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légal n'étant que la force intuitive & déterminante de l'évidence, il lui eft naturel de n'être, pour fes fujets, qu'un objet de refpe&t & d'amour, parce qu'il lui eft naturel d'affervir leurs volontés fans leur faire aucune violence.

Le Defpotisme arbitraire, néceffairement deftructif de la richeffe du defpote & de la puiffance politique de l'Etat, renferme en lui-même le principe de fa deftruction : le Defpotifme légal, procurant néceffairement le meilleur état poffible à la nation, à la Souveraineté, & au Souverain perfonnellement, renferme en lui-même le principe de fa confervation.

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Dans le Despotifme arbitraire, les volontés du defpote ne font point destinées à lui furvivre; elles meurent avec lui; par cette raifon les ennemis de fes volontés deviennent toujours les ennemis de fa perfonne; & comme il est moralement impoffible qu'elles ne faffent pas un grand nombre de mécontens il fe trouve ainfi dans une impoffibilité phyfique & morale de fe procurer aucune fureté perfonnelle contre les opinions, les intérêts & les prétentions arbitraires que fes volontés doivent bleffer à chaque inftant dans le Defpotifme légal l'évidence, qui commande avant que le Souverain ordonne, fait que les volontés du Monarque deviennent les volontés conftantes & uniformes de toute la nation; elles jouiffent après lui de la même autorité defpotique dont elles jouiffoient perdant fa vie; cette autorité leur est même tellement propre, que l'évidence de leur juftice ne permet pas de former des prétentions qui leur foient contraires; ainfi la fureté la plus abfolue, la plus entiere eft naturellement & nécessairement acquife pour toujours à fa perfonne : on ne s'éleve point contre lui, parce qu'on ne peut s'élever contre fes volontés; & on ne peut s'élever contre fes volontés, parce qu'il faudroit s'élever contre la force de l'évidence, & contre toutes les forces réunies de la nation.

Par-tout où la connoiffance évidente de l'ordre naturel & effentiel des fociétés fe trouvera tellement répandue, que chacun éclairé par cette lumiere, attache fon bonheur au maintien religieux des loix, il doit régner un Defpotisme perfonnel & légal, qui eft le feul & unique véritable Ďefpotifme, parce qu'il eft le feul qui exifte par lui-même, qui fe maintienne par lui-même, & qui ne puiffe jamais être ébranlé. Malgré l'aversion naturelle qu'on avoit du Defpotifme, on a bien fenti qu'on ne pouvoit s'arracher à l'arbitraire, qu'en fe livrant à une autorité abfolue, qui enchaînât toutes les opinions; mais faute d'avoir remonté à un ordre focial primitif & effentiel, faute d'avoir connu la force irrésistible de fon évidence, on étoit toujours dans le cas de redouter cette autorité unique, parce qu'on: ne voyoit point comment elle ne feroit pas arbitraire elle-même dans fes volontés par cette raifon, le feul mot de Defpotifme perfonnel infpiroit une certaine horreur dont on ne pouvoit fe défendre, & on cherchoir fans le trouver, le Defpotifme légal dont on parloit fans le connoître : tandis que les puiffances qui gouvernoient, ne comprenoient point qu'il

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ne peut jamais exister un véritable Defpotifme perfonnel, s'il n'eft légal, les peuples ignoroient auffi qu'il ne peut jamais exifter un véritable Defpotifme légal qu'il ne foit perfonnel.

Euclide eft un véritable defpote; & les vérités géométriques qu'il nous a transmises, font des loix véritablement defpotiques : leur Defpotifme légal & le Defpotifme perfonnel de ce légiflateur n'en font qu'un, celui de la force irréfiftible de l'évidence par ce moyen, depuis des fiecles le defpote Euclide regne fans contradiction fur tous les peuples éclairés; & il ne ceffera d'exercer fur eux le même Defpotifme, tant qu'il n'y aura point de contradictions à éprouver de la part de l'ignorance: la résistance opiniâtre de cette aveugle eft la feule dont le Defpotifme perfonnel & légal ait à triompher; auffi l'inftruction & la liberté de la contradiction font-elles les armes dont il doit fe fervir pour la combattre, parce qu'il n'a befoin que de l'évidence pour affurer fa domination.

