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On compte encore parmi les Nobles, premiérement, ceux qui ont été mandarins dans les provinces, foit qu'ils aient été congédiés, ce qui leur arrive prefqu'à tous, foit qu'ils fe foient volontairement retirés avec la permiffion du Prince, ou foit qu'ils fe foient procuré certains titres d'honneur, qui leur donnent le privilege de vifiter les mandarins, & qui par-là leur attirent le refpect du peuple. Secondement, tous les étudians, depuis P'âge de quinze à feize ans jusqu'à quarante, qui subiffent les examens établis par l'usage.

Mais la famille la plus illuftre de la Chine, & la feule à qui la noblesse foit transmise par héritage, eft celle du philofophe Confucius. Elle est, fans doute, la plus ancienne du monde, puifqu'elle s'eft confervée en droite ligne depuis plus de deux mille ans. En confidération de cet homme célébre qui en eft la fource, tous les Empereurs ont, depuis, conftamment honoré un de ses descendans du titre de Kong, qui répond à celui de Duc.

Une des troifiemes marques de nobleffe, confifte dans les titres d'honneur que l'Empereur accorde aux perfonnes d'un mérite éclatant. En Europe la nobleffe paffe des peres aux enfans & à leur poftérité, à la Chine, elle paffe, au contraire, des enfans aux peres & aux ancêtres de leurs peres. Le Prince étend la nobleffe qu'il donne jufqu'à la quatrieme, la cinquieme, & même la dixieme génération paffée, fuivant les fervices rendus au public; il la fait remonter, par des lettres expreffes, au pere, à la mere, au grand-pere, qu'il honore d'un titre particulier; fur ce principe, que les vertus doivent être attribuées à l'exemple & aux foins particuliers de leurs ancêtres.

Le fecond ordre des citoyens comprend tous ceux qui n'ont pas pris des degrés littéraires; les laboureurs tiennent le premier rang, puis les marchands & généralement tous les artifans, les payfans, manouvriers, & tout ce qui compofe le menu peuple.

L'ETAT

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ETAT militaire, à la Chine, a fes tribunaux, comme le Gouvernement civil. Tous les Mandarins de la guerre prennent trois degrés, comme les Mandarins civils. Ils font divifés en neuf claffes, qui forment un grand nombre de tribunaux.

Les Chinois ont un Général, dont les fonctions font à peu près les mêmes qu'en Europe. Il a fous lui divers officiers dans les provinces, qui repréfentent nos Lieutenans-Généraux. A ceux-ci font fubordonnés des mandarins, comme nos Colonels; ces derniers commandent à des officiers dont les grades fubalternes répondent à ceux de Capitaines, de Lieutenans & d'Enfeignes.

On compte cinq tribunaux militaires à Pekin. Les mandarins de ces tribunaux font diftingués par différens noms; tel que mandarins de l'arriere-garde, mandarins de l'aile-gauche, mandarins du centre, mandarins d'avant-garde. Ces tribunaux ont pour préfident des mandarins du premier ordre, & font fubordonnés à un fixieme tribunal, dont le Préfident est un des plus grands Seigneurs de l'Empire, & s'appelle Yong-Ching-Fou. Son autorité s'étend fur tous les militaires de la cour. Mais afin de modérer ce pouvoir extraordinaire, on lui donne pour affiftant un mandarin de lettres & deux infpecteurs, qui entrent avec lui dans l'adminiftration des armes. Outre cela, lorfqu'il eft queftion d'exécuter quelque projet militaire, le Yong-Ching-Fou prend les ordres de la cour fouveraine PingPou, qui a toute la milice de l'Empire fous fa jurisdiction.

Tous les différens tribunaux militaires ayant la même méthode que les tribunaux civils, de procéder & de rendre leurs décisions, nous n'en don nerons pas ici d'autres éclairciffemens.

On fait monter le nombre des villes fortifiées & des citadelles à plus de deux mille, fans compter les tours, les redoutes, & les châteaux de la grande muraille qui ont des noms particuliers, Il n'y a pas de ville ou de bourg, qui n'ait des troupes pour fa défenfe. Le nombre des foldats que l'Empereur entretient dans fon Empire eft, fuivant le P. Duhalde, de fept cents foixante mille. Tous ces foldats, dont la plus grande partie compofe la cavalerie, font bien vêtus, & entretenus très-proprement. Leurs armes font des fabres & des moufquets. Leur folde fe paie tous les trois mois. Enfin, la condition de ces foldats eft fi bonne, qu'on n'a pas befoin d'employer ni la rufe, ni la force pour les enrôler: c'est un établiffement pour un homme, que d'exercer la profeffion des armes, & chacun s'empreffe de s'y faire admettre, foit par protection foit par préfent. Il est vrai que ce qui ajoute un agrément au métier de foldat, c'est que chacun fait ordinairement fon fervice dans le canton qu'il habite. Quant à la difcipline, elle eft affez bien obfervée, & les troupes font fouvent exercées par leurs officiers: mais leur tactique n'a pas grande

étendue.

