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mité du monde, un peuple auffi ancien, auffi fage, & auffi civilisé que le repréfentoit le voyageur Vénitien? C'étoit une chimere qui ne pouvoit trouver de foi que dans les efprits fimples & crédules.

Les temps diffiperent ces préjugés, les premiers Miffionnaires qui pénétrerent à la Chine, vers la fin du sme. fiecle, publierent quelques relations de ce Royaume : elles s'accordoient avec celles de Marc-Paul, elle vérifierent fes récits; on rendit justice à fa fincérité. Le témoignage unanime de plufieurs perfonnes, dont l'état & l'intelligence garantiffoient la fidélité de leurs rapports, fubjugua tous les efprits, l'incertitude fit place à la conviction: celle-ci entraîna à la furprise & à l'admiration.

Depuis cette époque, le nombre des relations s'eft multiplié à l'infini; cependant on ne peut fe flatter de connoître affez parfaitement cet Empire & fes productions, pour avoir des notions parfaitement exactes de cette belle contrée. On ne peut guere compter que fur les mémoires des Miffionnaires; mais la fublimité de leur vocation, la fainteté de leurs travaux ne leur permettoient guere d'étudier des objets de pure curiofité : d'ailleurs la néceffité de fe livrer à des fciences abftraites pour les faire fervir de rempart à leurs occupations apoftoliques, ne leur a laiffé que le temps de nous donner exactement le réfultat de leurs opérations géométriques, & les dimenfions précises d'un Empire fi étendu.

S'ils y ont joint des connoiffances fur l'Hiftoire morale & politique, ce qu'ils ont dit, quoiqu'affez fatisfaifant, n'eft pas cependant traité auffi profondément qu'il auroit pu l'être. On les accufe d'avoir, en plus d'une occafion, facrifié la vérité à des préjugés de leur état, & de n'avoir pas toujours autant de fidélité dans leurs récits, que de zele dans leurs miffions.

A l'égard des productions de cette vafte contrée; ils n'ont pas eu affez de loifir pour fe livrer à cette étude, & c'eft dans l'hiftoire de la Chine la partie la plus défectueufe. Toutes les inductions qu'on peut tirer de leurs rapports, c'eft que la nature offre en ces climats la même fageffe, la même intelligence & la même variété que dans le nôtre, avec cette différence qu'elle femble avoir raffemblé dans cette feule contrée presque toutes les productions qu'on trouve difperfées dans le refte de l'univers : cette bienfaisance de la nature, n'a pas permis aux Miflionnaires de nous donner fur ces objets une inftruction complette.

Le Pere Duhalde a pris foin de raffembler différens mémoires, & d'en faire un corps d'hiftoire. Le mérite de l'ouvrage eft affez connu : c'eft d'après cet écrivain, que nous avons traité de cet Empire; mais fans nous difpenfer d'avoir recours aux originaux dont il s'eft fervi.

Nous avons auffi confulté plufieurs autres voyageurs qui ont écrit fur la Chine, & dont le Pere Duhalde n'a pas fait mention: tels que MarcPaul, Emmanuel Pinto, Navarette, Efpagnol & Miffionnaire Dominicain; les voyageurs Hollandois, Gemelli Carerri, Laurent Lange, Envoyé du

Czar Pierre à l'Empereur de la Chine, le Gentil Yibrant Ides, l'Amiral Anfon, & plufieurs autres.

LA

S. I I.

Origine de l'Empire de la Chine.

A nuit des temps, qui confond tout, n'a pas épargné l'origine des Chinois. L'hiftoire ancienne de prefque tous les peuples n'eft qu'un tiffu de fables inventées par l'orgueil, ou produite par l'ignorance & la barbarie qui ont précédé la formation des fociétés. Plus un peuple eft devenu célébre, plus il a prétendu accroître fon luftre en tâchant d'enfevelir fa fource dans les fecles les plus reculés : c'eft ce qu'on impute aux antiquités Chinoifes.

