Page images
PDF
EPUB

M. l'Abbé Barthelemi, dans un mémoire lû à l'Académie des belles-lettres, le 18 Avril 1763, a tâché d'appuyer le fyftême de M. de Guignes, en démontrant que l'ancienne langue Egyptienne lui paroît avoir beaucoup de rapport avec l'Hébreu & le Chinois, &c.

Il est étonnant qu'on n'ait pas fait plutôt une réflexion fort fimple, qui pourroit être appuyée d'un développement curieux. Quand même on démontreroit l'identité des Chinois & des Egyptiens, pourquoi ne fupposeroit-on pas que ces derniers viennent de la Chine, ou plutôt que les uns & les autres ont une origine commune? C'eft un fentiment qu'il feroit ce femble, fort aifé de rendre auffi vraisemblable que le fyftême des académiciens François. Quelle affurance ont donc tous nos differtateurs que les arts & les sciences étoient inconnues des anciens Chaldéens, aux temps voisins d'Abraham, & par conféquent fous le regne d'Yao? Les Indes qu'ils regardent eux-mêmes comme l'origine immédiate des premiers législateurs Chinois ne confinent-elles pas d'un côté à la Chine, & de l'autre à la Chaldée? Si les fciences, les hiéroglyphes & les arts étoient partis de-là, pour s'établir dans la Chine qui eft à l'Orient, & dans l'Egypte qui eft à l'Occident, que deviendroient les conjectures? Au refte toutes ces difcuffions purement hiftoriques, font ici d'une très-médiocre conféquence.

Les objets les plus intéreffans font les loix établies par Yao, par Xun & par quelques autres, les grands ouvrages entrepris fous leurs regnes pour la profpérité de l'agriculture & du commerce des denrées, les monumens qu'ils ont laiffés de leur fcience & de leur fageffe.

Des écrivains fuperficiels, qui ne cherchent que des faits & des dates, ont écrit que ces magnifiques inftitutions, fi relevées dans les ouvrages très-authentiques de Confucius, ne méritoient pas l'attention des Savans. L'abfurdité de ce jugement, eft un für préservatif contre tous les autres raifonnemens de ces compilateurs.

Le défaut d'une chronologie parfaitement réglée, les lacunes que le temps a caufées dans les anciens mémoires hiftoriques, & le mélange des fables qu'on y a fubftituées ne peuvent raifonnablement faire rejetter des faits certains, atteftés d'âge en âge, & confirmés par des monumens de la plus extrême importance comme de la plus grande authenticité.

La chronologie des livres de Moyfe a donné lieu à trois opinions, qui ne paroiffent pas décidées. Toutes les hiftoires des Grecs, des Romains & des autres peuples, même les plus modernes, font mêlées de fables, & fouffrent des éclipfes, & néanmoins le fond des événemens paffe pour authentique, fur-tout, quand il eft reconnu par les plus anciens écrivains éclairés, & attefté par des monumens. C'eft le cas des événemens célébres, arrivés fous les Empereurs Yao & Xun.

Nous ne nous arrêterons pas à fouiller dans les faftes de la Monarchie Chinoife, pour en tirer les noms des Empereurs, & pour rendre raison de leur célébrité. Notre plan ne pourroit comporter cette hiftoire, qui demanderoit

manderoit trop d'étendue; il eft aifé de concevoir que, dans le nombre de deux cents trente Empereurs, il s'en eft trouvé fûrement plufieurs de recommandables par leurs belles qualités, par leur habileté & leur vertu, & d'autres qui ont été en horreur par leurs méchancetés, par leur ignorance & par leurs vices. Le P. Duhalde a donné une Hiftoire chronologique de tout ce qui s'eft paffé de plus remarquable fous le regne de ces Souverains (tom. I, page 279) on peut la confulter. Pour nous, notre tâche va fe borner à faire connoître la forme du gouvernement Chinois, & à donner une idée de tout ce qui s'y rapporte.

