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à l'impofition du revenu public & aux befoins de l'Etat : car cette contribution détruiroit par contre-coup la culture des terres, retomberoit au double fur le revenu, fe détruiroit elle-même, & ruineroit la nation. Voilà donc une loi naturelle que l'on ne peut tranfgreffer fans encourir la punition qui en eft inféparable, & qui rendroit la contribution nécesfaire aux befoins de l'Etat, plus redoutable que ces besoins mêmes.

Il est évident auffi que cette contribution ne peut fe prendre non plus fur le fond des avances de l'exploitation de la culture des terres; car elle anéantiroit bientôt cette culture, & tous les biens néceffaires pour la subfiftance des hommes. Ce ne feroit donc plus une contribution pour les befoins de l'Etat; mais une dévastation générale, qui détruiroit l'Etat &

la nation.

La contribution ne doit pas non plus, difent les Chinois, être imposée fur les denrées ou marchandises deftinées pour l'ufage des hommes; car ce feroit mettre les hommes mêmes, leurs befoins & leur travail à contribution, & convertir cette contribution, levée pour les befoins de l'Etat, en une dévastation d'autant plus rapide, qu'elle livreroit la nation à l'avidité d'une multitude d'hommes ou d'ennemis employés à la perception de cette funefte impofition, où le Souverain lui-même ne retrouve pas le dédommagement des pertes qu'elle lui caufe fur la portion de revenu qu'il retireroit pour fa part du produit net des terres.

On trouvera dans d'autres ouvrages la difcuffion contradictoire de ces opinions Chinoises, & les regles qu'on doit fuivre pour affurer à l'Etat la contribution la plus étendue poffible, qui foit toute à l'avantage de la nation, & qui lui évite les dommages que caufent les autres genres de

contributions.

L'excédent du produit des terres, au-delà des dépenses du travail de la culture, & des avances néceffaires pour l'exploitation de cette culture, est un produit net qui forme le revenu public, & le revenu des poffeffeurs des terres, qui en ont acquis ou acheté la propriété, & dont les fonds payés pour Pacquifition affurent cette propriété, & par conféquent le produit net, qui eft une fuite naturelle de leur propriété, & de feur administration; car fans ces conditions effentielles, non-feulement les terres ne rapporteroient pas le produit net, mais feulement un produit incertain & foible, qui vaudroit à peine les frais faits avec la plus grande épargne, à caufe de l'incertitude de la durée de la jouiffance, qui ne permettroit pas de faire des dépenfes d'amélioration ou d'entretien, dont le profit ne Teroit pas affuré à celui qui fe livreroit à ces dépenfes.

Le Souverain ne pourroit pas prétendre à la propriété générale des terres de fon Royaume, car il ne pourroit par lui-même ni par d'autres en exercer l'administration; par lui-même, parce qu'il ne pourroit pas fubvenir à ce détail immenfe, ni par d'autres, parce qu'une administration aussi étendue, auffi variée, & aufli fufceptible d'abus & de fraudes, ne peut être

confiée à des intérêts étrangers, & à portée de frauder à difcrétion fur la comptabilité des dépenfes & des produits. Le Souverain fe trouveroit forcé de renoncer au plutôt à cette propriété qui le ruineroit lui & l'Etat. 11 eft donc évident que la propriété des terres doit être diftribuée à un grand nombre de poffeffeurs intéreffés à en tirer le plus grand revenu poffible par l'administration la plus avantageufe, qui affure à l'Etat une portion de ce revenu, proportionnellement à fa quantité, à fes accroiffemens & aux besoins de l'Etat ainfi les plus grands fuccès poffibles de l'agriculture affurent au Souverain & aux propriétaires le plus grand revenu poffible.

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XXI. Profcription de l'intérêt particulier exclufif.

E monopole, les entreprises & ufurpations des intérêts particuliers fur l'intérêt commun font naturellement exclus d'un bon gouvernement. Par l'autorité d'un chef revêtu d'une puiffance fupérieure, ce brigandage infidieux y feroit fûrement découvert & réprimé, car dans un bon gouvernement, le pouvoir des communautés, des conditions, des emplois, le crédit des prétextes fpécieux ne pourroient réuffir à favorifer un défordre fi préjudiciable. Les commerçans, les entrepreneurs de manufactures, les communautés d'artifans, toujours avides de gains, & fort industrieux en expédiens, font ennemis de la concurrence, & toujours ingénieux à furprendre des privileges exclufifs. Une ville entreprend fur une autre ville, une province fur une autre province, la métropole fur fes colonies. Les propriétaires d'un territoire favorable à quelques productions, tendent à faire interdire aux autres la culture & le commerce de ces mêmes productions, la nation fe trouve par-tout expofée aux artifices de ces ufurpar teurs qui lui furvendent les denrées & les marchandises néceffaires pour fatisfaire à ces befoins. Le revenu d'une nation a fes bornes, les achats qu'elle fait à un prix forcé par un commerce dévorant, diminuent les confommations & la population, font dépérir l'agriculture & les revenus, Cette marche progreffive fait donc difparoître la propriété & la puiffance d'un Royaume, le commerce même fe trouve détruit par l'avidité des commerçans, dont l'artifice ofe fe prévaloir du prétexte infidieux de faire fleurir le commerce, & d'enrichir la nation par les progrès de leurs fortunes. Leurs fuccès féduifent une administration peu éclairée, & le peuple eft ébloui par les richeffes mêmes de ceux qui le mettent à contribution & qui le ruinent: on dit que ces richeffes reftent dans le Royaume, qu'elles s'y diftribuent par la circulation, & font profpérer la nation: on pourroit donc penfer de même des richeffes des ufuriers, des financiers, &c. Mais on croit ingénument que celles que le monopole procure aux commerçans proviennent des gains qu'ils font aux dépens des autres nations. Si on regarde en effet les colonies du Royaume, comme nations étrangeres, il eft vrai qu'elles ne font pas ménagées par le monopole; mais

