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& le péculat de ceux qui avoient part au maniement des finances. La vigilance courageufe de ce digne Miniftre, lui attira la haine des autres Miniftres & des courtifans, alarmés du bon ordre qui s'établiffoit dans l'administration des revenus de l'Etat, & qui cependant leur devoit être d'un bon préfage, s'ils avoient été moins avides & moins aveugles fur leurs intérêts. Les grands propriétaires appauvris par les défordres du gouvernement du regne précédent, & réduits à des expédiens fi humilians & fi méprifables, devoient s'appercevoir qu'une réforme auffi néceffaire, alloit faire renaître la profpérité de la nation & le rétablissement des revenus de leurs terres, qui les tireroient de leur abaiffement, & les éleveroient à l'état de fplendeur convenable à leurs grandes poffeffions & à leur rang. Leurs lumieres ne s'étendoient pas jufques-là; & toujours faut-il conclure que l'ignorance eft la principale caufe des erreurs les plus funeftes du gouvernement, de la ruine des nations & de la décadence des Empires dont la Chine s'eft toujours & fi fûrement préfervée par le miniftere des lettrés, qui forment le premier ordre de la nation, & qui font auffi attentifs à conduire le peuple par les lumieres de la raifon, qu'à affujettir évidemment le gouvernement aux loix naturelles & immuables qui conftituent l'ordre effentiel des fociétés.

Dans cet Empire immenfe, toutes les erreurs & toutes les malversations des chefs font continuellement divulguées par des écrits publics autorisés par le gouvernement, pour affurer, dans toutes les provinces d'un fi grand Royaume, l'obfervation des loix contre les abus de l'autorité, toujours éclairée par une réclamation libre, qui eft une des conditions effentielles d'un gouvernement für & inaltérable. On croit trop généralement que les gouvernemens des Empires ne peuvent avoir que des formes paffageres; que tout ici-bas eft livré à des viciffitudes continuelles; que les Empires ont leur commencement, leurs progrès, leur décadence & leur fin. On s'abandonne tellement à cette opinion, qu'on attribue à l'ordre naturel tous les déréglemens des gouvernemens. Ce fatalisme abfurde a-t-il pu être adopté par les lumieres de la raison ? N'eft-il pas évident au contraire que les loix qui conftituent l'ordre naturel font des loix perpétuelles & immuables, & que les déréglemens des gouvernemens ne font que des prévarications à ces loix paternelles? La durée, l'étendue & la prospérité permanente ne font-elles pas affurées dans l'Empire de la Chine par l'obfervation des loix naturelles? Cette nation fi nombreufe ne regarde-t-elle pas avec raifon les autres peuples, gouvernés par les volontés humaines, & foumis à l'obéiffance fociale par les armes, comme les nations barbares? Ce vafte Empire, affujetti à l'ordre naturel, ne préfente-t-il pas l'exemple d'un gouvernement ftable, permanent & invariable, qui prouve que l'inconftance des gouvernemens paffagers, n'a d'autre bafe, ni d'autres regles que l'inconftance même des hommes ?

DESTIN, L. m.

ON N entend par ce mot en général, un enchaînement de caufes qui naiffent les unes des autres, & qui déterminent le fort des êtres : mais cette idée fe modifie chez les hommes de bien des manieres, felon le principe qu'ils affignent à ces causes, & felon le plus ou moins de rigidité ou d'inflexibilité qu'ils attribuent à la chaîne qu'elles forment.

Les Chaldéens ou Babyloniens, livrés à toutes les rêveries de l'astrologie, regardoient les aftres comme étant le premier principe de ces causes, foit qu'ils les fuppofaffent animés par quelque intelligence, foit qu'ils leur attribuaffent feulement une influence phyfique & aveugle fur le fort de tout ce qui naiffoit fur la terre. Il paroît, au refte, qu'ils croyoient que Dieu, placé au centre de toutes les fpheres des aftres, leur donnoit le mouvement, qui imprimé une fois, ne pouvoit plus être dérangé, & procuroit néceffairement ou du bien ou du mal, felon la nature des aftres, dont les uns étoient bienfaifans & les autres malfaifans par leur nature, que Dieu ne pouvoit pas changer; rien ne pouvoit détourner, felon eux, cette influence, & le fort de l'homme étoit irrévocablement déterminé par elle. Voyez Voffius, theologia gentilis, lib. II, c. 47.

On donne à ce Deftin le nom de Deftin des Chaldéens, ou Deftin aftrologique. Pendant long-temps cette opinion a eu la vogue dans le monde. Les Orientaux fur-tout en ont été fectateurs; elle fit de grands progrès en Egypte, & même quelques Chrétiens de l'école d'Alexandrie l'adopterent, comme on peut le voir dans l'ouvrage d'Origene contre Celfe; elle n'en fit pas moins dans l'Occident, au milieu des Chrétiens. Il n'y a pas plus de deux fiecles que tous les Princes, les Papes même, avoient des aftrologues qui tiroient leur horofcope; il y a même encore quelques particuliers qui croient que les aftres reglent le Deftin des Empires & des particuliers.