:

Les premiers Souverains de la Chine, dont les loix & les actions principales font indubitables, furent tous de fort bons Princes. On les voit uniquement occupés à faire fleurir leur Empire par de juftes loix, & des arts utiles. Mais il y eut enfuite plufieurs Souverains qui fe livrerent à l'oifiveté, aux déréglemens & à la cruauté, & qui fournirent à leurs fucceffeurs de funeftes exemples du danger auquel un Empereur de la Chine s'expose, lorsqu'il s'attire le mépris ou la haine de fes fujets. Il y en a eu qui ont été affez imprudens pour ofer exercer, à l'appui des forces militaires, un Defpotisme arbitraire, & qui ont été abandonnés par des armées qui ont mis les armes bas lorfqu'ils vouloient les employer à combattre Contre la nation. Il n'y a point de peuple plus foumis à fon Souverain que la nation Chinoife, parce qu'elle eft fort inftruite fur les devoirs réciproques du Prince & des fujets, & par cette raifon elle eft auffi la plus fufceptible d'averfion contre les infracteurs de la loi naturelle & des préceptes de morale, qui forme le fond de la religion du pays, & de l'inf truction continuelle & refpectable, entretenue majeftueufement par le Gouvernement. Ces enfeignemens fi impofans, forment un lien facré & habituel entre le Souverain & fes fujets. L'Empereur Tchuen-Hio joignit le facerdoce à la couronne, & régla qu'il n'y auroit que le Souverain qui offriroit folemnellement des facrifices: ce qui s'observe encore maintenant à la Chine. L'Empereur y eft le feul Pontife, & lorfqu'il fe trouve hors d'état de remplir les fonctions de facrificateur, il députe quelqu'un pour tenir fa place. Cette réunion du Sacerdoce avec l'Empire, empêche une foule de troubles & de divifions, qui n'ont été que trop ordinaires dans les pays où les Prêtres chercherent autrefois à s'attribuer certaines prérogatives incompatibles avec la qualité de sujets.

L'Empereur Kao-fin fut le premier qui donna l'exemple de la polygamie, il eut jufqu'à quatre femmes fes fucceffeurs jugerent à propos de l'imiter. Quoique la plupart des Monarques Chinois euffent établi des loix & de fages réglemens; cependant Yao, huitieme Empereur de la Chine, eft regardé comme le premier Législateur de la Nation, & peut-être réellement fut-il le premier Empereur. Ce fut en même-temps le modele de tous les Souverains, dignes du trône; c'eft fur lui & fur fon fucceffeur appellé Xun, que les Empereurs jaloux de leur gloire tâchent de fe former: en Tome XV.

Yyy

1

effet ces deux Princes eurent les qualités qui font les grands Rois, & jamais la nation Chinoise ne fut fi heureufe que fous leur empire.

Yao ne fe borna pas à faire le bonheur de fes fujets pendant fa vie; lorfqu'il fut queftion de fe donner un fucceffeur, il réfolut d'étouffer les mouvemens de la tendreffe paternelle, & de n'avoir égard qu'aux intérêts de fon peuple je connois, mon fils, difoit-il, fous de beaux dehors de vertus, il cache des vices qui ne font que trop réels. Comme il ne favoit pas encore fur qui faire tomber fon choix, on lui propofa un laboureur nommé Xun, que mille vertus rendoient digne du trône: Yao le fit venir, & pour éprouver fes talens, il lui confia le Gouvernement d'une Province. Xun fe comporta avec tant de fageffe, que le Monarque Chinois l'affocia à l'Empire, & lui donna fes deux filles en mariage; Yao vécut encore vingt-huit ans dans une parfaite union avec fon collegue.

Lorfqu'il fe vit fur le point de mourir, il appella Xun, lui expofa les obligations d'un Roi, l'exhorta à les bien remplir; à peine eut-il achevé fon difcours, qu'il rendit fon dernier foupir, laiffant après lui neuf enfans qui fe virent exclus de la Couronne, parce qu'ils n'avoient pas été jugés dignes de la porter. Il mourut à l'âge de 218 ans; la dynaftie qui commence à la mort de ce Souverain, eft appellée Hiu, c'est à elle que commence l'énumération des dynafties de l'Empire de la Chine.