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le monopole des commerçans d'une nation, ne s'étend pas fur les autres nations, où du moins y forceroit-il les commerçans étrangers à ufer de repréfailles, qui fufciteroient des guerres abfurdes & ruineufes, & cette contagion du monopole étendroit & aggraveroit le mal. La police naturelle du commerce eft donc la concurrence libre & immenfe, qui procure à chaque nation le plus grand nombre poffible d'acheteurs & de vendeurs, pour lui affurer le prix le plus avantageux dans fes ventes & dans fes achats.

XXII. Réduction des frais de juftice.

Les dépenses exceffives fi redoutables dans l'administration de la justice,

chez une nation où l'exemple des fortunes illicites corrompt tous les ordres de citoyens deviennent plus régulieres dans un bon gouvernement, qui affure aux magiftrats l'honneur & la vénération dûs à la dignité & à la fainteté de leur miniftere. Dans un bon gouvernement, la fupériorité & l'observation des loix naturelles, infpirent la piété, & foutiennent la probité qui regne dans le cœur des hommes éclairés; ils font pénétrés de l'excellence de ces loix, inftituées par la Sageffe fuprême, pour le bonheur du genre-humain, doué de l'intelligence néceffaire pour fe conduire avec raison.

Dans l'ordre naturel de la fociété, tous les hommes qui la compofent, doivent être utiles & concourir felon leurs facultés & leur capacité au bien général. Les riches propriétaires font établis par la Providence, pour exercer fans rétribution les fonctions publiques les plus honorables, auxquelles la nation doit livrer avec confiance fes intérêts & fa fureté; ces fonctions précieuses & facrées ne doivent donc pas être abandonnées à des hommes mercénaires follicités par le befoin à fe procurer des émolumens. Les revenus dont jouiffent les grands propriétaires ne font pas deftinés à les retenir indignement dans l'oifiveté : ce genre de vie si méprisable & incompatible avec la confidération que peut leur procurer un état d'opulence qui doit réunir l'élévation, l'effime & la vénération publique par le fervice militaire, ou par la dignité des fonctions de la magiftrature, fonctions divines, fouveraines & religieufes, qui infpirent d'autant plus de refpect & de confiance qu'elles ne reconnoiffent d'autres guides & d'autres afcendans que les lumieres & la confcience. La Providence a donc établi des hommes élevés au-deffus des profeffions mercénaires, qui dans l'ordre naturel d'un bon gouvernement font difpofés à fe livrer par état & avec défintéreffement & dignité à l'exercice de ces fonctions fi nobles & fi importantes alors ils feront attentifs à réprimer rigoureufement les abus que l'avidité de ceux qui font chargés de difcuter & de défendre les droits des parties, peuvent introduire dans le détail des procédures; procédures qu'ils étendent & qu'ils compliquent à la faveur d'une multitude de formalités fuperflues, d'incidens illufoires, & de loix obfcures & difcordantes, accu

mulées

mulées dans le code d'une jurifprudence qui n'a point été affujettie à la fimplicité & à l'évidence des loix naturelles.

XXIII. Droit des gens.

CHAQUE nation comme chaque membre d'une nation a en particulier

la poffeffion du terrein que la fociété a mise en valeur, ou qui lui eft dévolue par acquifition ou par droit de fucceffion, ou par les conventions faites entre les nations contractantes, qui ont droit d'établir entr'elles les limites de leurs territoires, foit par les loix pofitives qu'elles ont admifes, foit par les traités de paix qu'elles ont conclus: voilà les titres naturels & les titres de conceflions qui établiffent le droit de propriété des nations; mais comme les nations forment féparément des Puiffances particulieres & diftinctives qui fe contrebalancent, & qui ne peuvent être affujetties à l'ordre général que par la force contre la force. Chaque nation doit donc avoir une force fuffifante & réunie, telle que fa puiffance le comporte, ou une force fuffifante formée par une confédération avec d'autres nations qui pourvoient réciproquement à leur fureté.