Les peuples barbares de l'Occident, qui ne s'étoient pas appliqués à la fcience des aftres, ne leur attribuoient pas le principe des événemens qui les intéreffoient, mais ils regardoient le Deftin, comme un effet immanquable & invariable de la volonté des dieux, qui avoient déterminé d'avance tout ce qui devoit arriver à chacun, fans qu'aucune précaution pût le faire tourner autrement, Il ne paroît pas, au refte, qu'ils fiffent dépendre de ces décrets des dieux, autre chofe que les événemens dans lefquels l'homme eft paffif, le fuccès de leurs efforts, le bonheur & le malheur, la vie & la mort des hommes, & non point leurs actions volontaires & libres, excepté celles qui néceffairement étoient requifes pour l'accompliffement de leur

Deftin.

Selon Plutarque & Diogene de Laerce, Thalès croyoit un Deftin qui

rendoit les événemens néceffaires, mais que ce Deftin avoit pour principe la volonté du ciel, ou la providence, qui ayant ordonné de tout à l'avance, & en ayant déterminé les caufes, ne pouvoit manquer d'avoir fon effet. Plut. de placitis philof. lib. 1. c. 25. Diog. Laer. lib. 2. c. 36.

Platon n'a reconnu d'autre Deftir que la direction de la Providence, telle que la plupart des Chrétiens la conçoivent. Il donne le nom de Destin à la loi divine qui affigne le bonheur pour récompenfe aux gens de bien; fans doute parce qu'il regardoit cette fanction de la loi de Dieu comme irrévocable, & d'une exécution immanquable. Il croit que toutes les causes phyfiques font difpofées d'une maniere déterminée, qui en rend certains les effets; mais il ne pense pas que cette difpofition qui s'étend bien jusqu'à un certain point fur les ames, aille jufqu'à gêner leur liberté ; certaines chofes, fuivant ce Philofophe, font foumifes au Deftin, tandis que d'autres dépendent de l'arbitre des hommes. Chalcidius rend ainfi cette penfée» ce qui précede, (c'eft-à-dire, fans doute, nos réfolutions, nos » actions,) dépend de nous; ce qui fuir, (c'est-à-dire, à ce que je crois, » nos fuccès,) dépend du Deftin ou des arrangemens de la Providence. «< Les Stoïciens croyoient un Deftin abfolu, c'eft-à-dire, une fuite ou un enchaînement éternel de caufes qui fe produifent fucceffivement d'une maniere conforme à leur nature, enforte que le premier instant étant donné, tout ce qui aura lieu dans la fuite eft donné en même temps; Aul. Gellius, lib. V. c. 2. » Les Deftins nous entraînent, dit Séneque, dans fon » Traité de la Providence, cap. 5. & la premiere heure de notre exif»tence décide de tout notre fort. Une caufe dépend de la cause qui la » précede; une longue fuite de chofes détermine les affaires publiques & » particulieres; elles ne font point des accidens fortuits, mais des faits amenés réguliérement. «

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A cette doctrine des Stoïciens qui rendoit tout néceffaire & inévitable, les académiciens oppofoient des raifonnemens qui, dès-lors, ont été souvent employés; en particulier ils alléguoient le fentiment intime que nous avons, que quelque chofe eft en notre pouvoir, & que nous nous déterminons de notre propre mouvement.

Pythagore, avant ces Philofophes, avoit eu, à peu près, les idées que Platon a fuivies après lui; mais il paroît que les Pythagoriciens regardoient le Destin ou la Providence comme le résultat des qualités phyfiques des chofes, plutôt que comme le gouvernement moral d'un être libre & intelligent, qui dirige les évenemens felon les occurrences, foit prévues de toute éternité, foit apperçues au moment qu'elles exiftent. Voyez Brukerus, Hift. Philof. pars 2, lib. 2. cap. 20.

Démocrite & les Epicuriens regardant tout ce qui eft comme la production du feul mouvement, n'ont pu que croire au Deftin, qui n'eft, felon eux, que le résultat néceffaire du mouvement rapide des particules de la matiere,

Héraclite a également foumis tout à l'empire du Deftin, qui eft le réfultat néceffaire de la nature de ce feu éternel créateur de tout, qui eft, selon lui, une substance intelligente répandue par-tout, fi nous en croyons Plutarque & Stobee.

Les Philofophes qui, dans la fuite, ont adopté les principes de Pythagore, tels qu'Apollonius de Thiane, ont auffi tout repréfenté comme déterminé par le Deftin, c'eft-à-dire, par une néceffité intérieure, fruit de la nature des choses.

Parmi les Juifs, les Saducéens n'admirent rien de femblable au Deftin: il a paru douteux à quelques-uns, s'ils admirent une providence; cependant tout conduit à croire qu'ils regardoient Dieu comme déterminant par fa volonté le fort des humains à être heureux pour ceux qui faifoient bien & malheureux pour ceux qui agiffoient contre les regles de la fageffe; bornant tout, il eft vrai, à la vie préfente & à la profpérité temporelle: ils regardoient l'homme comme maître de fes actions & comme étant fous le gouvernement de la Providence, l'auteur de fon fort préfent. Voyez Jofephus de bello Jud. lib. II. c. 22.