Après la mort de l'Empereur, Xun fe renferma pendant trois ans dans le fepulchre de Yao, pour fe livrer aux fentimens de douleur que lui eaufoit la mort d'un Prince qu'il regardoit comme fon pere: c'est delà qu'eft venu l'ufage de porter à la Chine, pendant trois années, le deuil de fes parens.

Le regne de Xun ne fut pas moins glorieux que celui de fon prédéceffeur; une des principales attentions de ce Prince, fut de faire fleurir P'agriculture; il défendit expreffément aux Gouvernemens des Provinces de détourner les laboureurs de leurs travaux ordinaires, pour les employer à tout autre ouvrage que la culture des campagnes. Cet Empereur vivoit environ du temps d'Abraham.

Pour fe mettre en état de bien gouverner, Xun eut recours à un moyen qui doit paroître bien extraordinaire. Ce Monarque publia une ordonnance, par laquelle il permettoit à fes fujets de marquer fur une table exposée en public, ce qu'ils auroient trouvé de répréhenfible dans la conduite de leur Souverain.

Il s'affocia un collegue avec lequel il vécut toujours de bonne intelligence; après un regne auffi long qu'heureux; il mourut & laiffa la Couronne à celui qui lui avoit aidé à en porter le fardeau.

Yu, c'est le nom de ce nouveau Monarque, marcha fur les traces de fes illuftres prédéceffeurs: on ne pouvoit mieux lui faire fa cour qu'en lui donnant des avis fur fa conduite, & il ne trouvoit point d'occupation plus digne d'un Prince, que celle de rendre la juftice aux peuples; jamais

Roi ne fut plus acceffible. Afin qu'on pût lui parler plus facilement, il fit attacher aux portes de fon palais une cloche, un tambour & trois tables, l'une de fer, l'autre de pierre, & la troifieme de plomb; il fit enfuite afficher une ordonnance, par laquelle il enjoignoit à tous ceux qui vouloient lui parler, de frapper fur ces inftrumens ou fur ces tables, fuivant la nature des affaires qu'on avoit à lui communiquer. On rapporte qu'un jour il quitta deux fois la table au fon de la cloche, & qu'un autre jour il fortit trois fois du bain pour recevoir les plaintes qu'on vouloit lui faire. Il avoit coutume de dire qu'un Souverain doit fe conduire avec autant de précaution que s'il marchoit fur la glace; que rien n'eft plus difficile que de régner; que les dangers, naiffent fous les pas des Monarques; qu'il a toujours à craindre s'il fe livre entiérement à fes plaifirs; qu'il doit fuir l'oifiveté, faire un bon choix de fes Miniftres, fuivre leurs avis, & exécuter avec promptitude un projet concerté avec fageffe.

Un Prince qui connoiffoit fi bien les obligations de la Royauté, étoit bien capable de les remplir ce fut fous fon regne qu'on inventa le vin Chinois qui fe fait avec le riz. L'Empereur n'en eut pas plutôt goûté qu'il en témoigna du chagrin cette liqueur, dit-il, caufera les plus grands troubles dans l'Empire. Il bannit de fes Etats l'inventeur de ce breuvage, & défendit fous de grieves peines d'en composer à l'avenir cette précaution fut inutile. Yu eut pour fucceffeur fon fils aîné, qui s'appelloit Tikiftin, qui ne régna pas moins glorieufement que celui qui venoit de lui laiffer la Couronne. Tai-Kaus fut fon fucceffeur; l'yvrognerie le renverfa du trône, & donna lieu à une fuite d'ufurpateurs & de tyrans malheureux, dont le mauvais fort fut une leçon bien effrayante pour les Souverains de cet Empire.