Leur marine militaire eft peu confidérable, & affez négligée. Comme les Chinois n'ont pas de voifins redoutables du côté de la mer, & qu'ils s'occupent fort peu du commerce extérieur, ils ont peu de befoin de marine militaire pour leur défenfe & pour la protection d'une marine marchande; protection fort onéreufe. Cependant ils ont eu quelquefois des armées navales affez confidérables, & conformes aux temps où la conftruction & la force des vaiffeaux étoient à un degré bien inférieur à l'état où elles font aujourd'hui chez les nations maritimes de l'Europe. La navigation Chinoise a fait peu de progrès à cet égard,

Mais il faut convenir que fur les rivieres & fur les canaux, ils ont une adreffe qui nous manqué; avec très-peu de matelots ils conduisent des

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barques auffi grandes que nos vaiffeaux. Il y en a un fi grand nombre dans les Provinces méridionales, qu'on en tient toujours neuf mille neuf cent quatre-vingt dix-neuf pour le fervice de l'Empereur & de l'Etat. Leur adreffe à naviger fur les torrens, dit le P. Lecomte, a quelque chofe de furprenant & d'incroyable; ils forcent prefque la nature, & voyagent hardiment fur des endroits que les autres peuples n'oferoient feulement regarder fans frayeur.

S.. V I.

Loix fondamentales de l'Empire.

Loi naturelle.

LE premier objet du culte des Chinois eft l'Étre fuprême; ils l'adorent

comme le principe de tout, fous le nom de Chang-ti, qui veut dire Souverain Empereur, ou Tien, qui fignifie la même chofe. Suivant les Interpretes Chinois, Tien eft l'efprit qui préfide au ciel, & ils regardent le ciel comme le plus parfait ouvrage de l'Auteur de la Nature. Car l'afpe& du ciel a toujours attiré la vénération des hommes attentifs à la beauté & à la fublimité de l'ordre naturel. C'eft-là où les loix immuables du Créateur fe manifeftent le plus fenfiblement; mais ces loix ne doivent pas fe rapporter fimplement à une partie de l'univers, elles font les loix générales de toutes fes parties. Mais ce mot fe prend auffi pour fignifier le ciel matériel, & cette acception dépend du fujet où on l'applique. Les Chinois difent qu'un pere eft le Tien d'une famille, un Vice-Roi, le Tien d'une Province; l'Empereur, le Tien de l'Empire. Ils rendent un culte inférieur à des efprits fubordonnés au premier être, & qui fuivant eux préfident aux villes, aux rivieres, aux montagnes.

Tous les livres canoniques, & fur-tout celui appellé Chu-King, nous repréfentent le Tien comme le Créateur de tout ce qui exifte, le pere des peuples: c'eft un être indépendant qui peut tout, qui connoît juf qu'aux plus profonds fecrets de nos cœurs: c'eft lui qui régit l'univers, qui prévoit, recule, avance, & détermine à fon gré tous les événemens d'ici-bas fa fainteté égale fa toute-puiffance, & fa juftice fa fouveraine bonté rien dans les hommes ne le touche que la vertu; le pauvre fous le chaume, le Roi fur un trône qu'il renverfe à fon gré, éprouvent égale- . ment fon équité, & reçoivent la punition due à leurs crimes.

Les calamités publiques font des avertiffemens qu'il emploie pour exciter les hommes à l'amour de l'honnêteté; mais fa miféricorde, fa clémence furpaffent fa févérité la plus fûre voie d'éloigner fon indignation, c'eft de réformer des mauvaises mœurs. Ils l'appellent le Pere, le Seigneur ; & ils affurent que tout culte extérieur ne peut plaire au Tien, s'il ne part du cœur, & s'il n'eft animé par des fentimens intérieurs.

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Il eft dit encore dans ces mêmes livres, que le Chang-ti eft infiniment 'éclairé, qu'il s'eft fervi de nos parens pour nous tranfmettre, par le mélange du fang, ce qu'il y a en nous d'animal & de matériel; mais qu'il nous a donné lui-même une ame intelligente & capable de penfer, qui nous diftingue des bêtes qu'il aime tellement la vertu, que pour lui offrir des facrifices, il ne fuffit pas que l'Empereur, à qui appartient cette fonction, joigne le Sacerdoce à la Royauté; qu'il faut de plus qu'il foit vertueux & pénitent; qu'avant le facrifice, il ait expié fes fautes par le jeûne & les larmes; que nous ne pouvons atteindre à la hauteur des penfées & des confeils de cet Être fublime; qu'on ne doit pas croire néanmoins qu'il foit trop élevé pour penfer aux chofes d'ici-bas; qu'il examine par lui-même toutes nos actions, & que fon tribunal, pour nous juger, eft établi au fond de nos consciences.

Les Empereurs ont toujours regardé comme une de leurs principales obligations, celle d'obferver les rites primitifs, & d'en remplir les fonctions. Comme chefs de la nation ils font Empereurs pour gouverner, Maitres pour inftruire, & Prêtres pour facrifier.