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Il n'eft rien au monde de fi propre à nous infpirer l'amour de l'ordre, que l'évidence de fa juftice, de fa néceffité, des avantages que nous en retirons, & des maux que fon relâchement nous feroit éprouver : dès que rien n'empêche que le flambeau de cette évidence répande par-tout fa lumiere, chacun y participe en raifon du befoin qu'il en a pour se condui& voit dans les biens que l'ordre procure, un patrimoine dont il ne peut perdre la propriété, tant que l'ordre fubfiftera. La juftice & la fainteté de cet ordre portent tellement l'empreinte facrée de fon divin instituteur, qu'on regarde fes loix invariables comme les claufes d'un contrat paffé entre le ciel & la terre, entre la divinité & l'humanité : perfuadés que notre foumiffion à ces loix doit être, de notre part, un culte agréa ble à Dieu, elles deviennent autant d'articles de foi, pour lesquels nous fentons naître dans nos cœurs cet amour, cet enthousiafme dont les hommes ont toujours été fufceptibles pour leur religion. Je ne dis point encore affez; car aux biens furnaturels & ineftimables que la religion promet aux fideles obfervateurs de l'ordre, fe joignent les avantages naturels & temporels que l'ordre nous prodigue; ils ajoutent ainfi à un intérêt éloigué, qui n'eft affuré que par la foi, un intérêt préfent & fenfible, qui ne peut qu'attacher plus étroitement, plus religieufement les hommes à la pratique de la vertu.

Si les Souverains font véritablement grands, véritablement fouverains, ce n'eft que dans un gouvernement de cette efpece : toute l'autorité leur eft acquife fans partage; & au moyen de ce que l'évidence dice toutes leurs volontés, on peut dire, en quelque forte, qu'ils font affociés à la raifon fuprême dans le gouvernement de la terre; qu'en cette qualité fa fageffe divine, que l'évidence leur communique, & qui habite toujours en eux, les conftitue dans la néceffité de faire le bien, & dans l'impuiffance de faire le mal; qu'ainfi par leur entremife, le ciel & la terre s'entre-touchent, la juftice & la bonté de Dieu ne ceffant de fe Tome XV.

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manifefter aux hommes, de leur être préfentes dans les Miniftres de fon autorité.

Ceux-là font donc coupables du crime de haute trahifon, de lefe-majefté divine & humaine, qui cherchant à légitimer tous les abus de l'autorité, dans l'efpérance d'en profiter, s'efforcent fecrétement d'infinuer aux Souverains que leur Defpotifme eft arbitraire & abfolument indépendant de toute regle; que leurs volontés feules enfin conftituent le jufte & l'injufte. Cette perfidie ne peut réuffir qu'à la faveur d'un défaut de lumieres, qui ne permet pas aux Souverains de voir évidemment que l'ordre focial eft naturellement & néceffairement établi fur l'ordre phyfique même, qu'il n'eft point en leur puiffance de changer: faute de connoître cette vérité, ils fe laiffent perfuader qu'un pouvoir arbitraire peut leur être d'une grande utilité pour faire le bien; mais un pouvoir arbitraire ne peut fervir qu'à faire le mal; car il n'y a que le mal qui puiffe être arbitraire, foit dans la forme foit dans le fonds: tout ce qui eft dans l'ordre a des loix immuables qui n'ont rien d'arbitraire, & qui produifent néceffairement le bien pour lequel elles font inftituées : ainfi ce n'eft qu'autant qu'un defpote s'écarteroit des loix de l'ordre pour fe livrer au défordre, qu'il pourroit faire un usage arbitraire de fon pouvoir; or il eft démontré que l'ordre eft tour à l'avantage du Souverain & de la fouveraineté; que le défordre ne peut que lui devenir funefte, à lui perfonnellement & à fon autorité, qui ne peut être féparée de la force intuitive & déterminante de l'évidence, qu'elle ne fe trouve à la difcrétion de toutes les prétentions arbitraires qui peuvent naître de l'ignorance & de l'opinion, les feuls ennemis que fa puiffance ait à redouter.

