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paffe de leurs mains dans celles du Vice-Roi, qui après l'avoir examiné en particulier, enfuite avec les quatre mandarins fes affiftans, l'envoie à la cour augmenté de fes propres notes: ainfi par cette voie, le premier tribunal connoît exactement tous les tribunaux de l'Empire, & eft en état de punir & de récompenfer. Le tribunal fuprême, après avoir examiné les notes, renvoie tout de fuite au Vice-Roi les ordres pour récompenfer ou châtier les mandarins notés: celui-ci deftitue ceux dont les notes contiennent le moindre reproche fur l'article du gouvernement, ou éleva à d'autres poftes ceux dont on fait l'éloge, & on a grand foin d'inftruire le public de ces deftitutions & de ces récompenfes, & des raisons pourquoi.

De plus, l'Empereur envoie de temps en temps dans les Provinces des vifiteurs qui s'informent du peuple, & qui fe gliffent dans les tribunaux pendant l'audience du mandarin; fi ces vifiteurs découvrent par quelqu'une de ces voies, de l'irrégularité dans la conduite des officiers, il fait voir auffi-tôt les marques de fa dignité; & comme fon autorité eft abfolue, il pourfuit auffi-tôt & punit avec rigueur le coupable felon la loi; mais fi la faute n'eft pas grave, il envoie fes informations à la cour, qui décide de ce qu'il doit faire.

Quoique ces vifiteurs ou infpecteurs foient choifis entre les principaux officiers, & qu'ils foient reconnus de la plus grande probité, l'Empereur pour n'être pas trompé, & crainte qu'ils ne fe laiffent corrompre par l'argent, &c. prend le temps que ces infpecteurs y penfent le moins pour voyager dans différentes Provinces, & s'informer par lui-même des plaintes du peuple contre les gouverneurs.

L'Empereur Kang-Hi dans une de fes vifites, apperçut un vieillard qui pleuroit amérement; il quitta fon cortege & fut à lui, & lui demanda `la caufe de fes larmes je n'avois qu'un fils, répondit le vieillard, qui faisoit toute ma joie & le foutien de ma famille, un mandarin Tartare me l'a enlevé; je fuis déformais privé de toute affiftance humaine; car pauvre & vieux comme je fuis, quel moyen d'obliger le gouverneur à me rendre juftice? Il y a moins de difficultés que vous ne penfez, répliqua l'Empereur; montez derriere moi, & me fervez de guide jufqu'à la maifon du raviffeur. Le vieillard monta fans cérémonie. Le mandarin fut convaincu de violence, & condamné fur le champ à perdre la tête. L'exécution faite, l'Empereur dit au vieillard, d'un air férieux, pour réparation je vous donne l'emploi du coupable qui vient d'être puni; conduifez-vous avec plus de modération que lui, & que fon exemple vous apprenne à ne rien faire qui puiffe vous mettre, à votre tour, dans le cas de fervir d'exemple.

Quand un gouvernement veille foigneufement fur les abus furtifs, & qu'il les punit févérement, ces abus ne doivent pas plus lui être reprochés que la punition même qu'il exerce contre les coupables. Les paffions des

hommes qui forcent l'ordre, ne font pas des vices du gouvernement qui les réprime; les hommes réfractaires qui déshonorent l'humanité, peuventils fervir de prétexte pour décrier les meilleurs gouvernemens?