L'Empereur, eft-il dit dans leurs livres canoniques, eft le feul à qui il foit permis de rendre au Chang-ti un culte folemnel; le Chang-ti l'a adopté pour fon fils: c'eft le principal héritier de fa grandeur fur la terre, il l'arme de fon autorité, le charge de fes ordres, & le comble de fes bienfaits. Pour facrifier au Maître de l'univers il ne faut pas moins que la perfonne la plus élevée de l'Empire. Que le Souverain defcende de fon trône! qu'il s'humilie en la préfence du Chang-ti! qu'il attire ainfi les bénédictions du ciel fur fon peuple! c'eft le premier de fes devoirs.

Auffi eft-il difficile de décrire avec quelle ardeur ces Empereurs fe livrent à leur zele pour le culte & les facrifices; quelle idée ils se font formée de la juftice & de la bonté du Maître des Souverains. Dans des temps de calamités offrir des facrifices au Tien, lui adreffer des vœux, ce n'eft pas les feuls moyens qu'ils emploient pour exciter fa miféricorde; ils s'appliquent encore à rechercher avec foin les défauts fecrets, les vices cachés qui ont pu attirer ce châtiment.

En 1725 il y eut une inondation terrible, caufée par le débordement d'un grand fleuve ; les mandarins fupérieurs ne manquerent pas d'attribuer la cause de ce malheur à la négligence des mandarins fubalternes. Ne jettez pas cette faute fur les mandarins, répondit le Souverain, c'eft moi qui fuis coupable; ces calamités affligent mon peuple, parce que je manque des vertus que je devrois avoir. Penfons à nous corriger de nos défauts, & à remédier à l'inondation; à l'égard des mandarins que vous accufez, je leur pardonne je n'accufe que moi-même de mon peu de vertu.

Le P. Lecomte cite un exemple fi frappant du refpect religieux d'un de ces Empereurs, que nous croyons faire plaifir de le rapporter; il dit l'avoir tiré de l'hiftoire des Chinois.

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Depuis fept années confécutives, une affreufe extrémité tenoit le peuple dans l'accablement; prieres, jeûnes, pénitences, tout avoit été employé inutilement l'Empereur ne favoit plus par quel moyen il pourroit terminer la mifere publique, & arrêter la colere du Souverain de l'univers. Son amour pour fon peuple lui fuggéra de s'offrir lui-même pour victime. Rempli de ce généreux deffein, il affemble tous les grands de l'Empire; il fe dépouille en leur présence de fes habits royaux, & fe revêt d'un habit de paille; puis les pieds & la tête nue, il s'avance avec toute la Cour jufqu'à une montagne éloignée de la ville: c'eft alors qu'après s'être profterné neuf fois jufqu'à terre, il adreffa ce difcours à l'Etre Suprême. » Seigneur, vous n'ignorez pas les miferes où nous fommes réduits, » ce font mes péchés qui les ont attirées fur mon peuple, & je viens ici » pour vous en faire un humble aveu à la face du ciel & de la terre : » pour être mieux en état de mé corriger, permettez-moi, Souverain Maî »tre du monde, de vous demander ce qui vous a particuliérement dé» plu en ma perfonne : eft-ce la magnificence de mon Palais? j'aurai foin » d'en retrancher. Peut-être que l'abondance des mets, & la délicateffe » de ma table ont attiré la difette? dorénavant on n'y verra que frugalité, » que tempérance. Que fi tout cela ne fuffit pas pour appaifer votre juste » colere, & qu'il vous faille une victime: me voici, Seigneur, & je con» fens de bon cœur à mourir, pourvu que vous épargniez ces bons peu»ples. Que la pluie tombe fur leurs campagnes, pour foulager leurs be» foins, & la foudre fur ma tête, pour fatisfaire à votre juftice.

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Cette piété du Prince, dit notre miffionnaire, toucha le ciel. L'air fe chargea de nuages, & une pluie univerfelle procura, dans le temps, une abondante récolte dans tout l'Empire. Que l'événement foit naturel ou miraculeux, cela n'exige pas de difcuffion; notre but eft feulement de prouver quelle eft la religion des Empereurs de la Chine, & leur amour pour leurs fujets; nous ne pouvons douter que ce trait n'ait bien fecondé nos

intentions.

Le culte & les facrifices à un Etre Suprême, fe perpétuerent durant plufieurs fiecles, fans être infectés d'aucune idolâtrie, (qui eft toujours profcrite par les loix): & le zele des Empereurs eft toujours le même : ils ont voulu cultiver de leurs propres mains, un champ dont le bled, le riz & les autres productions font auffi offertes en facrifices.

Magalhens, Jéfuite, obferve que les Chinois ont quatre principaux jeûnes, qui répondent aux quatre faifons de l'année. Ces pénitences nationales durent trois jours avant les facrifices folemnels. Lorfqu'on veut implorer la faveur du ciel dans les temps de pefte, de famine, dans les tremblemens de terre, les inondations extraordinaires, & dans toutes les autres calamités publiques, les Mandarins vivent féparément de leurs femmes, paffent la nuit & le jour à leurs Tribunaux, s'abftiennent de la viande & du vin, &c. L'Empereur même garde la folitude dans fon Palais.

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