître différentes productions; mais tout ce que ce travail a produit d'excédent eft refté à fa difpofition; de façon que ces efforts réunis ont fervi à la fubfiftance de tous & à la jouiffance d'un feul. Cependant cette jouiffance ne peut encore s'obtenir qu'à la faveur du travail. Si le plus riche propriétaire veut avoir des meubles, des pendules, des tableaux, il faut qu'il paie des tapiffiers, des horlogers, des peintres; & c'eft à quoi il emploiera l'excédent des fubfiftances que fes cultivateurs auront fait naître; car il importe peu que ces ouvriers ou artiftes reçoivent le prix de leurs

(a) Lors de la ligue de Cambrai, la République de Venife ne fut pas obligée de recou rir à des emprunts, quoiqu'elle eût à fe défendre contre tant de puiffances réunies. On fe foumit à une espece de taxe d'aifés, & chacun contribua felon fes moyens. C'est que le danger étoit réel & preffant: c'eft que les Vénitiens aimoient leur gouvernement, & que chaque citoyen auroit tout facrifié pour le conferver. De même, en 1672, la Hollande n'eut pas recours à des emprunts pour mettre des armées fur pied. Ils n'eurent lieu que lorfque d'autres intérêts furent compromis, & que la guerre devint opiniâtre & utile.

ouvrages à mesure qu'ils les fourniffent, ou qu'ils foient payés annuellement par celui qui fait travailler. Suppofons donc qu'un riche propriétaire ait confié à cent cultivateurs le foin de préparer la fubfiftance de 9oo perfonnes qu'il deftine à lui procurer toute forte de jouiffances de pur agrément. Si ce propriétaire, fi cet homme riche vient à avoir une querelle avec un de fes voifins; s'il eft obligé de lui déclarer la guerre, que penfez-vous qu'il faffe? Rien de plus fimple, me répondez-vous: il laiffera les cultivateurs à leurs ouvrages habituels, & il choifira parmi les autres perfonnes qu'il tient à fes gages un certain nombre d'hommes qu'il emploiera, foit à défendre fes poffeffions, foit à attaquer celles de fon ennemi. Tant que cette guerre durera, il fe privera de quelque plaifir, de quelque jouiffance; mais elle ne fera pas plutôt terminée, qu'il fe trouvera dans le même état où il étoit auparavant, c'eft-à-dire, tout auffi riche, tout auffi à portée de fe procurer des jouiffances par le travail d'autrui. Suppofons maintenant que notre riche poffeffeur fe foit conduit tout autrement, & que tenant, par erreur ou par foibleffe, à tous fes amusemens qu'il aura pris pour du bonheur, ou à son fafte qu'il aura pris pour jouiffance, il ait préféré d'envoyer à la guerre ces hommes mêmes dont le travail fervoit à le nourrir: fuppofons qu'il ait choifi 50 laboureurs pour en former fa garde, qu'il ait employé les attelages de fes charrues à traîner fon artillerie, qu'il ait fait de fes fermes des châteaux forts, &c. Voici felon toute apparence, ce qui fera arrivé : la premiere année il aura confervé fes chevaux de chaffe, fes officiers de bouche, fes artiftes, parce que so cultivateurs qui feront reftés à leurs travaux, auront fait tous leurs efforts pour fuffire à leur tâche & à celle de leurs camarades qu'on leur a enlevés; la feconde année, ces efforts ne pouvant plus fe répéter, & ayant même épuifé leurs forces, bien loin de pouvoir fuffire à ce travail exceffif, chaque homme ne fera même plus en état de faire ce qu'il faifoit autrefois : la culture fera négligée, les terres mal labourées, mal foignées; de forte que la troifieme année les fubfistances ne se trouvant plus les mêmes, le propriétaire n'aura plus de quoi entretenir les miniftres de fon luxe ou de fes plaifirs, lefquels ne tarderont pas à être mécontens & à s'éloigner: enfin, pour peu que la guerre dure encore, il ne lui reftera plus ni richeffes, ni jouiffances, & les maux qu'elle aura entraî nés, feront irréparables.

Après avoir ainfi placé les choses fous le point de vue le plus clair & le plus fenfible, que nous refte-t-il à faire déformais, finon à étendre nos idées, en appliquant cette hypothese à deux nations, de forces à peu près égales, qui fe trouveroient engagées dans une guerre indifpenfable? Voici, n'en doutons pas, le raifonnement que la plus éclairée des deux pourroit faire les chofes font arrangées de telle façon, qu'un petit nombre d'entre nous, un dixieme à peu près, fuffit pour nourrir tout le refte. Les neuf autres dixiemes n'ont guere de moyens d'obtenir leur part de

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