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Heureuses, heureufes les nations qui jouiffent du Defpotisme de la raifon! la paix, la juftice, l'abondance, la félicité la plus pure habitent fans ceffe au milieu d'elles plus heureux encore les fouverains à qui l'on peut dire fans les offenfer: Puiffans maîtres de la terre, cette puiffance que > la nation vous a conférée, vient de Dieu créateur de la nation; c'eft » de lui que vous tenez votre autorité abfolue, parce qu'elle eft celle de » l'évidence dont Dieu eft l'inftituteur; gardez-vous de la changer, cette » autorité facrée, contre un pouvoir qui ne peut être arbitraire en vous » qu'autant qu'il l'eft dans fon principe: votre puiffance, qui eft naturel» le, abfolue, indépendante, ne feroit plus qu'une puiffance factice, in» certaine, dépendante de ceux même par le canal defquels vous la te> nez, & qu'elle doit gouverner. Vous êtes fouverains; mais vous êtes » hommes: comme hommes, vous pouvez arbitrairement faire des loix; » comme fouverains vous ne pouvez que faire exécuter des loix déjà fai» tes par la divinité dont vous êtes les organes: comme homme, vous » avez la liberté du choix entre le bien & le mal, & l'ignorance humaine > peut vous égarer; comme fouverain, le mal & l'erreur ne peuvent être » en vous, parce qu'ils ne peuvent être en Dieu, qui, après vous avoir

» établis Miniftres de fes volontés, vous les manifefte par fes loix im» muables: le Defpotifme perfonnel & légal qu'elle vous affure à jamais, » eft le même que celui du Roi des Rois; comme lui vous êtes defpo» tes; comme lui vous le ferez toujours, parce qu'il n'eft pas dans la na»ture de l'évidence de ces loix qu'elle & vous puiffiez ceffer de l'être; » & votre Defpotifme vous comblera de gloire & de profpérités dans tous » les genres, parce qu'il n'eft pas dans l'ordre, dont l'évidence vous éclai»re, que le meilleur état poffible des peuples ne foit pas le meilleur état » poffible des fouverains"! Voyez l'ordre Naturel des Sociétés politiques &

l'article GOUVERNEMENT.

NOUVELLES Confidérations fur le Despotisme, fur-tout fur le Defpotifme arbitraire.

TOUS

S. I.

Définition du Defpotifme.

Ous les hommes défirent le bonheur, mais il en eft très-peu à qui le fort permette d'en jouir. Nulle fociété ne peut être heureufe fans liberté, néanmoins, par une fatalité déplorable, prefque toutes les nations gémiffent dans les fers. Les contrées les plus vaftes font foumifes aux volontés arbitraires d'un petit nombre de mortels à qui l'on diroit que le deftin a livré, fans réserve, le refte des humains. Sur quelque partie de la terre que nous portions nos regards, dans les climats glacés du feptentrion, fous les zones les plus tempérées, dans ces pays qu'un foleil brûlant échauffe de ses rayons, par-tout nous voyons des peuples foumis à des monftres fans pitié qui les gouvernent avec un fceptre de fer. Des millions d'hommes ne femblent nés, que pour travailler au bien-être d'un feul homme qui fe croit un Dieu, & qui dès lors fe perfuade qu'il ne doit rien à des êtres qu'il fuppofe d'un ordre inférieur, ni à la fociété de qui il tient fon pouvoir. Il s'imagine que tout lui eft permis, que les loix les plus facrées de la nature font faites pour, céder à fes caprices, en un mot, qu'à lui feul appartient le droit de nuire à tous, fans que perfonne ait celui de s'en plaindre.