Les abus tolérés, font fans doute des défauts dans un gouvernement, parce que tout abus eft un mal; mais lorsque le gouvernement qui les fupporte, les condamne, & ne leur accorde, par les loix, d'autre protection que celle qui eft perfonnelle aux citoyens, il y a certainement des confidérations particulieres qui ne permettent pas d'employer la vioHence pour les extirper, fur-tout lorfque ces abus n'attaquent pas l'ordre civil de la fociété, & qu'ils ne confiftent que dans quelques points de morale furérogatoire ou de crédulité chimérique, qui peuvent être tolérés comme une multitude d'autres préjugés attachés à l'ignorance, & qui fe bornent aux perfonnes mêmes qui fe livrent à ces idées particulieres. Telles font, à la Chine, les religions intrufes que la fuperftition y a admifes; mais la police réprime le prétendu zele qui tendroit à les étendre par des actes injurieux à ceux qui reftent attachés à la pureté de la religion ancienne, comprise dans la conftitution du gouvernement. Cette religion fimple, qui eft la religion primitive de la Chine, dictée par la raifon, eft adoptée par toutes les autres religions particulieres qui réverent la loi naturelle; c'eft à cette condition effentielle qu'elles font tolérées dans l'Empire, parce qu'elles ne donnent aucune atteinte aux loix fondamentales du gouvernement, & parce que la violence que l'on exerceroit pour les extirper, pourroit caufer des troubles fort dangereux dans l'or

dre civil.

L'une de ces religions intrufes forme la fecte de Laokium, elle s'eft accrue de plus en plus avec le temps, & rien n'eft moins étonnant. Une religion protégée par les Princes & par les grands, dont elle flattoit les paffions; une religion avidement adoptée par un peuple lâche & fuperstitieux; une religion féduifante par de faux preftiges qui triomphent de l'ignorance, qui a toujours cru aux forciers, pouvoit-elle manquer de fe répandre? Encore aujourd'hui eft-il peu de perfonnes du peuple qui n'aient quel que foi aux miniftres impofteurs de cette fecte; on les appelle pour guérir les malades & chaffer les malins efprits.

On voit ces Prêtres, après avoir invoqué les démons, faire paroître en l'air la figure de leurs idoles, annoncer l'avenir & répondre à différentes queftions, en faifant écrire ce qu'on veut favoir, par un pinceau qui pa roît feul, & fans être dirigé par perfonne. Ils font paffer en revue, dans un grand vafe d'eau, toutes les perfonnes d'une maison; font voir, dans le même vase, tous les changemens qui doivent arriver dans l'Empire, & les dignités qu'ils promettent à ceux qui embrafferont leur fecte. Rien n'eft fi commun à la Chine, que les récits de ces fortes d'hiftoires. Mais quoique l'hiftorien de cet Empire, dife pieufement qu'il n'eft guere croya ble que tout foit illufion, & qu'il n'y ait réellement plufieurs effets qu'on

ne doive attribuer à la puiffance du démon, nous fommes bien éloignés de nous rendre à cette réflexion: au contraire, les prétendus fortileges des magiciens Chinois, nous caufent moins de furprise, que de voir un écrivain auffi éclairé que le Pere Duhalde, attribuer bonnement au pouvoir des diables, des chofes, dans lefquelles ce qu'il y a de furnaturel & de furprenant, à la Chine comme ailleurs, n'exifte que dans des têtes fanatiques ou imbécilles. On paffera facilement au gouvernement de la Chine, fa tolérance pour cette fecte; car par-tout, la défenfe de croire aux forciers, paroît un acte d'autorité bien ridicule.

L'autre fecte de religions fuperftitieufes eft celle des bonzes; ils foutiennent qu'après la mort, les ames paffent en d'autres corps; que dans l'autre vie il y a des peines & des récompenfes; que le Dieu Fo naquit pour fauver le monde, & pour ramener dans la bonne voie ceux qui s'en étoient écartés qu'il y a cinq préceptes indifpenfables, 1°. de ne tuer aucune créature vivante, de quelque efpece qu'elle foit; ce précepte qui ne s'accorde pas avec la bonne chere, eft mal obfervé par les Bonzes mêmes. 2°. De ne point s'emparer du bien d'autrui; ce précepte eft de loi générale. 3°. D'éviter l'impureté; ce n'eft pas-là encore un précepte particulier à cette fecte, non plus que celui qui fuit. 4°. De ne pas mentir. 5°. De s'abftenir de l'ufage du vin. Il n'y a rien dans ces préceptes qui exige la cenfure du gouvernement.