La force propre de chaque nation doit être feule & réunie fous une même autorité, car une divifion de forces appartenant à différens chefs ne peut convenir à un même Etat, à une même nation; elle divife néceffairement la nation en différens Etats ou Principautés, étrangeres les unes aux autres, & fouvent ennemies : ce n'eft plus qu'une force confédérative, toujours fufceptible de divifion entre elle-même, comme chez les nations féodales qui ne forment point de véritables Empires par ellesmêmes, mais feulement par l'unité d'un chef, fuserain d'autres chefs qui, comme lui, jouiffent chacun des droits réguliers, tels font les droits d'impôt, de la guerre, de monnoie, de juftice & d'autorité immédiate fur leurs fujets, d'où résultent ces droits qui leur affurent à tous également l'exercice & la propriété de l'autorité fouveraine.

Ces Puiffances confédérées & ralliées fous un chef de Souverains, qui lui font égaux en domination, chacun dans leurs Frincipautés, font euxmêmes en confédération avec leurs vaffaux feudataires, ce qui femble former plus réellement des conjurations, qu'une véritable fociété réunie fous un même gouvernement. Cette conftitution précaire d'Empire confédératif formée par les ufurpations des grands propriétaires, ou par le partage de territoires envahis par des nations brigandes, n'eft donc pas une conftitution naturelle de fociété, formée par les loix conftitutives de l'ordre effentiel d'un gouvernement parfait, dont la force & la puiffance appartient indivisiblement à l'autorité tutélaire d'un même Royaume: c'eff au contraire une conftitution violente & contre nature, qui livre les hommes à un joug barbare & tyrannique, & le gouvernement à des diffentions & à des guerres intérieures, défaftreufes & atroces.

Tome XV.

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La force d'une nation doit confifter dans un revenu public qui suffise aux befoins de l'Etat en temps de paix & de guerre; elle ne doit pas être fournie en nature par les fujets, & commandée féodalement, car elle favoriferoit des attroupemens & des guerres entre les grands de la nation, qui romproient l'unité de la fociété, défuniroient le Royaume, & jetteroient la nation dans le défordre & dans l'oppreffion féodale. D'ailleurs ce genre de force eft infuffifant pour la défense de la nation contre les Puiffances étrangeres, elle ne peut foutenir la guerre que pendant un temps fort limité & à des diftances fort peu éloignées, car elle ne peut fe munir pour long temps des provifions néceffaires & difficiles à tranfporter; cela feroit encore plus impraticable aujourd'hui où la groffe artillerie domine dans les opérations de la guerre. Ce n'eft donc que par un revenu public, qu'une nation peut s'affurer une défense conftante contre les autres Puiffances, non-feulement en temps de guerre, mais auffi en temps de paix, pour éviter la guerre, qui en effet doit être très-rare dans un bon gouvernement; puifqu'un bon gouvernement exclut tout prétexte abfurde de guerre pour le commerce, & toutes autres prétentions mal-entendues ou captieufes dont on fe couvre pour violer le droit des gens, en fe ruinant & en ruinant les autres; car pour foutenir ces entreprises injuftes, on fait des efforts extraordinaires par des armées fi nombreuses & fi difpendieuses, qu'elles ne doivent avoir d'autres fuccès qu'un épuifement ignominieux, qui flétrit l'héroïfme des nations belligérantes, & déconcerte les projets ambitieux de conquête.

XXIV. La comptabilité des deniers publics.

LA comptabilité de la dépenfe des revenus de l'Etat est une partie du

Gouvernement très-compliquée & très-fufceptible de défordre: chaque particulier réuffit fi difficilement à mettre de la fureté dans les comptes, de fa dépenfe, qu'il me paroîtroit impoffible de porter de la lumiere dans la confufion des dépenfes d'un gouvernement, fi on n'avoit pas l'exemple des grands hommes d'Etat, qui dans leur miniftere ont affujetti cette comptabilité à des formes, à des regles fûres pour prévenir la diffipation des finances de l'Etat, & réprimer l'avidité ingénieufe & les procédés frauduleux de la plupart des comptables. Mais ces formes & ces regles fe font bornées à un technique mystérieux qui fe prête aux circonftances, & qui ne s'eft point élevé au rang des fciences qui peuvent éclairer la nation. Sans doute que le vertueux Sully s'en rapportoit au favoir & aux intentions pures des tribunaux chargés de cette partie importante de l'adminiftration du gouvernement, pour s'occuper plus particuliérement à s'oppofer aux défordres de la cupidité des grands, qui par leurs emplois ou par leur crédit envahiffoient la plus grande partie des revenus de l'Etat, & qui, pour y réuffir plus fûrement, favorifoient les exactions des publicains,

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