Leur Hiftoire nous apprend que Fohi ayant été élu Roi, environ 3000 ans avant Jefus-Chrift (c'eft à peu près du temps de Noé) ce Souverain civilifa les Chinois, & fit différentes loix également fages & juftes. Les annales ne fe contentent pas de nous repréfenter ce Prince comme un habile Légiflateur, elles nous le donnent encore pour un Mathématicien profond, pour un génie créateur, auquel on doit de belles inventions: il apprit à entourer les villes de murs; il impofa différens noms aux familles, afin de les diftinguer; il inventa des figures fymboliques pour publier les loix qu'il avoit faites. En effet les hommes étoient inftruits ailleurs de ces connoiffances, vers ces temps-là; car elles avoient déjà fait beaucoup de progrès en Egypte dès le temps de Jacob.

A Fohi, les Hiftoriens Chinois font fuccéder Chin-nong. Cet Empereur apprit à fes fujets à femer les grains; à tirer du fel de l'eau de la mer, & des fucs falutaires de plufieurs plantes; il favorifa auffi beaucoup le commerce, & il établit des marchés publics. Quelques hiftoriens placent fept Empereurs après Chin-nong; mais les autres lui font fuccéder immédiatement Houng-ti.

C'eft à ce Prince qu'on rapporte l'origine du cycle fexagénaire, du calendrier, de la fphere, & de tout ce qui concerne les nombres & les mefures. Suivant la même hiftoire, il fut auffi l'inventeur de la monnoie, de la mufique, des cloches, des trompettes, des tambours & de différens autres inftrumens; des arcs, des fleches & de l'architecture; il trouva encore l'art d'élever des vers à foie, de filer leurs productions, de les teindre en différentes couleurs, & d'en faire des habits; de conftruire des ponts, des barques & des chariots, qu'il faifoit tirer par des bœufs. Enfin c'eft fous le regne de ces trois Empereurs que les Chinois fixent l'époque de la découverte de toutes les fciences & de tous les arts en ufage parmi eux.

Après Houng-ti, régnerent fucceffivement Chao-hao, fon fils, Tchuenhio, Tcho, Yao & Xun. Sous le regne d'Yao, dit l'hiftoire Chinoise, le

foleil parut dix jours de fuite fur l'horifon, ce qui fit craindre un embrafement général.

Les auteurs Anglois de l'hiftoire univerfelle font, de tous les écrivains, ceux qui paroiffent avoir le plus combattu toutes les preuves qu'on a voulu donner de l'antiquité Chinoife. C'eft dans leur ouvrage qu'on peut puifer des raifons qui pourroient faire rejetter l'opinion du Pere Duhalde & de fes partifans. Cet hiftorien fixe la premiere époque de la chronologie Chinoife au regne de Fohi, 2357 ans avant J. C. & la fait fuivre fans interruption jufqu'à notre temps; ce qui comprend une période de plus de 4000 ans. M. Shuckford a adopté ce fyftême, en conjecturant que l'arche s'eft arrêtée fur des montagnes près des frontieres de la Chine; il a donné pour ancêtres aux Chinois, les enfans que Noé eu après le déluge; & il fait mourir ce Patriarche dans cette contrée, après un féjour de 350 ans. Ce Savant prétend que Fohi & Noé ne font qu'un même perfonnage.

Les Ecrivains Anglois, après avoir démontré clairement que par le texte de la Génefe, & par les circonftances qui y font rapportées, on ne peut entendre que l'arche s'arrêta près de la Chine, mais fur le Mont Ararat, fitué en Arménie, paffent aux preuves alléguées par le Pere Duhalde. Ils font bien éloignés de regarder comme démonftratif, ce que cet hiftorien rapporte des neuf premiers Empereurs, & de leur regne. La durée de ces regnes, fuivant les hiftoriens Anglois, comprend une période de 712 années, & fait la base de la chronologie Chinoife; mais rien, difent-ils, n'eft moins folide que tout ce qu'on raconte depuis Fohi jufqu'au regne d'Yu, qui fuccéda à Xun, au temps d'Abraham. A ce regne d'Yu commence l'ordre des dynafties ou familles qui ont occupé le trône jufqu'à préfent. Avant lui, l'hiftoire Chinoife eft mêlée de fables.