Le Defpotisme eft un pouvoir ufurpé qui fe fonde fur la prétention abfurde, que la volonté quelconque du Souverain doit faire la loi dans la fociété. La tyrannie n'eft que cette volonté, quand elle eft injufte. Un tyran eft un Souverain qui, en forçant la fociété de plier fous fes volontés les plus injuftes, ne fait que réaliser les prétentions du defpote. Il fau droit qu'un homme fut bien ftupide, fi pour être un Souverain, au lieu d'être un tyran, il ne lui en coûtoit que la peine de faire des loix, & qu'il

ne les fit pas.

Prefque tous ceux qui gouvernent les hommes veulent exercer fur eux l'autorité la plus illimitée; cependant ils font effrayés des noms de defpote & de tyran; ils ne peuvent fe diffimuler combien ces titres font odieux. Sous les Souverains les plus pervers, il eft des fujets favorifés qui, partageant avec leurs maîtres les fruits de l'oppreffion, fouffrent impatiemment qu'on leur donne les vrais noms qu'ils méritent. L'adminiftration la plus corrompue trouve toujours & des adhérens & des apologiftes. D'un autre côté, tout homme méchant croit avoir à fe plaindre du gouvernement qui contient fes paffions, ou qui ne fe prête point à fes vues déréglées ; il se plaint alors de vivre fous le Defpotifme. Bien plus, il eft des hommes qui prodiguent le nom de tyrans aux Souverains les plus vertueux, dès qu'ils n'adoptent point leurs idées, ou refufent de fe prêter à leurs paffions, à leur fanatifme, à leurs fureurs intolérantes, ou même encore, lorfqu'ils les empêchent de nuire. L'homme corrompu trouve légitime tout pouvoir qui favorise ses égaremens, & traite de tyrannie celui qui les réprime. Pour ôter toute équivoque, tâchons de fixer le vrai fens que l'on doit attacher à la tyrannie.

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§. II.

De la tyrannie.

E tyran eft un Souverain qui abufe des forces de la fociété pour la foumettre à fes propres paffions qu'il fubftitue aux loix. En général, la tyrannie est l'injustice appuyée de la force. Elle n'eft propre à aucune forme de gouvernement. Sous la démocratie, le peuple devient le plus fouvent un tyran déraisonnable qui ne connoît d'autres regles que les caprices qu'on a fu lui inspirer. Dans ce peuple fi vanté, qui bannit Ariftide, Miltiade & Cimon, qui fit empoisonner Socrate, qui livra Phocion au fupplice, je ne vois qu'un tyran ingrat, injufte, inhumain dans ces Spartiates qui traitoient leurs Hélotes avec une barbarie étudiée, je ne vois que des monftres odieux enfin dans ce Sénat Romain, oppreffeur de fes concitoyens ou du refte de la terre, je ne vois encore que des tyrans vainqueurs d'une foule d'autres tyrans. L'ariftocratie n'eft très-fouvent que la tyrannie de plufieurs citoyens, ligués pour foumettre les autres à leurs vues intéreffées. Les inquifiteurs d'Etat de Venife font des tyrans autorisés par le Sénat à détruire, même fur des foupçons, tous ceux qui peuvent inquiéter leur gouvernement ombrageux. Sous le gouvernement mixte, la tyrannie peut s'introduire, dès qu'un des ordres de l'Etat, entre lefquels le pouvoir fuprême eft partagé, s'en fert pour opprimer les autres. Enfin la monarchie dégénere en tyrannie, dès que le Monarque emploie le pouvoir que la nation lui confie pour foumettre les loix à fes injuftes caprices. On vit fous la tyrannie, dès que la juftice ceffant de commander eft forcée de plier fous les paffions de l'homme.

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