Ces Bonzes recommandent encore fortement de ne pas négliger de faire les œuvres charitables, qui font prefcrites par leurs inftructions. Quoique les Bonzes foient intéreffés à ces exhortations, elles n'ont rien que de vo lontaire. Traitez bien les Bonzes, répetent-ils fans ceffe; fourniffez-leur tout ce qui eft néceffaire à leur fubfiftance; bâtiffez-leur des monafteres, des temples: leurs prieres, les pénitences qu'ils s'impofent, expieront vos péchés, & vous mettront à l'abri des peines dont vous êtes menacés. Ce n'eft ici que la doctrine oftenfible de Fo, qui ne confifte qu'en rufes & en artifices pour abufer de la crédulité des peuples. Tous ces Bonzes n'ont pas d'autre vue que d'amaffer de l'argent; & malgré toute la réputation qu'ils peuvent acquérir, ils ne font qu'un amas de la plus vile populace de l'Empire. Les dogmes de la doctrine fecrete font des myfteres; il n'eft pas donné à un peuple groffier & au commun des Bonzes, d'y être initié. Pour mériter cette diftinction, il faut être doué d'un génie fublime, & capable de la plus haute perfection. Cette doctrine, que les partifans vantent comme la plus excellente & la plus véritable, n'eft au fond qu'un pur matérialifme; mais comme elle ne fe divulgue pas, elle refte engloutie dans fes propres ténebres. Il y a toujours eu dans tous les Royaumes du monde, des raifonneurs dont l'efprit ne s'étend pas au-delà du paralogifme, ou de l'argument incomplet : c'est un défaut de capacité de l'efprit, qui eft commun non-feulement en métaphyfique, mais même dans les chofes palpables, & qui s'étend jufque fur les loix hu

maines. Comment ces loix elles-mêmes entreprendroient-elles de le profcrire ? On ne peut lui oppofer que l'évidence développée par des efprits fupérieurs. Malgré tous les efforts des lettres pour extirper cette fecte qu'ils traitent d'hérélie, & malgré les difpofitions de la Cour à l'abolir dans toute l'étendue de l'Empire, on l'a toujours tolérée jufqu'à préfent, dans la crainte d'exciter des troubles parmi le peuple, qui eft fort attaché à fes idoles (ou pagodes); on fe contente de la condamner comme une héréfie, & tous les ans cette cérémonie fe pratique à Pekin.

La fecte de Ju-Kiau ne tient qu'à une doctrine métaphyfique fur la nature du premier principe; elle eft fi confufe & fi remplie d'équivoques & de contradictions, qu'il eft très-difficile d'en concevoir le fyftême; elle eft même devenue fufpecte d'athéifme, Si l'on en croit l'hiftorien de la Chine, cette fecte ne compte que très-peu de partifans: les véritables lettrés demeurent attachés aux anciens principes, & font fort éloignés de l'athéifme. Plufieurs miffionnaires de différens ordres, prévenus contre la religion. des Chinois, furent portés à croire, dit cet écrivain, que tous les favans ne reconnoiffent pour principe, qu'une vertu céleste, aveugle & matérielle : ils difoient ne pouvoir porter d'autre jugement, à moins que l'Empereur ne voulût bien déclarer la vraie fignification des mots Tien & Chang-ti ; & ce qu'on entendoit par ces deux termes, le maître du ciel, & non le ciel matériel.

L'Empereur, les Princes du fang, les mandarins de la premiere classe s'expliquerent clairement, ainfi que les miffionnaires le demandoient. En 1710, l'Empereur rendit un édit qui fut inféré dans les archives de l'Empire, & publié dans toutes les gazettes: il faifoit entendre qu'ils invoquoient le fouverain Seigneur du Ciel, l'Auteur de toutes chofes; un Dieu qui voit tout, qui gouverne l'Univers avec autant de fageffe que de juftice. Ce n'eft point au ciel vifible & matériel, portoit cet édit, qu'on offre des facrifices mais uniquement au Seigneur, au Maître de tout: on doit donner auffi le même fens à l'infcription du mot Chang-ti, qu'on lit fur les tablettes devant lefquelles on facrifie. Si l'on n'ofe donner au Souverain Seigneur le nom qui lui convient, c'eft par un jufte fentiment de refpe&t; & l'ufage eft de l'invoquer fous le nom de ciel fupréme, bonté fuprême du ciel, ciel univerfel comme en parlant refpectueufement de l'Empereur, au lieu d'employer fon propre nom, on fe fert de ceux de marche du tróne, de cour fupréme de fon palais. Le P. Duhalde rapporte encore beaucoup de preuves qu'il tire des déclarations de l'Empereur, & de fes décifions en différentes occafions.