Sous le regne de Ling, vingt-troifieme Empereur de la quatrieme famille héréditaire, naquit le célébre Confucius, que les Chinois regardent comme le plus grand des docteurs, le plus grand réformateur de la légiflation, de la niorale, & de la religion de cet Empire, qui étoit déchu de fon ancienne fplendeur on a eu encore occafion de s'étendre fur la vie, fur les vertus, & fur les traverses de ce Philofophe célébre qui foutint avec un courage inébranlable, toutes les oppofitions & les oppreffions que rencontrent quelquefois les fages, dont les travaux tendent ouvertement au rétablissement de l'ordre dans leur patrie. Voyez CONFUCIUS, CHINE, CHOU-KING. Il vivoit 597 ans avant Jefus-Chrift. Il n'avoit que trois ans lorfqu'il perdit fon pere, qui étoit premier Miniftre dans la Principauté de Tfou. Confucius ne tarda pas à fe faire une grande réputation. Il avoit à fa fuite trois mille difciples, dont foixante-douze étoient fort diftingués par leur favoir, & entre ceux-ci, il en comptoit dix fi confommés en toutes fortes de connoiffances, qu'on les appelloit par excellence les dix Philofophes.

Le grand mérite de ce fage maître l'éleva à la dignité de prémier Mi

niftre du Royaume de Lou. Ses réglemens utiles changerent la face de tout le pays. Il réforma les abus qui s'y étoient gliffés, & il y rétablit la bonne foi dans le commerce. Les jeunes gens apprirent de lui à respecter les vieillards, & à honorer leurs parens jufqu'après leur mort; il infpira aux perfonnes du fexe la douceur, la modeftie, l'amour de la chafteté, & fit régner parmi les peuples la candeur, la droiture & toutes les vertus civiles.

Confucius mourut âgé de foixante treize ans. On conferve à la Chine la plus grande vénération pour ce Philofophe. Il eft regardé comme le maître & le docteur de l'Empire, fes ouvrages ont une fi grande autorité, que ce feroit un crime puniffable, fi l'on s'avifoit d'y faire le moindre changement. Dès qu'on cite un paffage de fa doctrine, toute dispute ceffe, & les lettrés les plus opiniâtres font obligés de fe rendre.

Il y a dans prefque toutes les villes des efpeces de palais, où les mandarins & les gradués s'affemblent en certain temps de l'année, pour rendre leurs devoirs à Confucius. Dans le pays qui donna la naissance à ce fameux philofophe, les Chinois ont élevé plufieurs monumens, qui font autant de témoignages publics de leur reconnoiffance. Hi-Tfong, Roi des Tartares, voulant donner des marques publiques de l'eftime qu'il faifoit des lettres & de ceux qui les cultivoient, alla vifiter la falle de Confucius, & lui rendit, à la maniere Chinoise, les mêmes honneurs qu'on rend aux Rois. Les courtifans ne pouvant goûter que leur maître honorât de la forte un homme dont l'état n'avoit, felon eux, rien de fort illuftre, lui en témoignerent leur furprise. » S'il ne mérite pas ces honneurs par fa qualité, répondit le Monarque Tartare, il en eft digne par l'excellente » doctrine qu'il a enseignée. » La famille de Confucius fe conferve en ligne directe depuis plus de deux mille ans.

СЕ

§. III.

Etendue & prospérité de l'Empire de la Chine.

ET Empire eft borné à l'Orient par la mer, dite la mer Orientale; au Nord par la grande muraille qui le fépare de la Tartarie; à l'Oueft par de hautes montagnes, des déferts de fable; au Sud par l'Océan, les Royaumes de Tonquin & de Cochinchine.

Les foins & l'exactitude que les miffionnaires ont apportés aux obfervations aftronomiques & aux mefures qu'ils ont faites dans cette belle contrée, ne laiffent plus d'incertitude tant fur fa fituation que fur son étendue; il résulte de leurs obfervations, que la Chine, fans y comprendre la Tartarie qui en eft dépendante, eft prefque quarrée: elle n'a pas moins de 500 de nos lieues du Sud au Nord, & de 450 des mêmes lieues de P'Eft à l'Ouest, de façon que la circonférence eft de 1900 lieues.

« PreviousContinue »