Sans infifter fur la chronologie de Moyfe, qui paroît contrarier celle des Chinois, il fuffit, difent-ils, d'avoir donné le précis des premiers temps, pour faire voir combien toute leur hiftoire eft deftituée de fondement. Les preuves les plus plaufibles que l'on puiffe alléguer en fa faveur fe réduifent au témoignage de Confucius, à l'opinion des Chinois & à leurs obfer vations aftronomiques. Mais comment fe rendre à ces raifons? Confucius fe plaint que de fon temps on manquoit de bons mémoires hiftoriques. L'opinion de la nation démontre feulement le même foible que tout autre peuple a pour s'arroger l'antiquité la plus reculée; & c'eft en effet de l'orgueil, qui loin d'être un motif de crédulité, devient une raison de plus pour rejetter toute cette antiquité chimérique. Quant aux obfervations aftronomiques, l'exemple que le P. Martini dit avoir lu dans les livres Chinois, que le foleil parut dix jours de fuite, eft-il bien propre à donner une idée avantageufe des connoiffances des Chinois dans cette partie? Il en eft de même de l'éclipfe obfervée 2155 ans avant le commencement de notre ere. Eft-il probable que ces peuples aient pu faire alors des ob

fervations tant foit peu paffables, eux qui dans le feizieme fiecle depuis la naiffance du Sauveur, lorfque les Jéluites arriverent à la Chine, n'avoient encore que des notions fort imparfaites de l'aftronomie; puifque les Mahométans étoient chargés de la formation de leur calendrier, & de toutes les obfervations relatives à cette fcience. C'eft ce que nous croyons pouvoir démontrer, difent les critiques Anglois, par une favante & curieufe lettre de M. Coftard, publiée dans les tranfactions philofophiques des mois de Mars, Août & Mai de 1747. D'ailleurs, quelle apparence y a-t-il que les trois premiers Monarques aient inventé toutes les fciences & tous les arts libéraux; qu'ils y aient fait en fi peu de temps des progrès fi étonnans? Nous en inférons, difent ces Savans étrangers, qu'on ne peut fonder l'antiquité fabuleufe des Chinois fur tous les récits de leurs historiens, & qu'il ne faut les croire qu'avec difcernement.

Leur période hiftorique ne doit avoir commencé que bien du temps après le regne d'Yu. M. Foquet, Evêque titulaire d'Eleuteropolis, a pu blié même une table chronologique de l'Empire de la Chine (Tabula chro. Hiftoriae Sinicæ, connexa cum cyclo qui vulgo Kiat-fe dicitur, Roma 1729), dreffée par un Seigneur Tartare qui étoit Vice-Roi de Canton, l'an 1720; ce chronologifte l'avoit tiré des grandes Annales de la Chine. Cette table fixe le commencement de la véritable chronologie, environ à quatre fiecles avant la naiffance du Sauveur. M. Fouquet affirme de plus, qu'on pourroit fans rifquer de fe tromper, rapprocher cette époque un peu plus de notre temps; il convient, à la vérité, que la nation Chinoife a fa fource dans les temps voifins du déluge; mais il nie que leur hiftoire puiffe mériter une entiere créance, avant la période que nous venons d'indiquer. M. Fourmont obferve que cette opinion eft aujourd'hui prefque univerfellement reçue par les miffionnaires; les auteurs même de Kang-mu ou grandes Annales Chinoises, conviennent aussi de bonne foi que la chronologie qui remonte au-delà de 400 ans avant notre ere, est souvent fufpecte. Un auteur très-verfé dans l'hiftoire Chinoise, M. Bayer, n'a pas meilleure opinion des mémoires de ces peuples.

Les auteurs Anglois ne s'en tiennent pas à combattre ainfi leurs adverfaires; ils prétendent encore prouver (Hiftoire univerfelle, Tom. XIII in-4°. Amfterdam, 1752, pag. 13 & 112) que la Chine n'étoit que médiocrement peuplée l'an 1300 avant l'Ere Chrétienne.