La religion du Grand Lama, le Judaïsme, le Mahométifme, le Christianifme, ont auffi pénétré dans la Chine: mais nos miffionnaires y ont joui auprès de plufieurs Empereurs, d'une faveur fi marquée, qu'elle leur a attiré des ennemis puiffans, qui ont fait profcrire le Chriftianifme; il n'y eft plus enfeigné & profeffé que fecretement.

On dit qu'il y a à la Chine, outre la contribution fur les terres, quelques impôts irréguliers, comme des droits de douane & de péage en certains endroits, & une forte d'impofition perfonnelle en forme de capitation. Si ces allégations ont quelque réalité, cela marqueroit qu'en ce point l'Etat ne feroit pas fuffifamment éclairé fur fes véritables intérêts; car dans un Empire, dont les richeffes naiffent du territoire, de telles impofitions font deftructives de l'impôt même & des revenus de la nation. Cette vérité qui fe conçoit difficilement par le raifonnement, fe démontre rigoureufement par le calcul.

Les effets funeftes de ces impofitions irrégulieres ne doivent pas au moins être fort ruineux dans cet Empire, parce qu'en général l'impôt y eft fort modéré, qu'il y eft prefque toujours dans un état fixe, & qu'il s'y leve fans frais mais toujours eft-il vrai que de telles impofitions, quelque foibles qu'elles aient été jusqu'à préfent, ne doivent pas moins être regardées comme le germe d'une dévaftation qui pourroit éclore dans d'autres temps. Ainfi cette erreur, fi elle exifte, eft un défaut bien réel qui fe feroit introduit dans ce gouvernement, mais qui ne doit pas être imputé au gouvernement même; puifque ce n'eft qu'une méprife de l'adminiftration, & non du gouvernement, car elle peut être réformée fans apporter aucun changement dans la conftitution de cet Empire.

L'excès de la population de la Chine y force les indigens à exercer quelquefois des actes d'inhumanité qui font horreur : néanmoins on ne doit pas non plus imputer cette calamité à la conftitution même d'un bon gouvernement, car un mauvais gouvernement qui extermine les hommes à raifon de l'anéantiffement des richeffes qu'il caufe dans un Royaume, ou à raifon des guerres continuelles injuftes ou abfurdes, fufcitées par une anibition déréglée, ou par le monopole du commerce extérieur, présente à ceux qui y font attention, un spectacle bien plus horrible.

La population excede toujours les richeffes dans les bons & dans les mauvais gouvernemens, parce que la propagation n'a de bornes que celles de la fubfiftance, & qu'elle tend toujours à paffer au delà: par-tour il y a des hommes dans l'indigence.

On dira peut-être que par-tout il y a auffi des richesses, & que c'eft l'inégalité de la diftribution des biens qui met les uns dans l'abondance, & qui refufe aux autres le néceffaire, qu'ainfi la population d'un Royaume ne furpafferoit pas les richeffes de la nation, fi elles étoient plus également diftribuées : cela peut être vrai en partie dans les nations livrées au brigandage des impofitions déréglées, ou du monopole autorifé dans le commerce & dans l'agriculture, par la mauvaise administration du gouvernement, car ces défordres forment des accumulations fubites de richeffes qui ne fe détruifent pas, & qui caufent dans la circulation un vuide qui ne peut être occupé que par la mifere. Mais par-tout où les riches ont leur état fondé en propriété de biens-fonds, dont ils retirent annuellement

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