La doctrine des Pharifiens, felon que l'expofe le même Jofeph, n'eft point, comme quelques-uns le prétendent, le dogme d'un Deftin réel, puifqu'en même temps qu'ils conviennent que tout dépend de Dieu, ils enfeignent auffi que de faire le bien ou le mal dépend pour la plus grande partie de la volonté des hommes, avec laquelle il eft vrai que la volonté de Dieu concourt d'une certaine maniere. Voyez Jofephus, ani. Jud. lib. XII. c. 9. & lib. XVIII. c. 2.

Il feroit difficile de déterminer quelle eft l'opinion des Mahométans par rapport au Deftin, quant aux actions des hommes, puifqu'ils font peu d'accord entr'eux. Quelques-uns regardent l'homme comme libre dans fes actions, en faifant ufage des forces que Dieu lui a données, ne concevant pas que Dieu eût pu commander ou défendre à l'homme des actions, s'il n'eût pas dépendu de l'homme de les faire. D'autres regardent l'homme fous la main de Dieu comme un être inanimé qui cede à une impulfion extérieure. Il eft pourtant vrai que cette derniere opinion eft la plus généralement reçue par leurs docteurs ; quoiqu'il ne paroiffe pas que leur façon de penfer influe fur leur conduite domeftique ou civile, relativement à la morale mais ils ne font pas les feuls qui croient dans la spéculation un dogme qu'ils contredifent formellement dans la pratique. Quant à ce qu'on nomme l'état des hommes, leur bonheur ou leur mifere, la fanté ou la maladie, la vie ou la mort, les Mahometans croient qu'un Destin éternel & immuable décide néceffairement de tout, indépendamment des mesures humaines; rien de plus afforti à un gouvernement defpotique fous lequel ils vivent. Cela n'empêche pas que quelquefois ils ne fe mettent en mouvement pour changer ce qui leur paroît un Deftin défavorable; ils détrônent & étranglent leur Sultan quand ils en font mécontens;

ils font éteindre un incendie, tandis qu'ils ne prennent nulle précaution contre la pefte, qui tous les ans fait de grands ravages chez eux mais vraisemblablement ils employeroient auffi des moyens contre ce fléau, s'ils en connoiffoient fur l'efficace defquels ils puffent compter. Ainfi font les hommes; ils s'autorifent d'une doctrine lorfque leur ignorance ou leurs paffions y trouvent leur profit, & ils la laiffent de côté dans les cas contraires. Jamais encore nous n'avons vu perfonne, qui eût le bon fens en partage, agir comme croyant un Deftin fatal, que lorfque leur ignorance ou leurs paffions n'avoient que lui pour refuge.

Les Chrétiens n'ont pas une doctrine uniforme fur le fujet du Deftin; les uns ont fuivi les Platoniciens; les autres ont admis un Deftin prefque auffi abfolu que celui des Stoïciens; il en eft qui croient la deftinée Maho

métane.

CE

DESTINATION, f. f.

E mot fe prend en deux fens : l'un plus particulier, uniquement relatif aux intentions que l'auteur d'une chofe a eues en la faifant : l'autre plus général & plus vague, relatif uniquement à la nature de la chofe même, fans aucun rapport aux deffeins de celui qui la fait exifter. Sous le premier fens, la Deftination d'une chofe, eft la fuite des différens effets que fon auteur a voulu produire en elle & hors d'elle, en lui donnant l'existence. Sous le fecond fens, la Deftination d'un être défigne toutes les manieres dont il peut exifter, tous les effets, toutes les modifications qu'il peut produire ou fouffrir par une fuite de fes facultés, de fes qualités, de fon état, & de fes relations, ou en un mot, par une fuite de fa nature à prendre ce dernier terme dans fa fignification la plus étendue.

1. Dans le premier fens, la Destination d'un être devient une regle d'action pour tous les êtres, & envers tous les êtres qui dépendent de celui qui la leur a affignée en les formant : car qui refufera à l'auteur d'une chofe, le droit de difpofer d'elle? Et s'il a le droit d'en difpofer, d'en régler le fort & l'emploi, on ne fauroit, fans aller contre le droit, s'oppofer à l'ufage qu'il fait du fien à cet égard.

Pour répandre plus de jour fur ce fujer, & en écarter toute fauffe application, il faut diftinguer à ce premier égard deux fortes de Destinations. L'une naturelle & fupérieure, l'autre arbitraire & fubordonnée. La Deftination fupérieure & naturelle, eft celle qui a été affignée dès le commencement à chaque être par la caufe premiere de tout, fans laquelle rien n'exifte, & de la volonté toute-puiffante de qui chaque être & chaque portion d'être tient fes facultés, fes qualités, fes relations primitives, en mêmetemps que l'exiftence. Etre intelligent & parfait, rien n'exifte que par ce

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