Si la Chine, pourfuivent encore nos hiftoriens Anglois, eut été un grand & puiffant Empire, comme elle l'eft depuis plufieurs fiecles, malgré le caractere réservé des Chinois, on auroit eu quelques connoiffances de leurs richeffes, de leur pouvoir & de leur génie; les Perfes en auroient fu quelque chofe avant la deftruction de leur monarchie; de même les Grecs, jufqu'au temps d'Hérodote, n'auroient pas ignoré l'exiftence du peuple Chinois, s'il eut fait une figure confidérable dans le monde; mais il n'en est point parlé dans l'hiftoire avant qu'Alexandre pénétrât dans l'Inde; & mê

me alors il n'en eft rien dit qui foit de la moindre importance. Les plus anciens hiftoriens, foit Grecs, foit Latins, n'ont fait aucune mention des Chinois. Moyfe, Manethon, Hérodote & d'autres écrivains de la plus haute antiquité, ne parlent ni des Chinois ni de la Chine. (Cependant certains paffages de Diodore de Sicile & de Quinte-curce, citent des habitans du Royaume Sophitien, comme un peuple fameux par l'excellence de fon Gouvernement, & ce même pays eft appellé Cathea par Strabon : plufieurs favans préfument que Quinte-curce, Diodore de Sicile & Strabon ont voulu parler de la Chine; mais les auteurs Anglois font d'un fentiment contraire.)

Il paroîtroit, par tout ce qu'on vient de voir, que les Chinois des derniers fiecles auroient corrompu leurs Annales; que les connoiffances qu'ils avoient reçues par tradition de leurs ayeux touchant la cofmogonie, la création de l'homme, le déluge &c; auroient été appliquée à l'ancien Etat monarchique de la Chine; qu'ils auroient auffi rapporté à leur cycle fexagénaire divers événemens beaucoup antérieurs à fon invention : cependant, concluent nos hiftoriens, nous devons tenir un milieu entre les deux extrémités oppofées, & reconnoître que les plus anciens mémoires Chinois renferment quelques vérités.

Tout cet extrait eft tiré prefque entiérement des mélanges intéressans & curieux, dont l'auteur paroît avoir adopté l'opinion des Anglois. Néanmoins toutes les preuves qu'ils alléguent feroient fort faciles à réfuter quant à ce qui concerne les événemens remarquables des regnes d'Yao, de Xun & d'Hiu, à peu près contemporains d'Abraham.

M. de Guignes vient de rappeller le fentiment de M. Huet, qui eft que: les Chinois .tirent leur origine des Egyptiens cet académicien a voulu l'appuyer de faits affez probables: il s'eft apperçu que les anciens caracteres Chinois avoient beaucoup de reffemblance avec les hyérogliphes Egyptiens, & qu'ils n'étoient que des efpeces de monogrammes formés des lettres Egyptiennes & Phéniciennes; il entreprend de démontrer auffi que les premiers Empereurs de la Chine font les anciens Rois de Thebes & d'Egypte : une réflexion affez fimple lui semble autorifer le fyftême qui donne à la nation Chinoife une origine Egyptienne. Les arts & les fciences floriffoient à la Chine avant le regne d'Yao, tandis que les peuples. voifins vivoient encore dans la barbarie : il eft donc naturel de conclure, dit-il, que les Chinois fortoient d'une nation déjà policée, qui ne fe trouvoit point alors dans la partie orientale de l'Afie. Si l'on trouve des monumens Egyptiens jufque dans les Indes, ainfi que les témoignages de: plufieurs voyageurs le confirment, il ne fera pas difficile de fe perfuader que les vaiffeaux Phéniciens ont tranfporté dans ce pays quelques colonies Egyptiennes, qui delà ont pénétré à la Chine, environ douze cents ans avant Jefus-Chrift, en apportant leur hiftoire avec eux. (Introduction à l'hiftoire de l'Univers, tom. VII, pag. 620.),

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